Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 juin 2019, Mme D... B..., représentée par la SCP Breillat, Dieumegard, Masson, demande à la cour :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement n° 1901138 du 13 mai 2019 ;
3°) d'annuler les arrêtés préfectoraux du 7 mai 2019 ;
4°) d'enjoindre au préfet d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer un récépissé de demande d'asile dans un délai de quarante-huit heures sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa demande dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quarante-huit heures sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37-2 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient, en ce qui concerne la légalité de la décision de transfert, que :
- la décision est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'elle a simplement eu droit à une traduction orale du guide du demandeur d'asile alors que l'article 4 alinéa 3 du règlement n°604/2013 impose de réaliser une traduction écrite au profit de l'étranger ; il n'est pas établi qu'elle aurait bénéficié d'une traduction écrite, laquelle constitue une garantie ;
- il n'est pas établi qu'elle aurait bénéficié d'un entretien en langue diakhanké à la préfecture le 16 octobre 2019 ;
- la décision est également entachée d'un défaut de motivation et d'une absence d'examen circonstancié de sa situation, notamment médicale ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en n'appliquant pas la clause de souveraineté prévue à l'article 17 du règlement communautaire du 26 juin 2013 compte tenu de son état de santé ;
- pour les mêmes motifs, le préfet a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Elle soutient, en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence, que :
- cette décision est dépourvue de motivation et révèle une absence d'examen de sa situation particulière.
Par une décision du 5 décembre 2019 Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Par un mémoire en défense, présenté le 14 octobre 2019, le préfet de la Vienne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par ordonnance du 20 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 5 novembre 2019 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1911 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... B... est une ressortissante guinéenne née le 8 mars 1987 qui, selon ses déclarations, est entrée sur le territoire français le 28 septembre 2018 avant de déposer une demande d'asile en préfecture de la Vienne le 16 octobre 2018. La consultation du fichier Eurodac a montré que ses empreintes digitales avaient déjà été relevées en Espagne le 7 juin 2018. Aussi, les autorités françaises ont adressé à l'Espagne une demande de prise en charge de Mme B... sur le fondement de l'article 13-1-b du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Cette demande ayant fait l'objet d'une décision implicite d'acceptation le 27 janvier 2019, en application de l'article 25-2 du règlement, le préfet de la Vienne a pris, le 7 mai 2019, un arrêté prononçant le transfert de Mme B... à destination de l'Espagne, responsable de l'examen de la demande d'asile. En vue d'assurer l'exécution de cette décision, le préfet a pris un autre arrêté du même jour assignant Mme B... à résidence dans le département de la Vienne pour une durée de 45 jours. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande d'annulation des deux arrêtés préfectoraux du 7 mai 2019. Elle relève appel du jugement rendu le 13 mai 2019 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
2. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté prononçant le transfert a été exécuté dès lors que Mme B... a embarqué pour un vol à destination de Madrid le 18 juin 2019.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de transfert :
3. Aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des motifs de l'arrêté de transfert, que le guide du demandeur d'asile et les autres documents d'information sur la procédure ont été remis en langue française à Mme B... puis traduits à cette dernière par un interprète en langue diakhanké. Ainsi que le prévoit le 2 de l'article 4 précité du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'information communiquée oralement peut certes être délivrée en plus de l'information écrite requise, laquelle constitue une garantie pour l'étranger, mais ne peut s'y substituer. Par ailleurs, le préfet n'allègue pas que des circonstances particulières auraient rendu impossible la disponibilité des brochures en langue diakhanké ou dans une autre langue comprise par l'intéressée dans un délai compatible avec la nécessaire diligence qui doit prévaloir dans la conduite de la procédure d'examen de la situation d'un demandeur d'asile. Ainsi, Mme B..., dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle comprend le français, a été privée d'une garantie et est, par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Par suite, l'arrêté du 7 mai 2019 prononçant le transfert de Mme B... à destination de l'Espagne et, par voie de conséquence, l'arrêté du 7 mai 2019 assignant cette dernière à résidence doivent être annulés.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Aux termes de l'article 29 du règlement n°604/2013 : " 1. Le transfert du demandeur ou (...) de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 (...) 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. (...) 3. En cas de transfert exécuté par erreur ou d'annulation, sur recours ou demande de révision, de la décision de transfert après l'exécution du transfert, l'État membre ayant procédé au transfert reprend en charge sans tarder la personne concernée ". Aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".
8. Comme il a été dit au point 2, la décision de transfert annulée par le présent arrêt a été exécutée le 18 juin 2019. Ainsi, en vertu des dispositions précitées du paragraphe 3 de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013, l'arrêt implique nécessairement, sous réserve d'un changement de circonstances de fait ou de droit, que l'Etat français reprenne en charge Mme B... et, en particulier, que le préfet de la Vienne prenne les mesures nécessaires pour organiser son retour en France. Ce transfert de responsabilité implique également que l'administration française procède à un examen de la demande d'asile présentée par Mme B... en lui délivrant l'attestation prévue par les articles L. 741-1 et L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Dès lors, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Vienne, sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait apprécié à la date du présent arrêt, d'organiser le retour de Mme B... en France et de procéder au réenregistrement de sa demande d'asile dans les conditions décrites précédemment. Il y a lieu de lui impartir, à cet effet, un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 5 décembre 2019. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat de la somme de 1 000 euros, ce versement entraînant renonciation de sa part à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1901138 du magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers du 13 mai 2019 et les arrêtés du préfet de la Vienne du 7 mai 2019 prononçant le transfert vers l'Espagne et l'assignation à résidence de Mme B... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Vienne, sous réserve d'un changement de circonstances de droit et de fait apprécié à la date du présent arrêt, d'organiser le retour de Mme B... en France et de réenregistrer sa demande d'asile dans les conditions décrites aux points 8 et 9 du présent arrêt, et ce dans un délai de trois mois à compter de la notification de cet arrêt.
Article 3 : L'État versera la somme de 1 000 euros au conseil de Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., au ministre de l'intérieur, au préfet de la Vienne et à la société civile professionnelle d'avocat Breillat - Dieumegard - Masson.
Délibéré après l'audience 27 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. C... A..., président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 décembre 2019.
Le rapporteur,
Frédéric A...Le président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX02364