Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 décembre 2020, le préfet de la Gironde demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 novembre 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Bordeaux ;
3°) de mettre à la charge de Mme E... le paiement de la somme de 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors que l'intéressée, qui s'est maintenue en situation irrégulière en France en dépit d'une obligation de quitter le territoire français prise à son encontre le 2 mars 2016, est exclue du regroupement familial en application de l'article 4 de l'accord franco-algérien et qu'elle peut, le temps de l'instruction de la demande de regroupement familial, retourner en Algérie où elle a vécu jusqu'à l'âge de trente ans et où résident ses parents et ses cinq frères et soeurs.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 février 2021, Mme B... F... épouse E..., représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce qu'il soit mis à la charge de l'État le paiement de la somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le moyen soulevé par le préfet, tiré de ce que l'article 4 de l'accord franco-algérien faisait obstacle à la délivrance d'un certificat de résidence algérien, est inopérant ;
- les autres moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020, et notamment son article 5 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D... C...,
- et les observations de Me A..., représentant Mme F... épouse E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme F... épouse E..., ressortissante algérienne née le 12 septembre 1985, est entrée en France le 26 juillet 2015, sous couvert d'un visa de court séjour de type C. Le 2 mars 2016, elle a fait l'objet d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français. Le 2 mars 2017, la préfète de la Gironde a refusé de faire droit à la demande de regroupement familial présentée par son époux à son bénéfice. Les 21 février et 13 mai 2019, elle a sollicité la délivrance d'un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale ". Le préfet de la Gironde a refusé de faire droit à sa demande par une décision du 8 octobre 2019. Ce dernier relève appel du jugement du 4 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cette décision, lui a enjoint de délivrer à Mme E... un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " et a mis à la charge de l'État la somme de 1 000 euros à verser à Me A....
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme E..., qui réside en France depuis le 26 juillet 2015, s'est mariée le 8 octobre 2015, à Mérignac, avec un compatriote qui est titulaire d'un certificat de résidence algérien d'une durée de dix ans et qui a donc vocation à résider durablement sur le territoire français. De cette union sont nés deux enfants les 22 juillet 2016 et 15 octobre 2017, dont l'aînée est scolarisée sur le territoire national. L'intéressée, qui est titulaire d'un diplôme de licence en droit et du certificat d'aptitude professionnelle d'avocats dans son pays d'origine, démontre par ailleurs sa volonté d'intégration dans la société française en particulier par la poursuite assidue de cours de français. Dans ces conditions, et alors que Mme E... justifie, notamment par les multiples témoignages produits en sa faveur, avoir établi le centre de ses attaches privées et familiales sur le territoire français, la décision litigieuse a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de ce refus de titre et méconnaît par suite les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales précitées, alors même que l'intéressée s'est maintenue de façon irrégulière sur le territoire français en dépit d'une mesure d'éloignement prise à son encontre à la suite d'une précédente demande de titre de séjour.
4. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Gironde n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé sa décision du 8 octobre 2019, lui a enjoint de délivrer à Mme E... un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " et a mis à la charge de l'État la somme de 1 000 euros à verser à Me A....
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme E..., qui n'est pas partie perdante à l'instance, la somme que demande le préfet au titre des frais exposés par l'Etat et non compris dans les dépens.
6. Mme E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me A..., avocate de Mme E... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à Me A... de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête est rejetée.
Article 2 : L'État versera à Me A... une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme B... F... épouse E... et à Me A....
Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 4 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
M. D... C..., président-assesseur,
Mme G..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er avril 2021.
La présidente,
Marianne Hardy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX03941