Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 7 septembre 2018 sous le n° 18NC02442, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour d'annuler le jugement n° 1804844 du 10 août 2018 du tribunal administratif de Strasbourg et de rejeter la demande présentée devant ce tribunal par M. D... A....
Le préfet soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de M. A...au regard des dispositions communautaires et nationales permettant aux Etats membres de conserver une demande de protection internationale ;
- aucun des autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal n'est fondé.
II. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 septembre et 18 octobre 2018 sous le n° 18NC02443, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du jugement no 1804844 du 10 août 2018 du tribunal administratif de Strasbourg.
Le préfet, qui fonde sa demande sur l'article R. 811-15 du code de justice administrative, soutient que le moyen qu'il soulève dans le cadre de sa requête d'appel analysée ci-avant est sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2018, M. D... A..., représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête, à ce que la cour enjoigne au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. A...soutient qu'aucun des moyens soulevés par le préfet n'est fondé.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 9 novembre 2018
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Rees, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... A..., ressortissant afghan, est entré en France le 15 avril 2018, selon ses déclarations. Le 3 mai 2018, il a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier européen Eurodac a révélé que l'intéressé avait, le 16 octobre 2015, déposé une demande d'asile en Autriche. Saisies par le préfet du Haut-Rhin le 31 mai 2018, les autorités autrichiennes ont expressément accepté, le 11 juillet suivant, de reprendre en charge M. A.... Par un arrêté du 24 juillet 2018, le préfet du Haut-Rhin a décidé du transfert de l'intéressé vers l'Autriche.
2. Par une requête enregistrée sous le n° 18NC02442, le préfet du Haut-Rhin relève appel du jugement du 10 août 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision. Par une requête enregistrée sous le n° 18NC02443, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement.
3. Les deux requêtes, nos 18NC02442 et 18NC02443, sont dirigées contre un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal :
4. Pour annuler la décision de transfert de M. A... aux autorités autrichiennes, le premier juge a estimé que cette décision était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ainsi que des articles L. 741-1 et L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour retenir ce moyen, le premier juge s'est fondé, d'une part sur la circonstance que les autorités autrichiennes ont d'ores et déjà rejeté la demande d'asile de M. A..., de sorte que son transfert vers l'Autriche aurait pour conséquence son renvoi vers l'Afghanistan, et d'autre part, que ce renvoi impliquerait nécessairement de passer par Kaboul, seul point d'accès au territoire de son pays depuis l'étranger, alors qu'à la date de la décision en litige, la province de Kaboul était en proie à une situation de violence aveugle résultant d'un conflit armé interne, et d'une intensité telle que l'intéressé y serait exposé à un risque réel.
5. Aux termes du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : reprendre en charge (...) le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ". Aux termes du 1 de l'article 17 de ce règlement : " (...) chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (... ) ". Par ailleurs, selon l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013 (...) ". Enfin, aux termes de l'article L.742-1 du même code : " (...) Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'État d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre État ".
6. Alors que la décision contestée a seulement pour objet de renvoyer M. A... en Autriche, il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas soutenu, que la demande d'asile M. A... aurait fait l'objet d'un rejet définitif en Autriche, ni que les autorités autrichiennes auraient pris une mesure en vue de l'éloigner à destination de l'Afghanistan. En outre, l'Autriche est membre de l'Union Européenne et est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités autrichiennes, à la lumière de ces textes qu'elles se sont obligées à mettre en oeuvre, ne procèderont pas, à la requête de l'intéressé ou même d'office, à une évaluation des risques de mauvais traitements auxquels M. A... pourrait être exposé du fait de son éventuel retour en Afghanistan.
7. Dans ces conditions, le préfet du Haut-Rhin est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision de transfert et, par voie de conséquence, la décision d'assignation à résidence, le premier juge s'est fondé sur le moyen tiré de ce que la première était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
8. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... tant devant le tribunal administratif de Strasbourg que devant la cour en appel.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. A...:
9. En premier lieu, en vertu du § 3 de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 et des § 2 et 3 de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'intégralité des informations, en particulier celles relatives à la procédure de détermination de l'Etat responsable de la demande d'asile, qui en application des § 1 de chacun de ces articles doivent être fournies aux personnes concernées dans une langue qu'elles comprennent ou dont on peut raisonnablement penser qu'elles la comprennent, figurent dans des brochures communes rédigées par la Commission européenne.
10. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre, le 3 mai 2018, comme en atteste sa signature datée sur les pages de garde de ces documents, la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande d'asile " et la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie ' ", dont il ne conteste pas le caractère complet du contenu. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a pas reçu les informations relatives à la procédure de détermination de l'Etat responsable de la demande d'asile.
11. En second lieu, M. A... ne peut pas utilement soutenir que le préfet a méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu des risques qu'il encourt en cas de retour en Afghanistan, dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 6, la décision litigieuse n'a pas pour objet de l'y renvoyer, et qu'il n'est pas établi qu'elle aurait un tel effet.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Haut-Rhin est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions attaquées. Dès lors, le préfet du Haut-Rhin est fondé à demander l'annulation de ce jugement, ainsi que le rejet de la demande présentée par M. A... devant le tribunal, tandis que les conclusions à fin d'annulation et d'injonction présentées par ce dernier, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
13. La cour se prononçant par le présent arrêt sur le bien fondé du jugement du 10 août 2018, les conclusions du préfet du Haut-Rhin tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet. Il n'y a donc plus lieu de statuer sur ces conclusions.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du préfet du Haut-Rhin tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement no 1804844 du 10 août 2018 du tribunal administratif de Strasbourg.
Article 2 : Le jugement no 1804844 du 10 août 2018 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. D... A...devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.
Article 4 : Les conclusions de M. D... A...en appel sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... A....
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin et à M. C...de la République près le tribunal de grande instance de Mulhouse.
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Nos 18NC02442 et 18NC02443