Par une requête, enregistrée le 24 décembre 2015, Mme A...C...épouseD..., représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 24 novembre 2015 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 16 juillet 2015 du préfet d'Eure-et-Loir ;
3°) d'enjoindre au préfet d'Eure-et-Loir, à titre principal, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en application de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui délivrer une carte de séjour temporaire, dans le délai de 15 jours courant de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou d'enjoindre au préfet d'Eure-et-Loir, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros par application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
en ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- la décision a été prise par une autorité incompétente ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit au regard des stipulations de l'article 3 al 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ; elle remplit les conditions fixées par cet accord : elle résidait régulièrement en France depuis plus de trois ans, dispose de moyens d'existence professionnels et exerce le métier d'enseignant qui fait partie de la liste des métiers ouverts aux ressortissants tunisiens sans que leur soit opposable la situation de l'emploi ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle ; son mari est venu en France avec un visa touristique et ses parents ne vivent pas en Tunisie mais en Arabie Saoudite ; elle disposait de deux diplômes tunisiens dont une maitrise en sciences physiques, elle a obtenu en France en 2012, un master science de la fusion nucléaire et justifie d'une expérience professionnelle d'enseignante depuis février 2011 ; elle s'est mariée en France le 10 août 2013 et leur enfant est né en France le 27 juillet 2015 ; un de ses frères réside à Chartres et est marié à une française ;
en ce qui concerne la décision d'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- la décision a été prise par une autorité incompétente ;
- le préfet ne pouvait lui faire application des dispositions du I-5°de l'article L. 511 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors qu'elle était titulaire, à la date de la décision contestée de refus de séjour, d'un récépissé en cours de validité.
Une mise en demeure a été adressée le 22 février 2016 au préfet d'Eure-et-Loir, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.
Un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2016, a été présenté par le préfet d'Eure-et-Loir, mais n'a pas été communiqué eu égard à l'identité de son contenu par rapport aux écritures présentées par le préfet devant le tribunal administratif d'Orléans.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;
- l'accord-cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie et le protocole relatif à la gestion concertée des migrations, signés à Tunis le 28 avril 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lainé, président de chambre ;
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;
- les observations de MmeD....
1. Considérant que Mme E...A...C..., épouseD..., ressortissante tunisienne née le 1er juin 1986, est entrée sur le territoire national le 22 septembre 2009 munie d'un visa de long séjour, valable du 22 septembre 2009 au 22 septembre 2010, en vue de poursuivre ses études ; qu'elle a bénéficié d'une carte de séjour temporaire en qualité d'étudiante renouvelée jusqu'au 22 septembre 2013 ; que le 2 septembre 2013, elle a présenté auprès des services de la préfecture d'Eure-et-Loir une demande de changement de statut en vue d'obtenir un titre de séjour en qualité de " salariée " ; que par un arrêté du 16 juillet 2015, le préfet lui a refusé le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être renvoyée en cas d'exécution forcée de sa décision ; que l'intéressée relève appel du jugement du 24 novembre 2015 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme D...était, lorsqu'elle est entrée sur le territoire national en septembre 2009, titulaire d'un diplôme de Maîtrise en sciences physiques, et qu'elle s'est inscrite en France en Master II sciences de la fusion nucléaire ; qu'elle exerce depuis le mois de février 2011 une activité d'enseignante en mathématiques, physique, chimie pour le compte de la société Aide MPC qui mène des activités de soutien scolaire ; que, par ailleurs, le recteur de l'académie d'Orléans Tours lui a confié, par un contrat à durée déterminée conclu le 7 décembre 2012, neuf heures d'enseignement des sciences physiques et chimie en qualité de maître délégué au sein du collège privé Sainte Cécile à Chateaudun ; que le chef d'établissement dudit collège a attesté, le 5 mars 2013, que l'intéressée " a su mettre les classes immédiatement au travail et s'est montrée soucieuse d'intégrer le fonctionnement de l'établissement " et mentionné que Mme D..." poursuit son doctorat " ; que la requérante a en outre bénéficié d'un pré-accord délivré le 25 mars 2013 par la commission d'accueil et d'accord collégial de l'enseignement catholique de la région Centre, constituant " une première étape vers l'obtention d'un accord collégial garantissant un contrat dans l'enseignement catholique ", dont les conditions d'obtention, précisées, incluent notamment un avis favorable sur le stage de Master II ; que le recteur de l'académie Orléans Tours l'a recrutée, le 27 sept 2013 en qualité de professeur contractuel pour un service d'enseignement à temps incomplet de 15 à 18 heures et que ce contrat a été renouvelé par avenant du 19 décembre 2013 et prorogé jusqu'au 2 février 2014 ; qu'il ressort des pièces du dossier que Mme D...dégage de ces activités cumulées des revenus suffisants pour lui permettre de satisfaire à ses besoins et à ceux de sa famille ; que l'intéressée s'est mariée en France le 10 août 2013 avec un compatriote, entré en France muni d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour délivré à des fins touristiques, et qu'à la date de la décision contestée du préfet d'Eure-et-Loir elle était enceinte et l'enfant est né le 27 juillet 2015 ; que Mme D...se prévaut également de la présence en France de son frère, marié avec une ressortissante française, qui a assuré sa prise en charge financière pendant ses études ; qu'eu égard à l'ensemble de ces circonstances, le préfet d'Eure-et-Loir a, en refusant de régulariser la situation du séjour de l'intéressée, commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de MmeD... ;
3. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la décision de refus de séjour opposée à la requérante est illégale et que, par voie de conséquence, la mesure d'obligation de quitter le territoire français est dépourvue de base légale ; que Mme A...C...épouse D...est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " ; qu'aux termes de l' article L. 911-3 du même code : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. " ;
5. Considérant qu'eu égard au motif de l'annulation ci-dessus prononcée, il y a lieu, sous réserve d'un changement dans la situation de droit ou de fait de l'intéressée, d'enjoindre au préfet d'Eure-et-Loir de délivrer à Mme D...une carte de séjour temporaire, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, le versement d'une somme de 1 500 euros à MmeD..., au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1502932 du 24 novembre 2015 du tribunal administratif d'Orléans et l'arrêté du 16 juillet 2015 du préfet d'Eure-et-Loir sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet d'Eure-et-Loir de délivrer à Mme D...une carte de séjour temporaire dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme D...une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...A...C...épouse D...et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet d'Eure-et-Loir.
Délibéré après l'audience du 5 juillet 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Lenoir, président,
- Mme Rimeu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 juillet 2016.
Le président, rapporteur,
L. LAINÉ
L'assesseur le plus ancien dans le grade le plus élevé,
H. LENOIR
Le greffier,
V. DESBOUILLONS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°15NT03903 3
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