Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 17 avril 2019, le 30 août 2019 et le 11 octobre 2019, Mme A... E..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 6 décembre 2018 en tant qu'il rejette les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 avril 2018.
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Aveyron du 11 avril 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aveyron de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, à défaut, de procéder au réexamen de sa demande dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à lui verser en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le jugement est irrégulier en ce que, contrairement à ce qui figure aux visas, le tribunal ne l'a pas informée de la substitution de base légale à laquelle il a procédé et ne l'a pas invitée à présenter ses observations ;
- il est entaché d'une omission à statuer sur le moyen tiré du défaut de motivation de la décision distincte du préfet de l'Aveyron portant application des dispositions de l'article L. 513-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français :
- elles ne sont pas suffisamment motivées en droit et en fait dès lors, en particulier, que le préfet n'a visé ni l'article L. 311-12 du code de 1'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni l'avis du médecin de collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration en date du 5 janvier 2018 ni l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- ce défaut de motivation révèle un défaut d'examen de sa situation notamment caractérisé par l'absence d'éléments ayant conduit le préfet à estimer que le défaut de prise en charge médicale de l'enfant ne devrait pas emporter des conséquences d'une exceptionnelle gravité et l'absence de prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant ;
- le préfet s'est estimé lié par l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et n'a pas exercé son pouvoir d'appréciation ;
- ces décisions ont été prises à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'en méconnaissance des articles R. 313-22 et R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'identité du médecin chargé d'établir le rapport médical n'est pas indiqué ;
- la décision portant refus d'admission au séjour est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation en ce que son fils est atteint d'un trouble du spectre de l'autisme d'une intensité sévère associé à un retard global de développement, dont le défaut de prise en charge peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité ;
- la décision de refus d'admission au séjour est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet n'a pas examiné sa demande sur le fondement de 1'article L.311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il n'a au demeurant pas visé, mais sur le fondement des dispositions de l'article L.311-11 (11°) du même code ;
- la substitution de base légale opérée par les premiers juges est irrégulière ;
- la décision de refus d'admission au séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation et de celle de son fils ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- elle méconnaît les stipulations de 1'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est privée de base légale ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, compte tenu notamment de la gravité de l'état de santé de son fils ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- elle est entachée d'erreur de droit au regard des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle encourt des risques en cas de retour dans son pays d'origine.
En ce qui concerne la décision portant fixation du pays de renvoi :
- elle est privée de base légale ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation en droit et en fait ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet de l'Aveyron s'est estimé lié par les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile.
En ce qui concerne la décision portant application des dispositions de l'article L.513-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d 'asile :
- elle est dépourvue de base légale ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation en droit et en fait.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 juillet 2019, le 14 août 2019 et le 13 septembre 2019, le préfet de l'Aveyron conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 16 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 18 octobre 2019 à 12 h 00.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R.313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... E..., ressortissante géorgienne née le 17 mars 1987, est entrée irrégulièrement en France selon ses déclarations le 5 mars 2013. Sa demande d'asile a été rejetée par 1'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 27 août 2014 et par la Cour nationale du droit d'asile le 13 mars 2015. Elle s'est maintenue sur le territoire et a sollicité, le 30 août 2017, son admission au séjour en qualité de parent accompagnant d'un enfant malade sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 11 avril 2018, le préfet de l'Aveyron a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a astreinte à se présenter au commissariat de police pour y indiquer les diligences en vue de son départ. Mme E... relève appel du jugement du 6 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si leur présence constitue une menace pour l'ordre public, une autorisation provisoire de séjour est délivrée aux parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions mentionnées au 11° de l'article L. 313-11, ou à l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'autorisation provisoire de séjour mentionnée au premier alinéa, qui ne peut être d'une durée supérieure à six mois, est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues au 11° de l'article L. 313-11. Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites ". Aux termes de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. / Les orientations générales mentionnées à la quatrième phrase du 11° de l'article L. 313-11 sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé ". Aux termes de l'article R. 313-23 de ce code : " Le rapport médical visé à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. (...) / Sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. (...) / Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. (...) / L'avis est transmis au préfet territorialement compétent, sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. ". En vertu de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 susvisé : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; / d) la durée prévisible du traitement. (...) ".
3. L'arrêté contesté, contenant la décision de rejet de la demande d'autorisation provisoire de séjour présentée par Mme E... sur le fondement des dispositions de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est rédigé de la manière suivante : " par un avis rendu le 5 janvier 2018, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a considéré que l'état de santé de Nicoloz Kobakhidze nécessite une prise en charge médicale, dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; qu'enfin au vu des éléments du dossier et à la date de cet avis, l'état de santé de l'enfant peut lui permettre de voyager sans risque vers le pays d'origine de ses parents ; que dans ces conditions, il n'y a pas lieu de munir Mme A... E... d'un titre de séjour, sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-11 11° et l'article L.511-4 10° du CESEDA ". Il s'évince de cette motivation éclairée par les autres éléments du dossier que le préfet de l'Aveyron, qui a seulement apprécié si l'état de santé de l'enfant pouvait lui permettre de voyager sans risque, s'est cru lié par l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration sur les conséquences d'un défaut de prise en charge médicale de l'enfant sans chercher à apprécier lui-même la situation de l'intéressée, ainsi que le lui imposent pourtant les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 2.
4. Dès lors, Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen tiré de l'erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués y compris ceux tirés de l'irrégularité du jugement, Mme E... est également fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de refus d'admission au séjour prise à son encontre par le préfet de l'Aveyron le 11 avril 2018 ainsi que, par voie de conséquence, des décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de renvoi et l'astreignant à se présenter au commissariat de police pour y indiquer les diligences en vue de son départ.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt n'implique pas la délivrance à Mme E... d'une autorisation provisoire de séjour sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens :
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 20 mars 2019. Son conseil peut donc se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans ces circonstances, et sous réserve que son conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°1802231-1802233 du 6 décembre 2018 du tribunal administratif de Toulouse, en tant qu'il rejette les conclusions dirigées contre l'arrêté du préfet de l'Aveyron du 11 avril 2018, et cet arrêté, sont annulés.
Article 2 : En application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'Etat versera à Me B..., avocat de Mme E..., la somme de 1 200 euros, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E..., au ministre de l'intérieur et à Me B.... Copie en sera adressée au préfet de l'Aveyron.
Délibéré après l'audience du 4 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme D... C..., présidente assesseure,
M. Paul-André Braud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 décembre 2019.
Le rapporteur,
Karine C...Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX01634 2