Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 février 2020, M. H..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 19 août 2019 ;
2°) d'annuler les décisions du 12 juin 2019 par lesquelles le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne, à titre principal, de l'admettre au séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal a procédé à une substitution de base légale sans communiquer un tel moyen d'ordre public aux parties ainsi que le prévoit l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;
- le tribunal a omis de se prononcer sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 6° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce qui entache le jugement d'irrégularité ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est entachée d'un défaut de motivation ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation dès lors qu'il ne fait état ni de la circonstance que son épouse et son fils sont en France en vue de demander une protection internationale, ni de la présence de son père qui séjourne régulièrement en France ; le préfet n'a pas prêté une attention particulière à l'intérêt supérieur de son enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, qui en outre n'est pas visé ;
- cette décision méconnaît également les dispositions du 6° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. H..., eu égard notamment aux risques qu'il encourt en cas de retour en Turquie ;
- le préfet s'est estimé, à tort, lié par le rejet de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile ;
- la décision d'éloignement méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant un pays de renvoi est entachée d'un défaut de motivation en fait ;
- elle est également entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle est dépourvue de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision de refus de séjour ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu des risques qu'il encourt en cas de retour dans son pays d'origine ;
- elle méconnaît également l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mai 2020, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. H... ne sont pas fondés.
M. H... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 janvier 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme J... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. H..., ressortissant turc né le 1er septembre 1987, est entré sur le territoire français le 28 janvier 2017. Il a sollicité le 27 mars 2017 le bénéfice de l'asile, qui lui a été refusé par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 29 décembre 2017, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 26 octobre 2018. Par un arrêté du 12 juin 2019, le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. H... relève appel du jugement du 19 août 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des termes de la décision attaquée que, pour faire obligation à M. H... de quitter le territoire français, le préfet de la Haute-Garonne s'est fondé sur les dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui prévoient que l'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un ressortissant étranger lorsque la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire lui a été définitivement refusé. En retenant que M. H... " qui ne justifie pas être entré régulièrement en France et est dépourvu de titre de séjour, entre dans le cas visé au 1° de l'article L. 511-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ", le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse doit être regardé comme ayant substitué une autre base légale à celle retenue par le préfet pour fonder son arrêté. M. H... est fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier pour avoir procédé à une telle substitution sans en avoir préalablement informé les parties conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête de M. H... relatif à sa régularité.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. H... devant le tribunal administratif de Toulouse.
Sur la légalité de l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 12 juin 2019 :
4. Par un arrêté du 27 mars 2019, régulièrement publié au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture du 2 avril 2019, le préfet de la Haute-Garonne a donné délégation à Mme I... à l'effet de signer notamment les décisions intervenant en matière de police des étrangers. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit donc être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. La décision obligeant M. H... à quitter le territoire français vise notamment l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle mentionne également que l'intéressé est marié, qu'il ne justifie pas de la présence de sa conjointe sur le territoire français, que son enfant mineur ne possède pas la nationalité française et que la décision ne porte pas une atteinte disproportionnée à sa situation personnelle et à sa vie familiale. Cette décision est, par suite, suffisamment motivée nonobstant l'absence de visa de la convention internationale des droits de l'enfant.
6. La motivation de la décision révèle, quand bien même elle ne reprend pas l'ensemble des éléments relatifs à la situation de son épouse et de son fils, qu'il a été procédé à un examen particulier de la situation du requérant. Si M. H... indique que le préfet n'a pas fait état des circonstances que son épouse et son fils sont en France en vue de demander le bénéfice d'une protection internationale et que son père vit en France, il n'établit pas avoir porté de tels éléments à la connaissance de l'autorité administrative. Par ailleurs, il ne saurait être déduit de la motivation de la décision attaquée que le préfet de la Haute-Garonne n'aurait pas accordé une attention primordiale à l'intérêt supérieur du fils du requérant.
7. Il ressort des termes de la décision attaquée que le préfet de la Haute-Garonne, qui a procédé à un examen particulier de la situation de M. H..., ne s'est pas estimé lié par le rejet de la demande d'asile de l'intéressé par l'OFPRA et la CNDA.
8. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. _ L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 743-1 et L. 743-2 , à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. Lorsque, dans l'hypothèse mentionnée à l'article L. 311-6, un refus de séjour a été opposé à l'étranger, la mesure peut être prise sur le seul fondement du présent 6° (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. M. H... soutient qu'il vivait en France depuis 3 ans et 5 mois à la date de la décision attaquée, que son épouse et son fils ont demandé le bénéfice de la protection internationale en France et que sa présence auprès de son père malade, séjournant régulièrement sur le territoire français, est nécessaire. Toutefois, il ne ressort des pièces du dossier aucune démarche de son épouse et de son fils afin de demander l'asile antérieure à la décision d'éloignement dont il fait lui-même l'objet, de sorte que de tels éléments ne sauraient être pris en compte pour apprécier la légalité de la décision attaquée. Ainsi, à la date de cette dernière, il ne ressort des pièces du dossier aucun obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue ailleurs que sur le territoire français. M. H... n'établit pas, par ailleurs, que l'état de santé de la personne qu'il présente comme son père et qui atteste qu'il vit avec lui, rendrait sa présence à ses côtés indispensable. Dans ces conditions, alors que le requérant ne saurait utilement se prévaloir des risques qu'il encourt en cas de retour dans son pays d'origine au soutien de ses conclusions à fin d'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français, qui n'a ni pour objet ni pour effet de le contraindre à retourner en Turquie, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a pris la décision attaquée. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du 6° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés. Pour les mêmes motifs, la décision obligeant M. H... à quitter le territoire français n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
10. Aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
11. La décision attaquée n'a ni pour objet ni pour effet de séparer le jeune D... A..., né le 24 août 2015, de son père. Il ne ressort des pièces du dossier aucun obstacle à ce que, à la date de la décision attaquée, la cellule familiale se reconstitue ailleurs que sur le territoire français. Dans ces conditions, le moyen doit être écarté.
En ce qui concerne la décision de renvoi :
12. La décision mentionne que M. H... n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Elle est, ainsi, suffisamment motivée en fait. Il ne ressort pas des termes de la décision attaquée que le préfet de la Haute-Garonne n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation pour décider de son pays de renvoi.
13. Les moyens dirigés contre la décision portant obligation de quitter le territoire français ayant tous été écartés, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de cette décision ne peut qu'être écarté.
14. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (...) ".
15. M. H... expose craindre pour sa vie en cas de retour en Turquie en raison de son appartenance à la minorité kurde et de ses opinions politiques. Toutefois, il n'établit pas, par la production d'un document indiquant qu'une fouille a été réalisée à son adresse en Turquie pour son arrestation au mois de décembre 2018, d'un courrier de sa mère du 25 décembre 2018 indiquant que sa famille subit des persécutions depuis son départ et d'un article de presse du 28 juillet 2015 sur la situation en Turquie, la réalité des évènements allégués et l'existence de menaces actuelles et personnelles auxquelles il serait exposé en cas de retour en Turquie, alors au demeurant que sa demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA et la CNDA. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent être accueillis.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. H... n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions du 12 juin 2019 par lesquelles le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. Les conclusions à fin d'annulation de ces décisions ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions de première instance et d'appel présentées à fin d'injonction et au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1903768 du 19 août 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. H... et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... H... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme L... K..., présidente,
Mme B... F..., présidente-assesseure,
Mme E... J..., conseillère.
Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.
La rapporteure,
Kolia J...
La présidente,
Catherine K...
Le greffier,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX00715