Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 juin 2018, M. C...D..., représenté par la SELARL Eden avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
3°) d'enjoindre à la préfète de Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du nouvel examen de sa situation, dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jimmy Robbe, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Sur la décision d'obligation de quitter le territoire français :
1. Cette décision comprend l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde, notamment les différentes demandes d'asile et de réexamen que l'intéressé a formées depuis 2016 ou encore la possibilité de reconstituer sa cellule familiale dans son pays d'origine compte tenu de la situation de son épouse identique à la sienne. Par suite, et alors que la préfète de la Seine-Maritime n'était pas tenue de faire état de l'ensemble des éléments de fait relatifs à la situation de M. D..., notamment s'agissant de la présence en France de son enfant mineur et scolarisé, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit être écarté.
2. Il ne ressort ni de la motivation de l'arrêté en litige, ni des autres pièces du dossier, que la préfète de la Seine-Maritime n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation personnelle de M. D...en obligeant celui-ci à quitter le territoire français. Le moyen tiré du défaut d'un tel examen doit par suite être écarté.
3. Aux termes de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 743-1, sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque : (...) / 5° L'étranger présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d'une première demande de réexamen (...) ". Il résulte de ces dispositions que, sous les réserves qu'elles énoncent, un étranger qui présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d'une première demande de réexamen, y compris si cette première demande a été rejetée comme irrecevable, ne dispose plus du droit de se maintenir sur le territoire français et peut être obligé de quitter le territoire français, sur le fondement des dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du même code, aux termes desquelles " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) / 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ".
4. La demande d'asile déposée par M.D..., ressortissant albanais né le 20 juillet 1987, a été rejetée par l'office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFRPA) par une décision du 28 septembre 2016. La cour nationale du droit d'asile (CNDA) a rejeté le recours dirigé contre cette décision par un arrêt du 8 mars 2017. La première demande réexamen a été rejetée comme irrecevable par l'OFRPA par une décision du 11 août 2017, et le recours dirigé contre cette décision rejeté par la CNDA par un arrêt du 8 novembre 2017, devenu définitif. M.D..., qui a présenté une nouvelle demande de réexamen, est ainsi entré dans les prévisions des dispositions du 5° de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit par suite être écarté.
5. Si M. D...indique que sa fille, la jeuneA..., née le 14 février 2014, est scolarisée en France, il n'établit ni même n'allègue que cette scolarisation ne pourrait se poursuivre dans son pays d'origine. Il n'établit non plus ni n'allègue que la décision l'obligeant à quitter le territoire aurait pour objet ou pour effet de séparer la jeune A...de sa mère, également ressortissante albanaise, et avec laquelle il a déclaré être entré en France. Au regard des pièces du dossier, rien ne s'oppose donc à ce que la cellule familiale puisse se recomposer en Albanie. Le moyen tiré de la violation des stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit ainsi être écarté.
6. M. D...ne se prévaut, en dehors de la scolarisation de sa fille et d'une promesse d'embauche, d'aucune autre circonstance traduisant l'intensité de ses liens personnels et familiaux en France. Ainsi, et compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, et des conditions et de la durée de son séjour en France, lequel ne s'est prolongé qu'en vue de permettre l'instruction de ses demandes d'asile, le moyen tiré ce que la décision obligeant M. D...à quitter le territoire français aurait porté une atteinte excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être écarté, ainsi que celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation.
Sur la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
7. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) II. (...) / l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2. ".
8. Il ressort des termes de l'arrêté en litige que la préfète de la Seine-Maritime, pour obliger M. D...à quitter sans délai le territoire français, s'est uniquement fondée sur le motif tiré de ce qu'il n'a présenté aucun document d'identité ou de voyage en cours de validité. M.D..., qui , à l'occasion de ses demandes d'asile successives, a toujours déclaré la même adresse, verse au dossier la copie de son passeport albanais en cours de validité, ainsi, d'ailleurs, que celui de son épouse, et de leur fille. Cette dernière, ainsi qu'il a été dit précédemment, est scolarisée. Ainsi, la préfète de la Seine-Maritime, en estimant que M. D...ne présentait pas de garanties suffisantes de représentation et qu'il existait, dès lors un risque qu'il se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français dont il faisait l'objet, a fait une inexacte application des dispositions du II de l'article L.511-1 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que la décision lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire est entachée d'illégalité.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
10. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour (...) ".
11. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler par voie de conséquence la décision interdisant à M. D...le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, qui n'aurait pu légalement être prise en l'absence de décision refusant de lui octroyer un délai de départ volontaire.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. L'annulation, par le présent arrêt, des décisions portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français n'implique pas nécessairement la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour. Les conclusions tendant à ce qu'il enjoint à la préfète de Seine-Maritime de procéder à cette délivrance doivent ainsi être rejetées.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. D...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire et lui interdisant le retour sur le territoire français.
Sur les frais de procédure :
14. En application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 800 euros à Me B...E..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 6 avril 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé uniquement en tant qu'il a rejeté la demande de M. D...tendant à l'annulation des décisions du 15 mars 2018 portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français.
Article 2 : Les décisions du 15 mars 2018 refusant à M. D...l'octroi d'un délai de départ volontaire et lui interdisant le retour sur le territoire français sont annulées.
Article 3 : L'État versera la somme de 800 euros à Me B...E...au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D..., au ministre de l'intérieur et à Me B...E....
N°18DA01319 4