Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 3 juin 2014, 19 juin 2014 et 20 mars 2015, la société Neill Ingénierie Services, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler les articles 1er, 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Caen du 1er avril 2014, qui la condamne à payer, solidairement avec la société Vallois Normandie, la somme de 205 680 euros ainsi que les frais d'expertise, et qui la condamne à garantir la société Vallois Normandie à hauteur de 70%, et de rejeter la demande présentée par la commune de Saint Arnoult devant le tribunal administratif de Caen ;
2°) à titre subsidiaire, de condamner la société Vallois Normandie à la garantir à hauteur de 50% des condamnations prononcées à son encontre ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint Arnoult la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les désordres, liés au phénomène de cloquage des bassins, ne sont pas à l'origine d'infiltrations de nature à remettre en cause la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination ; les désordres n'ont donc pas de caractère décennal ;
- les désordres ne résultent pas d'une faute de conception ;
- la commune a commis une faute de nature à exonérer les constructeurs de leur responsabilité ; la commune a en effet fait un emploi excessif de chlore, qui a affecté l'étanchéité et contribué au cloquage ; par ailleurs l'absence d'entretien et de mise en eau pendant 5 ans constitue également une faute du maître de l'ouvrage ;
- subsidiairement, si sa responsabilité était retenue, elle devrait être garantie par la société Vallois Normandie, dés lors que les désordres ont pour cause prépondérante un défaut de mise en oeuvre ;
- le montant du préjudice est excessif car il comprend une somme de 33 381,55 euros liée à la réfection des margelles alors qu'elles n'ont subi aucun désordre ;
- le jugement devra en revanche être confirmé s'agissant des spots et plaques de couronnement, qui n'ont pas de caractère décennal.
Par trois mémoires, enregistrés les 15 septembre 2014, 21 janvier 2015 et 20 juin 2015, la commune de Saint Arnoult conclut au rejet de la requête de la société Neill Ingénierie Services et demande que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de chacune des sociétés Neill Ingénierie Services et Valois Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'expert a conclu que le défaut d'étanchéité en fond de bassins et les cloquages des parois étaient de nature décennale ;
- la réparation de ce désordre s'élève à la somme de 205 680 euros TTC et ne comprend pas la somme de 33 381,55 euros, relative au scellement défectueux des margelles en granit, qui n'a pas été retenue par le jugement attaqué ;
- elle ne peut être responsable des désordres, apparus dés 2005, et qui sont imputables selon l'expert à un défaut de conception et à un défaut d'exécution de la société Sareps, sous traitante de la société Vallois Normandie.
Par deux mémoires, enregistrés les 17 octobre 2014 et 10 mars 2015, la société Vallois Normandie conclut au rejet de la requête formée par la société Neill Ingénierie Services en tant qu'elle demande l'annulation de l'article 2 du jugement du 1er avril 2014 qui la condamne à la garantir à hauteur de 70% ; elle demande également, par la voie de l'appel provoqué, l'annulation du jugement du 1er avril 2014 et le rejet des demandes présentées par la commune de Saint Arnoult devant le tribunal administratif de Caen, et par la voie de l'appel incident que la société Neill Ingénierie Services soit condamnée à la garantir de l'ensemble des sommes mises à sa charge, y compris les dépens et les frais non compris dans les dépens ; enfin, elle demande que les dépens ainsi que la somme de 4000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soient mis à la charge de la commune de saint Arnoult et de la société Neill Ingénierie Services.
Elle soutient que :
- les désordres sont dus aux défauts de conception imputables au maître d'oeuvre, qui ne peut donc être garanti par la société chargée seulement d'exécuter les travaux et alors qu'il lui a été imposé de sous-traiter la réalisation des travaux d'étanchéité à la société Sareps France ;
- les désordres consistent en des cloques en fond de bassin et sur les parois, sans qu'aient été constatées, avant le dépôt du rapport d'expertise, de véritables infiltrations, de sorte que le désordre n'est pas de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination ;
- la dégradation du revêtement d'étanchéité des deux bassins laissés hors d'eau et sans protection par la commune est due uniquement au défaut d'entretien et donc à la faute de la commune ;
- il résulte du rapport d'expertise que le sous dimensionnement de la vidange des bassins n'est pas la cause des désordres liés à l'étanchéité des bassins, ne méconnaît pas les règles de l'art et a pour seule conséquence une dégradation de l'aspect de l'eau ;
- le désordre relatif au scellement défectueux des margelles en granit n'est pas de nature décennale ;
- le CCTP imposait le procédé d'étanchéité à utiliser, le dosage et la société chargée de l'appliquer, la société Sareps, de sorte qu'elle doit être exonérée de toute responsabilité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rimeu, premier conseiller,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de Me Launay, avocat de la société Vallois Normandie, et celles de Me Olivier, avocat de la commune de Saint-Arnoult.
1. Considérant qu'en 2003 la commune de Saint Arnoult a décidé d'aménager sa place de la mairie en faisant construire des bassins et une cascade ; que la maîtrise d'oeuvre de l'opération a été confiée à la société Neill Ingénierie Services ; que par un marché conclu le 13 novembre 2003, le lot n° 2 " aménagements paysagers " a été confié à la société Vallois Normandie ; que les travaux de ce lot n° 2 ont été réceptionnés le 26 juillet 2004 et les réserves levées le 5 septembre 2005 ; que des désordres constatés dés novembre 2005 ont conduit la commune de Saint Arnoult à solliciter une expertise, qui a été ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Caen le 15 avril 2008 ; que le rapport d'expertise a été remis le 25 mars 2013 ; que par un jugement du 1er avril 2014, le tribunal administratif de Caen, d'une part, a condamné solidairement les sociétés Neill Ingénierie Services et Vallois Normandie à verser à la commune de Saint Arnoult la somme de 205 680 euros en réparation des désordres affectant les bassins de la place de la mairie, d'autre part a condamné la société Neill Ingénierie Services à garantir la société Vallois Normandie à hauteur de 70% de cette somme de 205 680 euros, et enfin a mis les frais d'expertise à la charge solidaire des sociétés Neill Ingénierie Services et Vallois Normandie ; que la société Neill Ingénierie Services relève appel de ce jugement et demande, à titre principal, le rejet de la demande de première instance de la commune de Saint Arnoult, et à titre subsidiaire à être garantie par la société Vallois Normandie à hauteur de 50% des condamnations prononcées à son encontre ; que la société Vallois Normandie demande également, par la voie de l'appel provoqué, le rejet de la demande présentée par la commune de Saint Arnoult devant le tribunal administratif de Caen ; que, par la voie de l'appel incident, elle demande que la société Neill Ingénierie Services soit condamnée à la garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ;
Sur les conclusions principales de la société Neill Ingénierie Services :
2. Considérant que, lorsque des désordres de nature à compromettre la solidité d'un ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination survenus dans le délai de dix ans à compter de la réception sont imputables, même partiellement, à un constructeur, celui-ci en est responsable de plein droit envers le maître d'ouvrage, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, sauf pour le constructeur à s'exonérer de sa responsabilité ou à en atténuer la portée en établissant que les désordres résultent d'une faute du maître d'ouvrage ou d'un cas de force majeure ;
3. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que les cloques formées sur le fond et les parois des bassins se craquellent, ce qui affecte l'étanchéité du revêtement ; que si aucune infiltration n'a été constatée pendant les opérations d'expertise et si ces désordres n'ont rendu impossible la mise en eau des bassins qu'en 2013, ces circonstances n'ont pas d'incidence sur la nature des désordres, qui touchent à l'étanchéité des bassins et sont par suite de nature à rendre ceux-ci impropres à leur destination ; que ces désordres sont imputables à un vice de conception tenant à la nature inappropriée et au dosage insuffisant de la couche primaire d'accrochage sur laquelle a été posée la couche d'étanchéité, ce dont il a résulté que de l'eau est restée prisonnière entre les deux couches et que des cloques se sont formées puis se sont faïencées avec le temps, et à un défaut d'exécution, dans la mesure où il résulte de l'instruction que la surface de béton était trop humide lorsque la couche d'accrochage du revêtement a été mise en oeuvre ; que par suite, la société Neill Ingénierie Services, maître d'oeuvre, et la société Vallois Normandie, titulaire du lot n° 2, sont responsables de la réparation de ces désordres sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs ;
4. Considérant, d'autre part, que si une utilisation excessive de chlore par la commune de Saint Arnoult, afin de rendre l'eau des bassins plus limpide, a pu fragiliser encore le revêtement des bassins, déjà cloqué et craquelé, il ne résulte pas de l'instruction que le chlore serait à l'origine des désordres, qui résultent ainsi qu'il a été dit d'un défaut de conception et d'un défaut d'exécution ; que de même, la circonstance que la commune aurait laissé l'un des bassins hors d'eau pendant une longue période, qui n'est au demeurant pas établie, n'est pas à l'origine des désordres affectant le revêtement des bassins ; que par suite, la société Neill Ingénierie Services n'est pas fondée à soutenir que les désordres seraient imputables à une faute du maître d'ouvrage susceptible d'exonérer les constructeurs de leur responsabilité ;
5. Considérant, enfin, qu'il résulte de l'instruction que le coût de réparation des désordres affectant l'étanchéité des bassins s'élèvent à la somme de 205 680 euros TTC ; que cette somme ne comprend pas le coût de remise en état des margelles, évalué par l'expert à 33 381,55 euros ; que, par suite, la société Neill Ingénierie Services n'est pas fondée à soutenir que le montant du préjudice subi par la commune de Saint Arnoult devrait être diminuée de cette somme de 33 381,55 euros ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Neill Ingénierie Services n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 1er avril 2014, le tribunal administratif de Caen l'a condamnée, solidairement avec la société Vallois Normandie, à verser à la commune de Saint Arnoult la somme de 205 680 euros ;
Sur les frais d'expertise :
7. Considérant que dans les circonstances de l'espèce, dés lors que l'expertise concernait plusieurs types de désordres, dont seulement un a été reconnu de nature décennale, il y a lieu de mettre la moitié des frais d'expertise à la charge de la commune de Saint Arnoult et l'autre moitié à la charge solidaire des sociétés Neill Ingénierie Services et Vallois Normandie ; que par suite, les frais d'expertise ayant été liquidés et taxés à la somme de 4 824,02 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Caen du 10 avril 2013, la somme de 2 412,01 euros est mise à la charge de la commune de Saint Arnoult et la somme de 2 412,01 euros est mise à la charge solidaire des sociétés Neill Ingénierie Services et Vallois Normandie ;
Sur les conclusions subsidiaires de la société Neill Ingénierie Services et les conclusions d'appel incident de la société Vallois Normandie :
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le cahier des clauses techniques particulières du marché du lot n° 2, élaboré par le maître d'oeuvre, imposait la marque du produit d'étanchéité, les dosages, la méthode de mise en oeuvre, ainsi que la société chargée d'appliquer le produit ; que si l'expert a estimé que le produit utilisé avait fait ses preuves, il a également précisé que ce produit nécessitait que soient respectées les spécificités des lieux et les dosages et qu'il soit appliqué sur un support bien sec et bien poncé ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, il résulte de l'expertise que les cloques, à l'origine des défauts d'étanchéité, sont dues principalement à une remontée d'humidité du béton à travers une couche primaire dont la nature et les dosages étaient inappropriés ; que, dans ces conditions, le partage de responsabilité entre la société chargée de la conception des bassins et celle chargée de la mise en oeuvre du revêtement d'étanchéité doit être fixée, ainsi que l'a estimé le tribunal, à 70% pour la première et 30% pour la seconde ; que dans ces conditions, la société Neill Ingénierie Services est fondée à demander à être garantie des condamnations prononcées à son encontre pour ces désordres affectant l'étanchéité des bassins à hauteur de 30% , et la société Vallois Normandie est fondée à demander à être garantie des condamnations prononcées à son encontre, qui comprennent les frais d'expertise, à hauteur de 70% ;
Sur les conclusions d'appel provoqué de la société Vallois Normandie :
9. Considérant que les conclusions d'appel provoqué de la société Vallois Normandie doivent être rejetées pour les mêmes motifs que les conclusions principales de la société Neill Ingénierie Services, exposés aux points 2 à 5 du présent arrêt ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint Arnoult, qui n'est pas la partie perdante, les sommes que les sociétés Neill Ingénierie Services et Vallois Normandie demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ; que pour le même motif, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par la société Vallois Normandie à l'encontre de la société Neill Ingénierie Services ;
11. Considérant, en revanche, qu'il y a lieu de mettre à la charge de la société Neill Ingénierie Services la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Saint Arnoult et non compris dans les dépens ;
DECIDE
Article 1er : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 4 824,02 euros, sont mis pour moitié à la charge de la commune de Saint Arnoult et pour moitié à la charge solidaire des sociétés Neill Ingénierie Services et Vallois Normandie.
Article 2 : La société Vallois Normandie est condamnée à garantir la société Neill Ingénierie Services à hauteur de 30 % des condamnations prononcées à son encontre par le jugement du tribunal administratif de Caen du 1er avril 2014 et par le présent arrêt.
Article 3 : La société Neill Ingénierie Services est condamnée à garantir la société Vallois Normandie à hauteur de 70 % des condamnations prononcées à son encontre par le jugement du tribunal administratif de Caen du 1er avril 2014 et par le présent arrêt.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 1er avril 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1er à 3 du présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Neill Ingénierie Services est rejeté.
Article 6 : Les conclusions d'appel provoqué et le surplus des conclusions d'appel incident présentées par la société Vallois Normandie sont rejetées.
Article 7 : La société Neill Ingénierie Services versera à la commune de Saint Arnoult la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Neill Ingénierie Services et Vallois Normandie ainsi qu'à la commune de Saint Arnoult.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Loirat, président-assesseur,
- Mme Rimeu, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 28 juin 2016.
Le rapporteur,
S. RIMEULe président,
L. LAINÉ
Le greffier,
V. DESBOUILLONS
La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
''
''
''
''
2
N° 14NT01526