Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 mai 2016, la préfète de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M.E....
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier car il annule l'arrêté en litige sur le fondement du 5) et non du 7) de l'article 6 de l'accord franco-algérien, au regard duquel il a seul examiné la demande de l'intéressé ;
- il est irrégulier car la demande de M. E...devant le tribunal était tardive et aurait dû être rejetée comme irrecevable ;
- M. E...n'a fait valoir à l'appui de sa demande d'admission exceptionnelle au séjour aucun élément démontrant une situation humanitaire exceptionnelle ;
- la régularité et la continuité de sa prise en charge médicale et du suivi de son traitement par l'intéressé ne sont pas démontrées ;
- le traitement et le suivi nécessaires à son état de santé sont disponibles en Algérie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2016, M.E..., représenté par la SELARL Eden avocats, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, au profit de son avocat, la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- sa requête devant le tribunal n'était pas tardive ;
- la mention du 7) plutôt que du 5) de l'accord franco-algérien résulte d'une erreur de plume ;
- il suit son traitement ;
- un retour en Algérie l'exposerait à des conséquences d'une exceptionnelle gravité ;
- il ne pourra avoir effectivement accès au traitement et au suivi médical nécessaires en Algérie où l'offre de soins n'est pas appropriée qualitativement et quantitativement à son état de santé ;
- ces troubles psychotiques trouvent directement leur source dans un traumatisme vécu en Algérie, ce qui exclut la poursuite de ses soins dans ce pays ;
- le refus de titre de séjour est entaché d'un défaut de motivation ;
- la commission du titre de séjour aurait dû être consultée ;
- cette décision est entachée d'une erreur de fait au regard de la durée de son séjour en France ;
- le refus de l'admettre exceptionnellement au séjour est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conditions de vie en France ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français n'a pas été précédée de l'avis du médecin de l'agence régionale de santé sur la possibilité de voyager ;
- elle est illégale par conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale par conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour et de la mesure d'éloignement.
Le président du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Douai a maintenu à M. E...le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 juin 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Sur la régularité du jugement :
1. Considérant que, pour annuler la décision contestée, le tribunal administratif s'est fondé sur les stipulations du 7) de l'article 6 de l'accord franco-algérien relatif à la situation des Algériens malades qu'il cite au point 2 de son jugement, qu'il analyse au point 3, et dont il fait application à la situation de M. E...au point 4 ; que la seule circonstance qu'au terme de son raisonnement le tribunal se soit référé aux stipulations du 5) de l'article 6 de cet accord et non à celles du 7) pour estimer qu'elles avaient été méconnues présente en l'espèce le caractère d'une erreur de plume ; que cette erreur est sans incidence sur la régularité du jugement ;
Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande de première instance :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 38 du décret du 19 décembre 1991 pris pour l'application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Lorsqu'une action en justice doit être intentée avant l'expiration d'un délai devant la juridiction du premier degré, (...) l'action est réputée avoir été intentée dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice est introduite dans un nouveau délai de même durée à compter : / (...) / c) De la date à laquelle la décision d'admission ou de rejet de la demande est devenue définitive ; d) Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné " ;
3. Considérant qu'il résulte de ce ces dispositions que lorsque le délai de recours contentieux devant un tribunal administratif est interrompu par une demande d'aide juridictionnelle, ce délai recommence à courir, en cas de décision d'admission ou de rejet du bureau d'aide juridictionnelle, le jour où cette décision devient définitive, c'est-à-dire le jour où il n'est plus possible d'exercer contre elle l'un des recours prévus à l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991 dans les délais prévus à l'article 56 du décret du 19 décembre 1991 ou, si un tel recours est exercé, le jour où il est statué sur ce recours ; qu'il résulte de ces dernières dispositions qu'un recours peut être exercé contre une décision d'admission à l'aide juridictionnelle par le ministère public, le garde des sceaux, le ministre de la justice, le bâtonnier ou le président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation dans un délai de deux mois à compter du jour de la décision ;
4. Considérant que M. E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2015 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Rouen, qui a également désigné l'avocate chargée de l'assister ; que la requête de M. E...a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Rouen le 24 décembre 2015, soit avant l'expiration d'un nouveau délai de trente jours à compter de la date à laquelle la décision d'admission de la demande d'aide juridictionnelle est devenue définitive ; que, par suite, ses conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 16 septembre 2015 n'étaient pas tardives ; que le préfet de la Seine-Maritime ne peut utilement se prévaloir des dispositions du d) de l'article 38 du décret du 19 décembre 1991, citées au point 1, pour soutenir que la demande de l'intéressé était irrecevable, dès lors qu'elles ne trouvent à s'appliquer, en cas de décision d'admission, que si la désignation de l'auxiliaire de justice intervient postérieurement au jour où la décision statuant sur la demande d'aide juridictionnelle devient définitive ; qu'ainsi, le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que le tribunal administratif de Rouen aurait dû rejeter comme tardive la demande de M.E... ;
Sur le refus de titre de séjour :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / (...) / 7) Au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays " ; qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance ou le renouvellement d'un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui se prévaut de ces stipulations de vérifier que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays d'origine ; que lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine ; que si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine ;
6. Considérant que le préfet, saisi d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, inapplicable aux ressortissants algériens, a statué en faisant application des stipulations du 7) de l'article 6 de l'accord franco-algérien qui correspondaient à la situation de M.E... ; que le médecin de l'agence régionale de santé a estimé le 9 juin 2015 que l'état de santé du demandeur nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que l'intéressé ne pouvait avoir accès, dans son pays d'origine, à un traitement approprié ; que le préfet de la Seine-Maritime, qui n'a pas suivi cet avis, a estimé que la pathologie dont souffre M. E...pouvait être prise en charge en Algérie où les traitements y sont disponibles et accessibles, et que l'intéressé n'établissait pas l'impossibilité pour lui d'accéder effectivement à ces soins dans ce pays ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du certificat médical établi le 18 décembre 2014 par le chef du service psychiatrie du centre hospitalier de Rouen qui suit M. E...que celui-ci est traité depuis 2010 pour des manifestations psychotiques, associées à une dépendance aux opiacés médicaux ; que les attestations, certificats médicaux et ordonnances versés au dossier confirment le suivi médical régulier du patient ainsi que son traitement de substitution aux opiacés ; que cette chimiothérapie et la prise de produits de substitution ont permis une stabilisation de l'état de M. D...qui demeure cependant précaire et susceptible de rechute ; qu'une interruption du suivi médical entrepris expose le patient à des risques de suicide ; qu'il ne ressort pas des certificats médicaux qui soulignent la fragilité psychologique de l'intéressé que M. E...serait en état de se prendre en charge lui-même ; que les problèmes psychiatriques du requérant résultant, au moins en partie, des maltraitances dont il a souffert dans sa jeunesse, il ne ressort pas des pièces du dossier que des proches, résidant en Algérie, seraient en mesure de pallier la défaillance de M. E...si, de retour dans son pays, il ne prenait pas l'initiative d'entamer les démarches qui assureraient la poursuite des soins qu'exige son état ;
8. Considérant que si le préfet démontre qu'il existe une prise en charge générale des troubles psychiatriques en Algérie, et notamment à Annaba, il ressort également des pièces du dossier que les personnes souffrant d'addiction aux opiacés éprouvent de grandes difficultés à bénéficier d'un traitement de substitution ; qu'eu égard à la particularité de la pathologie dont souffre le requérant, dont les troubles psychotiques associés à la dépendance aux drogues appellent un suivi personnalisé qui ne lui a été assuré qu'après une longue période de dérive personnelle et sociale, et du nombre de médicaments qui lui sont régulièrement prescrits selon un dosage qui varie dans le temps, c'est à tort que le préfet de la Seine Maritime a estimé que M. E... pourrait effectivement bénéficier en Algérie des soins qu'appelle son état de santé ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 16 septembre 2015 ; qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, au profit du conseil de M.E..., une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est annulée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...E..., au ministre de l'intérieur et à Me B...C....
Copie en sera transmise pour information à la préfète de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 4 novembre 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Xavier Fabre, premier conseiller,
- Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller.
Lu en audience publique le 24 novembre 2016.
Le rapporteur,
Signé : A. FORT-BESNARDLe président de la formation de jugement,
Signé : C. BERNIER
Le greffier,
Signé : C. SIRE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier en chef,
Par délégation,
Le greffier,
Christine Sire
N°16DA00964 2