Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2020, le préfet de l'Ariège demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 3 mars 2020.
Il soutient que c'est à tort que le premier juge a accueilli le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de la situation de la requérante au regard des violences conjugales dont elle s'est prévalues.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 septembre 2020, Mme D..., représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et subsidiairement, de réexaminer sa situation sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par le préfet n'est fondé.
Par ordonnance du 23 juillet 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 23 septembre 2020 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante géorgienne née le 26 mai 1976, est entrée en France le 13 mai 2019, selon ses déclarations. Elle a présenté une demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 29 août 2019 puis définitivement par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 20 novembre 2019. Par un arrêté en date du 26 décembre 2019, le préfet de l'Ariège l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière. Par un jugement du 3 mars 2020, dont le préfet relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme D....
Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :
2. Pour demander l'annulation de l'arrêté en litige l'appelante faisait valoir qu'elle avait fui son pays d'origine pour échapper aux violences de son époux. D'une part, Mme D..., qui a vécu en Géorgie jusqu'à l'âge de 43 ans et réside sur le territoire français depuis seulement sept mois à la date de la décision, n'a été admise à y séjourner qu'à titre provisoire dans l'attente de la décision concernant sa demande d'asile. Elle n'est pas isolée dans son pays d'origine, contrairement à ce qu'a relevé à tort le premier juge, puisqu'elle a indiqué à l'OFPRA que ses deux parents, des membres de sa fratrie ainsi que deux enfants y résidaient. D'autre part, si Mme D... a subi des violences conjugales de son ex-époux, dont elle est au demeurant divorcée depuis 2015, elle n'a, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, en aucune façon par les éléments versés au dossier démontré, pas plus d'ailleurs qu'elle ne l'avait allégué, être dans l'impossibilité de s'installer soit en Géorgie dans un autre domicile que celui de son ex-époux, soit dans tout autre pays où elle serait légalement admissible. En particulier, elle a indiqué à l'OFPRA et à la CNDA que " la police est intervenue à la demande des voisins alertés par ses cris. Face aux menaces de suicide de son fils, elle a refusé de déposer plainte malgré les recommandations de la police et le soutien de sa famille ". Par suite, elle ne peut se prévaloir d'un défaut de protection des autorités géorgiennes et elle n'a pas davantage en appel justifié d'un tel défaut de protection. Dès lors, alors même que sa soeur réside régulièrement sur le territoire français et indique qu'elle pourrait prendre en charge l'appelante, le préfet de l'Ariège est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a annulé, pour le motif tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de Mme D..., la décision du 26 décembre 2019 portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi.
3. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... à l'encontre de l'arrêté attaqué devant le tribunal administratif de Toulouse et devant la cour.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
5. La décision en litige vise l'ensemble des articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatifs aux mesures d'éloignement. Elle indique les conditions d'entrée et de séjour en France de Mme D... et la circonstance qu'elle a été déboutée de sa demande d'asile. Elle indique également un certain nombre d'éléments ayant trait à la situation personnelle de l'intéressée. Ainsi, la décision, qui n'avait pas, au demeurant, à faire état de l'ensemble des éléments caractérisant la situation de l'intéressée, comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent les fondements. La circonstance que la décision attaquée n'indique pas que l'appelante est divorcée n'est pas de nature à caractériser l'existence d'une erreur de fait dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle l'aurait indiqué lors de l'examen de sa demande d'asile. Dès lors, cette décision est suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
6. En deuxième lieu, cette motivation ne révèle pas, du seul fait qu'elle ne serait pas exhaustive quant à la situation de Mme D... et notamment de la présence d'une soeur en France titulaire d'une carte de résident, que le préfet se serait abstenu de se livrer à un examen attentif de sa situation particulière.
7. En troisième lieu, Mme D... soutient qu'il n'est pas établi qu'elle ait pu présenter ses observations préalablement à l'édiction de la décision contestée, en méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et du droit d'être entendu. Cependant, d'une part il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt C-141/12 et C-372/12 du 17 juillet 2014), que l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse non pas aux États membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations par une autorité d'un État membre est inopérant. D'autre part, une atteinte au droit d'être entendu garanti par les principes généraux du droit de l'Union européenne n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision. En l'espèce, Mme D... se borne à faire valoir qu'elle a invoqué devant l'OFPRA et la CNDA des éléments précis et circonstanciés sur sa situation de femme divorcée, victime de violences conjugales et mère d'un enfant souffrant de troubles psychologiques qui n'était pas en mesure de la suivre en France et qu'elle pouvait également faire valoir le fait que sa soeur la soutenait au plan matériel et psychologique mais elle ne précise pas en quoi elle disposait d'informations pertinentes tenant à sa situation personnelle qu'elle aurait été empêchée de porter à la connaissance de l'administration en se présentant elle-même à la préfecture avant que ne soit prise la décision en litige et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à y faire obstacle. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et du principe général du droit de l'Union européenne garantissant à toute personne le droit d'être entendue préalablement à l'adoption d'une mesure individuelle l'affectant défavorablement, ne peut qu'être écarté.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ".
9. Mme D... fait valoir qu'elle est entrée en France pour fuir les violences conjugales qu'elle subissait dans son pays d'origine et pour y rejoindre sa soeur qui réside régulièrement sur le territoire français et qui l'héberge. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'elle est entrée très récemment en France. En outre, si Mme D... se prévaut de la présence en France de sa soeur, elle n'établit ni même n'allègue être dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où elle a vécu, jusqu'à l'âge de quarante-trois ans. Enfin, la seule circonstance qu'elle assiste à des cours de français, ne suffit pas à caractériser une insertion sociale particulière sur le territoire. Dès lors, eu égard notamment aux conditions de son séjour en France, l'arrêté litigieux n'a pas porté au droit de Mme D... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été édicté. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
10. En dernier lieu, Mme D... affirme qu'un éventuel retour dans son pays d'origine lui sera inévitablement préjudiciable dans la mesure où elle y encourt des risques de mauvais traitements. À supposer que l'intéressée ait entendu ainsi invoquer l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, assurant une protection contre les traitements inhumains et dégradants, la méconnaissance de ces stipulations ne peut être utilement soulevée à l'encontre de l'arrêté contesté en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français dans la mesure où cette décision n'implique pas, par elle-même, le retour de l'intéressée dans son pays d'origine.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
11. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
12. En premier lieu, la décision fixant le pays de destination est suffisamment motivée en droit comme en fait, dès lors que l'arrêté contesté vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 3, ainsi que les dispositions du code de l'entrée et du séjour, notamment son article L. 511-1, sur lesquelles il se fonde, qu'il expose avec une précision suffisante les conditions de séjour en France de Mme D... ainsi que les éléments relatifs à sa situation personnelle et familiale et qu'il précise notamment que l'intéressée n'établit pas être exposée à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine.
13. Si Mme D... fait valoir que son retour en Géorgie l'exposerait à un grand isolement, elle n'établit pas en quoi cet isolement pourrait faire peser sur elle des risques personnels et réels au sens de l'article 3 précité, alors, au demeurant, que, d'une part, comme cela a déjà été dit ci-dessus, elle n'établit pas être dépourvue d'attaches familiales dans ce pays où elle a vécu jusqu'à l'âge de 43 ans et où, a minima, selon ses propres déclarations et son " récit de vie " devant l'OFPRA, vivent ses parents et d'autres membres de sa proche famille, et que, d'autre part, sa demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
14. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l'Ariège, s'il a notamment pris en compte la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant sa demande d'asile, après s'être livré à un examen de la situation personnelle de Mme D..., se soit estimé lié par cette décision. Dès lors, le moyen tiré de ce que le préfet a commis une erreur de droit en se croyant en situation de compétence liée doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Ariège est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé ses décisions du 26 décembre 2019 obligeant Mme D... à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination et lui a enjoint de réexaminer la situation de l'intéressée. Il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, et en tout état de cause, les conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par Mme D... devant le tribunal et devant la cour.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 3 mars 2020 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.
Article 3 : Les conclusions d'appel de Mme D... et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... D.... Copie en sera adressée au préfet de l'Ariège.
Délibéré après l'audience du 29 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme F..., présidente-assesseure,
Mme B... C..., premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 décembre 2020.
Le président,
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02251