Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 décembre 2015 et 14 mars 2016, M. C..., représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 1er octobre 2015 ;
2°) d'annuler la décision implicite du 24 avril 2015 du préfet de l'Orne ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Orne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'il soit à nouveau statué sur son droit au séjour.
Il soutient que :
- par arrêté du 9 octobre 2015, le préfet de l'Orne a pris une mesure d'obligation de quitter le territoire français à son encontre ;
- involontairement privé d'emploi à la date de sa demande, il remplissait les conditions de renouvellement de sa carte de séjour temporaire " salarié " ; le préfet a méconnu les dispositions des articles L. 313-10 1° alinéa 3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et R. 5221-33 du code du travail ;
- la décision méconnaît en outre les articles L. 314-8, L. 314-2 et L. 311-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il a toujours été en situation régulière en France, où il s'est marié en 2009, et il maîtrise la langue française dans son travail et suit les cours de français auprès d'une association de lutte contre l'analphabétisme depuis novembre 2015 ;
- la décision contestée de refus de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ; il est en France depuis plus de 7 ans et bien intégré professionnellement, il n'a plus de relations avec sa famille en Turquie depuis le décès de ses parents ; il a fixé le centre de ses intérêts personnels en France et n'a jamais troublé l'ordre public ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des conséquences sur sa situation personnelle ; il démontre une volonté réelle d'insertion en France, il est titulaire d'une promesse d'embauche comme ouvrier polyvalent dans le secteur du BTP, sous tension, et ne pèse pas sur l'aide sociale ;
- les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues ; sa présence ininterrompue en France depuis près de 10 ans et sa qualité d'ouvrier polyvalent du BTP, constituent des motifs d'admission exceptionnelle au séjour.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2016, le préfet de l'Orne, conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé et qu'en particulier, la situation actuelle de M. C...ne lui permet pas de solliciter le renouvellement de sa carte de séjour temporaire mention " salarié ".
M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique ;
- le rapport de M. Lainé, président de chambre.
1. Considérant que M.C..., ressortissant turc, est entré régulièrement sur le territoire français le 3 septembre 2006, avec un passeport revêtu d'un visa de long séjour ; qu'il a été mis en possession d'une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " salarié " régulièrement renouvelée jusqu'au 21 février 2014 ; qu'il a sollicité, le 2 juillet 2014, le renouvellement de son titre de séjour expiré le 21 février 2014 et a été mis en possession d'un récépissé de demande de titre de séjour valable trois mois, jusqu'au 29 septembre 2014 ; qu'il a sollicité le 23 décembre 2014, la délivrance d'une carte de résident en application de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que M. C...a contesté la décision implicite rejetant cette demande, née du silence gardé pendant plus de quatre mois par le préfet de l'Orne ; que, par la présente requête, il relève appel du jugement du 1er octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger qui justifie d'une résidence ininterrompue d'au moins cinq années en France, conforme aux lois et règlements en vigueur, sous couvert de l'une des cartes de séjour mentionnées aux articles L. 313-6, L. 313-8 et L. 313-9, aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 313-10, aux articles L. 313-11, L. 313-11-1, L. 313-14 et L. 314-9, aux 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7° et 9° de l'article L. 314-11 et aux articles L. 314-12 et L. 315-1 peut obtenir une carte de résident portant la mention " résident de longue durée-CE " s'il dispose d'une assurance maladie. Les années de résidence, sous couvert d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " retirée par l'autorité administrative sur le fondement d'un mariage ayant eu pour seules fins d'obtenir un titre de séjour ou d'acquérir la nationalité française, ne peuvent être prises en compte pour obtenir la carte de résident. La décision d'accorder ou de refuser cette carte est prise en tenant compte des faits qu'il peut invoquer à l'appui de son intention de s'établir durablement en France, notamment au regard des conditions de son activité professionnelle s'il en a une, et de ses moyens d'existence... " ; qu'aux termes de l'article L. 314-10 du même code : " Dans tous les cas prévus dans la présente sous-section, la décision d'accorder la carte de résident ou la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-CE " est subordonnée au respect des conditions prévues à l'article L. 314-2 " ; qu'aux termes de l'article L. 314-2 du même code : " Lorsque des dispositions législatives du présent code le prévoient, la délivrance d'une première carte de résident est subordonnée à l'intégration républicaine de l'étranger dans la société française, appréciée en particulier au regard de son engagement personnel à respecter les principes qui régissent la République française, du respect effectif de ces principes et de sa connaissance suffisante de la langue française dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat... " ; qu'enfin, aux termes de l'article R. 314-1 du même code : " Pour l'application des dispositions des articles L. 314-8 et L. 314-9, l'étranger présente à l'appui de sa demande de carte de résident ou de carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " : (...) 5° Pour l'appréciation de la condition d'intégration prévue à l'article L. 314-2 : Pour l'appréciation de la condition d'intégration prévue à l'article L. 314-2 : a) Une déclaration sur l'honneur par laquelle il s'engage à respecter les principes qui régissent la République
française ; b) Le cas échéant, le contrat d'accueil et d'intégration conclu en application de l'article L. 311-9 ainsi que l'attestation nominative remise par l'office français de l'immigration et de l'intégration précisant si les actions prévues au contrat ont été suivies ainsi que les conditions de leur validation ; c) Tout document de nature à attester sa connaissance suffisante de la langue française, notamment le diplôme initial de langue française. ( ...) " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le préfet, pour refuser implicitement de délivrer une carte de résident à M.C..., s'est fondé sur la circonstance que celui-ci ne justifiait pas d'une bonne intégration en France, et notamment pas d'une connaissance suffisante de la langue française ; que si M. C...soutient que le préfet s'est fondé sur un document établi en 2012, soit trois ans avant la décision contestée, mentionnant son échec à l'entretien d'intégration républicaine en raison d'une méconnaissance de la langue française, il n'apporte toutefois aucun justificatif probant permettant d'établir qu'il aurait eu, à la date de la décision, une connaissance suffisante de la langue française, que l'attestation émanant d'une association culturelle turque, se bornant à énoncer qu'il suivait des cours de français depuis un an, ne suffit pas à démontrer ; que la circonstance qu'il suit des cours de français au sein d'une association d'alphabétisation, depuis le 24 novembre 2015, est postérieure à la décision contestée et ne peut dès lors que rester sans incidence sur sa légalité ; qu'ainsi, et sans qu'y puisse faire obstacle la circonstance que l'intéressé remplit la condition de séjour ininterrompu sur le territoire français pendant plus de cinq années et qu'il a exercé une activité salariée pendant plusieurs années et dispose d'une promesse d'embauche, le préfet de l'Orne n'a pas, en estimant que le demandeur ne justifiait pas d'une bonne intégration en France à raison de sa connaissance insuffisante de la langue française, méconnu les dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée : / 1° A l'étranger titulaire d'un contrat de travail visé conformément aux dispositions de l'article L. 341-2 du code du travail. / Pour l'exercice d'une activité professionnelle salariée dans un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement et figurant sur une liste établie au plan national par l'autorité administrative, après consultation des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives, l'étranger se voit délivrer cette carte sans que lui soit opposable la situation de l'emploi sur le fondement du même article L. 341-2. / La carte porte la mention "salarié" lorsque l'activité est exercée pour une durée supérieure ou égale à douze mois. Elle porte la mention "travailleur temporaire" lorsque l'activité est exercée pour une durée déterminée inférieure à douze mois. Si la rupture du contrat de travail du fait de l'employeur intervient dans les trois mois précédant le renouvellement de la carte portant la mention "salarié", une nouvelle carte lui est délivrée pour une durée d'un an " ; qu'aux termes de l'article R. 5221-33 du code du travail : " Par dérogation à l'article R. 5221-32, la validité d'une autorisation de travail constituée d'un des documents mentionnés au 6° ou au 9° bis de l'article R. 5221-3 est prorogée d'un an lorsque l'étranger se trouve involontairement privé d'emploi à la date de la première demande de renouvellement. / Si, au terme de cette période de prorogation, l'étranger est toujours privé d'emploi, il est statué sur sa demande compte tenu de ses droits au regard du régime d'indemnisation des travailleurs involontairement privés d'emploi " ; que ces dernières dispositions ne peuvent trouver application que lors d'une première demande de renouvellement d'une autorisation de travail ; que par suite, à supposer que M. C...ait également entendu solliciter du préfet de l'Orne le renouvellement de sa carte de séjour temporaire " salarié " en se prévalant de ce qu'il était involontairement privé d'emploi du fait de la liquidation judiciaire de la société Amélioration de l'habitat, prononcée le 16 avril 2014, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet de l'Orne aurait méconnu les dispositions précitées de l'article R. 5221-33 du code du travail en refusant de renouveler son titre de séjour ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
6. Considérant que M. C...se prévaut de sa présence en France depuis plus de sept ans, de son intégration professionnelle en tant qu'ouvrier polyvalent dans le secteur sous tension du bâtiment et des travaux publics, et de ce qu'il a fixé le centre de ses intérêts personnels en France alors qu'il n'a plus de relations avec ses frères et soeurs en Turquie depuis le décès de ses parents ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que, si M.C..., entré en France à l'âge de 47 ans, s'est marié avec une ressortissante roumaine en décembre 2009, il ne justifie pas d'une vie commune avec son épouse et n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine ; que la décision contestée lui refusant la délivrance d'une carte de résident n'a dans ces conditions, pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ; que le préfet de l'Orne n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M.C... ;
7. Considérant, en quatrième et dernier lieu, que M. C...ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il n'avait pas invoquées dans sa demande de titre de séjour ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande ;
9. Considérant que doivent être rejetées par voie de conséquence les conclusions à fin d'injonction présentées par M.C... ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...C...et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de l'Orne.
Délibéré après l'audience du 5 juillet 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Lenoir, président,
- Mme Rimeu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 juillet 2016.
Le président, rapporteur,
L. LAINÉ
L'assesseur le plus ancien dans le grade le plus élevé,
H. LENOIRLe greffier,
V. DESBOUILLONS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°15NT03714 3
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