Procédure devant la cour :
I°) Par une requête, enregistrée le 19 mars 2020 sous le n° 20BX01018, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 26 février 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Gironde du 6 janvier 2020 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de l'autoriser à enregistrer sa demande d'asile en France et de lui délivrer un dossier de demande d'asile à transmettre à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ainsi qu'une autorisation provisoire de séjour dans le délai de 72 heures sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B... soutient que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé, dès lors que la motivation doit faire apparaître le critère de responsabilité retenu par l'autorité de l'État membre qui prononce ce transfert ; or, d'une part, l'arrêté contesté vise l'article 7.2 du règlement UE 604/2013 pour déterminer que la Hongrie et l'Allemagne sont responsables de l'examen de la demande, sans expliquer, s'agissant de l'Allemagne, ce qui motive sa responsabilité, et, d'autre part, alors qu'il résulte de l'entretien individuel qu'il est passé en Autriche après avoir quitté la Hongrie et avant d'aller en Allemagne, les motifs d'exclusion de l'Autriche n'apparaissent pas ;
- l'arrêté est également insuffisamment motivé s'agissant du refus de mise en oeuvre de la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement UE 604/2013, dès lors qu'il ne mentionne pas la lettre d'observations du 5 novembre 2019 dans laquelle il sollicitait l'application de la clause discrétionnaire, ce qui démontre également un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement UE 604/2013, dès lors qu'il a fait l'objet en Allemagne d'une décision de rejet de sa demande d'asile du 11 mai 2017 comportant obligation de quitter le territoire allemand, confirmée par le tribunal administratif de Ratisbonne le 13 juillet 2018 et, en appel, par le tribunal administratif fédéral par ordonnance du 5 avril 2019 ; sa demande de réexamen a été déclarée irrecevable le 14 août 2019 ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2020, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête et s'en remet aux écritures de première instance.
II°) Par une requête, enregistrée le 28 avril 2020 sous le n° 20BX01504, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) de surseoir à l'exécution de ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 26 février 2020 ;
2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B... se prévaut des mêmes moyens que dans sa requête n° 20BX01018.
Par une décision du 12 mars 2020, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Par un courrier, enregistré le 24 août 2020, la préfète de la Gironde a informé la cour de l'exécution de la décision de transfert le 29 juillet 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B..., ressortissant afghan, a déposé une demande d'asile le 25 août 2019. Le relevé de ses empreintes décadactylaires ayant révélé qu'il avait déposé une demande d'asile en 2014 en Hongrie, puis deux demandes en Allemagne en 2016 et 2019, la préfète de la Gironde a saisi les autorités hongroises et allemandes d'une demande de reprise en charge. Les autorités allemandes ayant fait connaître leur accord explicite le 19 septembre 2019, la préfète de la Gironde, par un arrêté du 6 janvier 2020, a décidé du transfert de l'intéressé aux autorités allemandes. M. B... relève appel du jugement du 26 février 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Les requêtes n° 20BX01018 et n° 20BX01504 présentées par M. B... sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
3. En premier lieu, conformément à l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
4. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre État membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet État, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'État en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
5. L'arrêté litigieux mentionne l'article 18-1-d) du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et indique que le relevé des empreintes décadactylaires de l'intéressé a révélé qu'il avait déposé deux demandes d'asile en Allemagne. Contrairement à ce que soutient le requérant, l'arrêté n'avait pas à mentionner le motif pour lequel l'Autriche, pays par lequel M. B... déclare être passé avant de pénétrer sur le territoire allemand, n'était pas considérée comme responsable de sa demande d'asile, ni à faire état de la lettre d'observations que l'intéressé soutient avoir adressé à la préfète le 5 novembre 2019. L'arrêté mentionne également, s'agissant de la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement n° 604/2013, que la situation de M. B..., qui ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France, ne relève pas de cette clause, que les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Allemagne sont conformes au droit européen, s'agissant notamment de l'offre de soins, et que l'intéressé n'établit pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités allemandes. Par suite, l'arrêté du 6 janvier 2020 est suffisamment motivé et cette motivation révèle que le préfet s'est livré à un examen sérieux de sa situation personnelle.
6. En second lieu, aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants ".
7. Il ressort des pièces du dossier que les affrontements armés qui prévalent sur l'ensemble du territoire afghan constituent une situation de conflit armé interne. Plus particulièrement, il résulte de l'extrait du rapport du conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies du 10 décembre 2019 consacré à la situation en Afghanistan que " Depuis que les pertes ont commencé à être systématiquement recensées, en 2009, jamais autant de victimes civiles ont été déplorées en un seul trimestre que pendant la période allant du 1er juillet au 30 septembre 2019 ". Le rapport mentionne également l'augmentation des affrontements armés, des attaques suicides, des attaques à l'aide d'engins explosifs et des réponses aériennes. Cette situation perdurait à la date de l'arrêté attaqué. La demande d'asile de M. B... a été rejetée par le Budesamt für Migration und Flüchtlinge (Office fédéral de l'immigration et des réfugiés), et ce rejet a été confirmé par le tribunal administratif de Ratisbonne le 13 juillet 2018 et, en appel, par le tribunal administratif supérieur par ordonnance du 5 avril 2019. Le 14 août 2019, le Bundesamt für Migration und Flüchtlinge a rejeté sa demande de réexamen comme irrecevable, en précisant que l'intéressé restait en conséquence sous la menace d'une mesure d'éloignement du territoire allemand et que le recours contre cette décision n'avait pas d'effet suspensif. Toutefois, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les autorités allemandes n'évalueront pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de l'intéressé, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour en Afghanistan. Dans ces conditions, en refusant de faire application du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de M. B....
8. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
9. Le présent arrêt statuant sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du 26 février 2020, les conclusions de la requête n° 20BX01504 tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20BX01504 de M. B....
Article 2 : La requête n° 20BX01018 de M. B... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 29 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme C..., présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier-conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2020.
Le président,
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
6
N° 20BX01018, N° 20BX01504