Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 mai 2019, M. C... E..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 10 décembre 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté précité du préfet de la Gironde du 6 juillet 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, de de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou, à défaut, de réexaminer sa situation en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour pendant le temps de ce réexamen ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement combiné des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne le refus de séjour :
- la convention internationale sur les droits de l'enfant n'est pas visée, ce qui constitue un défaut de motivation en droit au regard de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et révèle un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- concernant l'examen de sa demande au regard de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la rédaction de l'arrêté montre que le préfet s'est placé en situation de compétence liée par l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), entachant ainsi sa décision d'une erreur de droit ;
- le préfet a également commis une erreur de droit au regard de l'article L. 3111-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cet article n'imposant pas au demandeur de titre de séjour d'habiter avec l'enfant dont l'état de santé fonde la demande de titre de l'un de ses parents ; en revanche, il justifie contribuer à l'éducation et à l'entretien de son enfant ;
- au fond, les dispositions des articles L. 313-11-11 et L. 311-12 ont été méconnues, dès lors que l'absence de suivi médical de l'état de santé de sa fille peut entraîner pour elle des conséquences graves, alors au surplus que le collège des médecins de OFII n'a procédé à aucune analyse de la possibilité de soins dans le pays d'origine ;
- s'agissant de la demande formée, à titre subsidiaire, sur le fondement des articles L. 313-14 et L. 313-11-7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en opposant l'autorité de la chose jugée, le préfet a commis une erreur de fait et une erreur de droit, dès lors qu'il s'agit d'une nouvelle demande de titre, appuyée sur des pièces postérieures à l'arrêt de la cour du 9 octobre 2017 ;
- en tout état de cause, c'est à tort que le préfet a considéré qu'il ne justifiait pas de sa participation à l'entretien et à l'éducation de l'enfant ; il a commis une erreur manifeste d'appréciation de la situation et violé les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant;
S'agissant de la mesure d'éloignement :
- elle est illégale en raison de l'illégalité du refus de séjour ;
- elle viole l'article L. 511-4-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
S'agissant de l'interdiction de retour sur le territoire français :
- les conditions pouvant justifier l'intervention d'une interdiction de retour sur le territoire français, au sens de l'article L. 511-1 III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne sont pas réunies ; la décision est donc entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 août 2019, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête et demande à la cour de bien vouloir se référer à son mémoire de première instance.
Par une ordonnance en date du 23 août 2019, la clôture de l'instruction a été reportée au 9 septembre 2019.
Par une décision du 11 avril 2019, l'aide juridictionnelle totale a été accordée à M. C... E....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration :
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions, prévues à l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C... E..., ressortissant congolais né le 25 juillet 1993 à Kisangani (République Démocratique du Congo), est entré en France en juillet 2012. Sa demande d'asile ayant été définitivement rejetée par la Cour nationale du droit d'asile le 16 avril 2015, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour pour raisons de santé qui lui a été refusée par arrêté du 6 janvier 2017. La légalité de cet arrêté a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 12 juin 2017, lui-même confirmé par une ordonnance de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 9 octobre 2017. M. C... E... a, présenté, le 18 décembre 2017, une nouvelle demande, à titre principal en qualité de parent d'enfant malade, à titre subsidiaire sur le fondement de la vie privée et familiale. Par l'arrêté attaqué du 6 juillet 2018, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer l'autorisation provisoire de séjour demandée, l'a obligé à quitter le territoire dans le délai de trente jours et a interdit son retour sur le territoire pour une durée de deux ans. M. C... E... fait appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 10 décembre 2018, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 juillet 2018.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens :
2. Aux termes de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si leur présence constitue une menace pour l'ordre public, une autorisation provisoire de séjour est délivrée aux parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions mentionnées au 11° de l'article L. 313-11, ou à l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. / L'autorisation provisoire de séjour mentionnée au premier alinéa, qui ne peut être d'une durée supérieure à six mois, est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues au 11° de l'article L. 313-11. Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites ". Aux termes de l'article R. 313-22 de ce code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". Aux termes de l'article R. 313-23 du même code : " (...) Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège / (...) Le collège peut demander au médecin qui suit habituellement le demandeur, au médecin praticien hospitalier ou au médecin qui a rédigé le rapport de lui communiquer, dans un délai de quinze jours, tout complément d'information. Le demandeur en est simultanément informé. Le collège de médecins peut entendre et, le cas échéant, examiner le demandeur et faire procéder aux examens estimés nécessaires. Le demandeur présente au service médical de l'office les documents justifiant de son identité. Il peut être assisté d'un interprète et d'un médecin. Lorsque l'étranger est mineur, il est accompagné de son représentant légal ". Aux termes de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 dudit code : " ( ...) un collège de médecins (...) émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : / a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; / d) la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. / Cet avis mentionne les éléments de procédure. / (...). L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ".
3. M. C... E... a sollicité, à titre principal, un titre de séjour en raison de l'état de santé de sa fille, Shanna. Pour former son appréciation, le préfet relève que " d'après l'avis du collège des médecins de OFII du 5 février 2018 ", " il apparaît que " l'état de santé de l'enfant nécessite une prise en charge médicale, que le défaut de prise en charge ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, qu'au vu des éléments du dossier et à la date de l'avis, l'état de santé de cet enfant peut lui permettre de voyager sans risque vers son pays d'origine et qu'en tout état de cause, l'existence d'un traitement approprié dans le pays d'origine est sans incidence. Après avoir ainsi reproduit la teneur de l'avis du collège des médecins, le préfet en conclut " qu'ainsi ", M. C... E... " ne remplit pas les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 311-12 du code susvisé ". Comme le fait valoir le requérant, cette rédaction révèle que le préfet n'a pas exercé son propre pouvoir d'appréciation mais s'est senti lié par l'avis du collège des médecins. Par suite, le moyen tiré d'une erreur de droit dont est entaché le refus de séjour doit être accueilli. Ce seul moyen peut suffire à lui seul à annuler l'arrêté attaqué.
4. Cependant, au surplus, d'une part, ledit arrêté ne vise pas l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, article pourtant expressément invoqué dans la demande de titre de séjour formée par M. C... E... du 18 décembre 2017, ce qui, comme il le soutient, constitue une insuffisance de motivation en droit et révèle un défaut d'examen de sa situation. D'autre part, en opposant à M. C... E... l'autorité de la chose jugée par l'ordonnance de la cour de céans du 9 octobre 2017, qui portait sur un arrêté préfectoral antérieur, répondant à une demande de titre de séjour formée sur un fondement différent et alors que la situation de M. C... a pu évoluer depuis et qu'il produit à ce titre de nouvelles pièces, le préfet de la Gironde a entaché son arrêté d'une erreur de droit.
Sur les conclusions à fin d'annulation des autres mesures :
5. L'annulation du refus de séjour implique nécessairement l'annulation des mesures d'éloignement, de fixation du délai de départ volontaire, de fixation du pays de renvoi et d'interdiction de retour sur le territoire français, contenues dans l'arrêté attaqué.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Gironde du 6 juillet 2018.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Les motifs d'annulation retenus par le présent arrêt impliquent seulement que le préfet de la Gironde statue à nouveau sur la situation de M. C... E... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et lui délivre, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de ces dispositions, la somme de 1 500 euros au profit de Me B..., conseil de M. C... E..., sous réserve que celui-ci renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1804281 du 10 décembre 2018 du tribunal administratif de Bordeaux, ainsi que l'arrêté du préfet de la Gironde du 6 juillet 2018, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de réexaminer la situation de M. C... E... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me B..., conseil de M. C... E..., la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ledit conseil renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5: Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Me B... et à M. A... C... E.... Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 21 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme Karine Butéri, président-assesseur,
Mme D..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 novembre 2019.
Le rapporteur,
D...Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX01855 7