Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 mars 2019, M. C... B..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 février 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté susmentionné du préfet de la Gironde du 22 janvier 2019 ;
3°) de lui accorder l'aide juridictionnelle provisoire ;
4°) d'enjoindre à l'Etat de prendre en charge sa demande d'asile ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 5 du règlement CE n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 dès lors que l'agent qui a procédé à son entretien individuel n'est pas un agent qualifié au sens de la règlementation européenne ;
- il n'est pas établi que l'Italie aurait donné un accord implicite dans le délai de deux mois dès lors que n'est pas produit le rapport Eurodac en méconnaissance de l'article 23-2 du règlement (UE) n° 604/2013 combiné avec les articles 15, 18 et 19 du règlement (CE) n°1560/2013 ;
- l'arrêté est entaché d'un défaut d'examen et d'une erreur manifeste d'appréciation, au regard des dispositions de l'article 17 du règlement CE n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 et méconnait l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 du règlement précité dès lors que compte tenu des défaillances systémiques dans la prise en charge des demandeurs d'asile de l'Italie et de son état de santé, il ne peut être remis aux autorités italiennes pour le traitement de sa demande d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2019, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 17 juin 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 23 juillet 2019 à 12 heures.
Le 8 août 2019, le préfet de la Gironde a produit des pièces relatives à la situation de fuite de M. B....
Par décision du 9 mai 2019, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant guinéen né le 7 janvier 1990, est entré irrégulièrement en France le 7 août 2018 selon ses déclarations, en provenance de l'Italie. Par un arrêté du 22 janvier 2019, le préfet de la Gironde a décidé de son transfert aux autorités italiennes. M. B... relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :
2. M. B... a obtenu l'aide juridictionnelle totale par décision du 9 mai 2019. Par suite, sa demande tendant à obtenir l'aide juridictionnelle provisoire est devenue sans objet.
Sur la légalité de la décision de transfert aux autorités italiennes :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que M. B... a bénéficié, le 31 août 2018, d'un entretien individuel au sein des services de la préfecture de la Gironde, par un agent des services de la préfecture, assisté d'un interprète de la société ISM Interprétariat, agréé par le ministère de l'intérieur, dans la langue qu'il avait déclaré lire et comprendre, en l'occurrence la langue malinke, au terme duquel l'intéressé a confirmé avoir compris tous les termes de cet entretien. M. B... n'apporte aucun élément permettant de douter de ce que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national et dans des conditions permettant d'en garantir la confidentialité, les services de la préfecture, et notamment les agents recevant les étrangers au sein du guichet unique des demandeurs d'asile mis en place dans cette préfecture, devant être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article. Aucune disposition n'impose que soit mentionné au terme du résumé de l'entretien individuel, sur lequel est apposé le cachet de la préfecture, que l'entretien a été mené par un agent " qualifié " de la préfecture. Au surplus, aucune disposition ni aucun principe n'impose la mention, sur le compte rendu de l'entretien individuel prévu à l'article 5 précité, de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013 doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n o 603/2013. / Si la requête aux fins de reprise en charge est fondée sur des éléments de preuve autres que des données obtenues par le système Eurodac, elle est envoyée à l'État membre requis dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande de protection internationale au sens de l'article 20, paragraphe 2. / 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'État membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. (...) ". Aux termes de l'article 25 de ce règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. ".
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est présenté le 31 août 2018 auprès des services de la préfecture de la Gironde afin d'y solliciter l'asile. Informé par le ministère de l'intérieur de ce que le relevé de ses empreintes avait révélé qu'il avait introduit une demande d'asile en Italie le 14 juin 2017, le préfet de la Gironde a saisi le 10 octobre 2018 les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge sur le fondement des dispositions de l'article 18-1 b) du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, soit dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac prévu par les dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 23 du règlement n° 604/2013. Il ressort également des pièces du dossier, notamment du " constat d'accord implicite et confirmation de reconnaissance de la responsabilité ", que les autorités italiennes n'ont donné aucune réponse à cette demande de reprise en charge dans le délai de deux semaines mentionné au paragraphe 1 de l'article 25 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et qu'ainsi, en vertu du paragraphe 2 de l'article 25 du même règlement, elles doivent être regardées comme ayant tacitement donné leur accord à l'expiration de ce délai. L'accusé de réception Dublinet sur lequel sont mentionnées l'identité, la date de naissance et la nationalité de M. B... ainsi que les références des dossiers français et italiens atteste, à lui seul, et contrairement à ce que soutient le requérant, de la réalité et de la date de saisine des autorités italiennes. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'arrêté de transfert aurait été pris en méconnaissance de l'article 23 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 en l'absence de preuve de la saisine des autorités italiennes dans le délai de deux mois doit être écarté.
7. En troisième lieu, d'une part, aux termes du 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. Le cas échéant, il en informe, au moyen du réseau de communication électronique "DubliNet" établi au titre de l'article 18 du règlement (CE) no 1560/2003, l'État membre antérieurement responsable, l'État membre menant une procédure de détermination de l'État membre responsable ou celui qui a été requis aux fins de prise en charge ou de reprise en charge. L'État membre qui devient responsable en application du présent paragraphe l'indique immédiatement dans Eurodac conformément au règlement (UE) no 603/2013 en ajoutant la date à laquelle la décision d'examiner la demande a été prise. ". Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ". Il résulte de ces dispositions que la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Cette possibilité doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. D'autre part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " (...) 2. Lorsqu'aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La procédure de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ne peut être engagée dans le cas de défaillances systémiques dans l'Etat considéré mentionné au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 (...) ".
9. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à celles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsque qu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
10. M. B... invoque son état de santé et l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie, du fait de l'afflux massif des demandeurs d'asile dans ce pays, qui allongerait considérablement les délais de traitement, précariserait les conditions d'accueil et mettrait les autorités italiennes dans l'impossibilité de prendre en charge de façon satisfaisante les personnes vulnérables et de lui assurer la protection requise contre le réseau mafieux dont il aurait été victime dans ce pays. Toutefois si les pièces produites, notamment les divers rapports, révèlent des défaillances sans pour autant que celles-ci puissent être qualifiées de systémiques, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités italiennes seraient dans l'incapacité structurelle d'examiner sa demande d'asile. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier, en l'absence de toute précision quant à la pathologie dont il souffrirait, que le système de santé italien serait dans l'incapacité de le prendre en charge. Dès lors, ni le risque allégué ni la circonstance que les autorités italiennes seraient dans l'impossibilité de parer un tel risque par une protection appropriée ne peuvent être tenus pour établis. Dans ces conditions, le préfet n'a pas méconnu l'article 3 du règlement CE n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 ni l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. En dernier lieu, M. B... reprend en appel, sans invoquer d'éléments de fait ou de droit nouveaux par rapport à l'argumentation développée en première instance, et sans critiquer la réponse qui lui a été apportée par le tribunal administratif, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 17 du règlement précité. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire présentée par M. B....
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Me A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 29 octobre 2019 à laquelle siégaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline D..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 26 novembre 2019.
Le rapporteur,
Caroline D...
Le président,
Elisabeth Jayat
Le greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX01262