Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 décembre 2016, M.A..., représenté par
Me Jouteau, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 novembre 2016 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 février 2016 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer le titre de séjour sollicité ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme
de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué méconnaît l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, car il justifie de considérations humanitaires et de motifs exceptionnels ; son épouse est en situation régulière et son titre de séjour lui a été délivré, au motif que son état de santé nécessite une prise en charge médicale, dont le défaut pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé et que le traitement qui lui est nécessaire n'est pas disponible dans son pays d'origine ; les deux enfants du couple sont scolarisés en France depuis leur arrivée en février 2014, soit depuis plus de deux ans ; il encourt des menaces graves, directes et personnelles en cas de retour en Albanie ;
- l'arrêté attaqué méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; le tribunal commet une erreur manifeste d'appréciation en prétendant que la cellule familiale pourrait se reconstituer en Albanie, alors que Mme A...réside en France sous le statut d'étranger malade, qui ne lui permet pas de choisir librement son lieu de résidence ; les certificats médicaux produits établissent sa nécessaire présence auprès de son épouse, qui est fortement diminuée dans ses gestes et limitée en autonomie, son traitement la fatiguant fortement dans les actes élémentaires de la vie quotidienne, ce qui devient insupportable avec deux jeunes enfants à charge ; le titre de séjour de son épouse a été reconduit jusqu'au 29 août 2017 et le sera vraisemblablement après, le tribunal se méprenant ainsi en considérant que son séjour serait provisoire ; les premiers juges n'ont pas pris en compte la communication de pièces du 28 septembre 2016, ces pièces démontrant l'ancienneté de son séjour en France, son implication auprès des enfants et la nécessité de sa présence auprès de leur mère, notamment lors de ses périodes d'hospitalisation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2017, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête, renvoie à ses écritures présentées en première instance et soutient que les moyens soulevés par M. A...ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 9 janvier 2017 la clôture de l'instruction a été fixée au 10 février 2017.
Des pièces nouvelles, présentées par Me Jouteau ont été enregistrées le 15 février 2017.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 1er décembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Philippe Delvolvé a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., né le 18 juin 1978, de nationalité albanaise, déclare être entré en France le 10 octobre 2014, pour y rejoindre son épouse et leurs deux enfants. Son épouse ayant obtenu, à raison de son état de santé, une carte de séjour temporaire portant la
mention " vie privée et familiale ", sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, valable du 17 juillet 2015 au 16 juillet 2016, il a saisi le préfet de la Gironde, le 15 septembre 2015, d'une demande tendant à obtenir un titre de séjour en qualité d'accompagnant d'un étranger malade. Par arrêté du 5 février2016, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. A...relève appel du jugement du 3 novembre 2016, par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande dirigée contre cet arrêté.
Sur la légalité de la décision attaquée :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
2. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garantie par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
3. Il ressort des pièces du dossier que l'épouse de M. A...bénéficie d'un titre de séjour pour motif de santé depuis le 17 juillet 2015, ce titre de séjour ayant d'ailleurs été renouvelé jusqu'au 29 août 2017 et que le couple a deux enfants âgés de dix et six ans. Les certificats médicaux du docteur Contis, chef de clinique au centre hospitalier universitaire de Bordeaux et du docteur Salvat précisent que Mme A...souffre d'une polyarthrite rhumatoïde, qui provoque des douleurs articulaires invalidantes et nécessite des hospitalisations toutes les six semaines, et qu'elle a besoin de la présence de son époux pour s'occuper des enfants pendant cette prise en charge hospitalière. Enfin, la décision contestée aurait pour effet de séparer M. A...de son épouse autorisée à séjourner en France jusqu'au 29 août 2017 pour y recevoir des soins et de ses deux enfants et la cellule familiale ne pourrait ainsi se reconstituer en Albanie, où le traitement nécessaire à Mme A...n'est pas disponible. Dans ces conditions, le refus du préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il est intervenu et méconnait, par suite, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. M. A...est donc fondé à demander l'annulation de ce refus de délivrance d'un titre de séjour. L'obligation de quitter le territoire français, prise sur le fondement de la décision portant refus de titre de séjour, et la décision fixant le pays de renvoi, doivent également être annulées. M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions en injonction :
4. L'annulation de l'arrêté contesté implique nécessairement, eu égard au motif qui en constitue le soutien, la délivrance à M. A...d'un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer ce titre dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
5. M. A...étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, son avocate peut prétendre au bénéfice des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce, l'Etat versera, en application de ces dispositions, la somme
de 1 500 euros à Me C...Jouteau ce versement valant renonciation à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 3 novembre 2016 du tribunal administratif de Bordeaux et l'arrêté du 5 février 2016 du préfet de la Gironde sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à M. A...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : En application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'Etat versera la somme de 1 500 euros à Me C...Jouteau ce versement valant renonciation à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., au ministre de l'intérieur, au préfet de la Gironde et à Me C...Jouteau.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2017 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Gil Cornevaux, président-assesseur,
M. Philipe Delvolvé, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 avril 2017.
Le rapporteur,
Philippe DelvolvéLe président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX04157