Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 juillet 2018, la préfète de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M.A....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A...est un ressortissant soudanais né en 1995 et entré irrégulièrement en France en 2018. Il a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de la Seine-Maritime. La consultation du fichier Eurodac a révélé que les empreintes digitales de l'intéressé avaient été relevées en Italie, le 18 avril 2017, à l'occasion du franchissement irrégulier de la frontière de cet Etat. Par un arrêté du 29 mai 2018, la préfète de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités italiennes au motif que celles-ci sont responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par un jugement du 19 juin 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 29 mai 2018 au motif que l'administration n'établissait pas la réalité de la demande de prise en charge adressée aux autorités italiennes, ni, par conséquent, l'existence de l'accord implicite délivré par ces dernières. La préfète de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Les articles 20 et suivants du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride fixent les règles selon lesquelles sont organisées les procédures de prise en charge ou de reprise en charge d'un demandeur d'asile par l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile. Ces articles déterminent notamment les conditions dans lesquelles l'Etat sur le territoire duquel se trouve le demandeur d'asile requiert de l'Etat qu'il estime responsable de l'examen de la demande de prendre ou de reprendre en charge le demandeur d'asile. Dans ce cadre, le paragraphe 1 de l'article 26 du règlement précise que : " Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale ". Le paragraphe 1 de l'article 27 du règlement prévoit, pour sa part, que le demandeur " dispose d'un droit de recours effectif, sous la forme d'un recours contre la décision de transfert ou d'une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction ".
3. Pour pouvoir procéder au transfert d'un demandeur d'asile vers un autre Etat membre en mettant en oeuvre ces dispositions du règlement, et en l'absence de dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile organisant une procédure différente, l'autorité administrative doit obtenir l'accord de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile avant de pouvoir prendre une décision de transfert du demandeur d'asile vers cet Etat. Une telle décision de transfert ne peut donc être prise, et a fortiori être notifiée à l'intéressé, qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'Etat requis. Le juge administratif, statuant sur des conclusions dirigées contre la décision de transfert et saisi d'un moyen en ce sens, prononce l'annulation de la décision de transfert si elle a été prise sans qu'ait été obtenue, au préalable, l'acceptation par l'Etat requis de la prise ou de la reprise en charge de l'intéressé.
4. Pour annuler, par le jugement attaqué, l'arrêté en litige par lequel la préfète de la Seine-Maritime a décidé le transfert de M. A...aux autorités italiennes, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur l'absence de production, par la préfète, de la demande de prise en charge de l'intéressé adressée aux autorités italiennes, dont il a déduit que l'accord implicite de ces autorités n'était pas établi à la date de la décision de transfert. Toutefois, la préfète de la Seine-Maritime produit, devant la cour, d'une part, le formulaire-type de demande de prise en charge concernant M.A..., d'autre part, la preuve de l'envoi de ce formulaire au point d'accès national du réseau de communication électronique " Dublinet " et, enfin, l'accusé de réception délivré par ce réseau. Ces pièces établissent la réalité de la transmission aux autorités italiennes, le 20 mars 2018, d'une demande de prise en charge de M. A...sur leur territoire. Dès lors, en application du paragraphe 7 de l'article 22 du règlement du 26 juin 2013, le silence gardé par les autorités italiennes sur cette demande a donné naissance à un accord implicite au terme d'un délai de deux mois. Par suite, cet accord était bien intervenu à la date de l'arrêté en litige, qui n'est donc pas entaché d'illégalité pour ce motif.
5. Il résulte de ce qui précède que la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur ce motif pour annuler l'arrêté en litige.
Sur la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif :
6. Le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 fixe, à ses articles 7 et suivants, les critères à mettre en oeuvre pour déterminer, de manière claire, opérationnelle et rapide ainsi que l'ont prévu les conclusions du Conseil européen de Tempere des 15 et 16 octobre 1999, l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile. La mise en oeuvre de ces critères peut conduire, le cas échéant, à une demande de prise ou reprise en charge du demandeur, formée par l'Etat membre dans lequel se trouve l'étranger, dénommé " Etat membre requérant ", auprès de l'Etat membre que ce dernier estime être responsable de l'examen de la demande d'asile, ou " Etat membre requis ". En cas d'acceptation de ce dernier, l'Etat membre requérant prend, en vertu de l'article 26 du règlement, une décision de transfert, notifiée au demandeur, à l'encontre de laquelle ce dernier dispose d'un droit de recours effectif, en vertu de l'article 27, paragraphe 1, du règlement. Aux termes du paragraphe 3 du même article : " Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national : / a) le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l'État membre concerné en attendant l'issue de son recours ou de sa demande de révision (...) ". Aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant ".
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". En vertu du II du même article, lorsque la décision de transfert est accompagnée d'un placement en rétention administrative ou d'une mesure d'assignation à résidence notifiée simultanément, l'étranger dispose d'un délai de 48 heures pour saisir le président du tribunal administratif d'un recours et ce dernier dispose d'un délai de 72 heures pour statuer. Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article L. 742-6 du même code prévoit que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".
8. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
9. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 29 mai 2018 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a ordonné la remise de M. A...aux autorités italiennes est intervenu moins de six mois après la décision par laquelle l'Italie a donné son accord pour sa réadmission, dans le délai d'exécution du transfert fixé par l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. Ce délai a toutefois été interrompu par l'introduction, par M.A..., d'un recours contre cet arrêté, présenté sur le fondement de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Un nouveau délai de six mois a recommencé à courir à compter du jugement du tribunal administratif de Rouen du 19 juin 2018 statuant au principal sur le recours, notifié le 2 juillet 2018, et qui a annulé l'arrêté du 29 mai 2018. L'expiration de ce nouveau délai, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait été prolongé, a eu pour conséquence, par application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que l'Italie a été libérée de son obligation de prendre en charge le demandeur, et la responsabilité de l'examen de la demande d'asile de celui-ci transférée à la France. Dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 29 mai 2018 n'a pas été exécuté, et qu'il n'est, compte tenu de ce qui vient d'être dit, plus susceptible de l'être, la demande de M. A...tendant à l'annulation de cet arrêté est devenue sans objet. Par suite, il n'y a pas lieu pour la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'y statuer.
10. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A...doivent dès lors être rejetées.
11. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement au conseil de M. A... de la somme qu'il demande sur le fondement de cet article.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen du 19 juin 2018 est annulé.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Rouen.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. A...devant la cour est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., au ministre de l'intérieur et à Me C....
N°18DA01470