Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 juin 2020, le préfet de la Guadeloupe demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 10 mars 2020 ;
2°) de rejeter la requête de Mme B... ;
3°) de sursoir à l'exécution du jugement du 10 mars 2020 susmentionné.
Il soutient que :
- le jugement contesté est entaché d'erreur manifeste d'appréciation et doit par suite être annulé ; en conséquence le sursis à exécution s'appuie sur un moyen sérieux d'annulation ;
- contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, Mme B... ne justifie pas de liens familiaux intenses sur le territoire alors qu'elle est célibataire et sans charge de famille et que l'essentiel de sa famille réside en Haïti.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 octobre 2020, Mme B..., représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête d'appel du préfet de la Guadeloupe et la condamnation de l'Etat à lui verser les entiers dépens en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et qu'elle peut bénéficier d'un titre de séjour au titre de sa vie privée et familiale.
Par décision du 22 septembre 2020, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., née le 15 mars 1999, de nationalité haïtienne, est entrée irrégulièrement en France, selon ses déclarations en janvier 2015, à l'âge de 15 ans. Elle a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 16 mai 2019 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de 60 jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 10 mars 2020 le tribunal a fait droit à sa demande et a enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Le préfet de la Guadeloupe relève appel de ce jugement et présente en outre des conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué.
2. Par ordonnance du 6 juillet 2020, il a été statué sur les conclusions aux fins de sursis à exécution, dans le cadre de l'instance n° 20BX01933, en conséquence, il n'y a lieu, dans la présente instance, de ne statuer que sur les conclusions d'appel au fond.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Pour annuler l'arrêté du 16 mai 2019 du préfet de la Guadeloupe, le tribunal a accueilli le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige a été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Selon l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Pour l'application des stipulations et dispositions précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée en France en janvier 2015, à l'âge de 15 ans et demi, qu'elle a été hébergée dès son arrivée par sa tante et scolarisée en France au collège puis au lycée avec les enfants de sa tante et que sa mère est décédée au mois de janvier 2019. Il ressort également des pièces du dossier qu'elle a obtenu en juin 2019 son baccalauréat série littéraire et qu'elle a été admise à l'université d'Angers au titre de l'année 2019-2020. Ainsi, eu égard à l'ensemble de ces circonstances et notamment aux conditions et à la durée du séjour en France de Mme B..., et alors même que cette dernière, célibataire et sans charge de famille, n'est pas dépourvue d'attaches familiales en Haïti, le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé la décision du 16 mai 2019 portant refus de titre de séjour au motif qu'elle portait une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme B... ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
Sur l'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative :
6. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative dans sa rédaction applicable à la présente instance : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. ". Les conclusions tendant à ce que les dépens soient mis à la charge de l'Etat ne peuvent, en l'absence de dépens de l'instance, qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Guadeloupe et le surplus des conclusions de Mme B... sont rejetés.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E... B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.
Le rapporteur,
Caroline C...
Le président,
Elisabeth Jayat
Le greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX01934