Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 novembre 2017, le préfet du Nord, représenté par la SELARL Claisse et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. C...D....
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Yeznikian, président de chambre,
- et les observations de Me E...A..., représentant le préfet du Nord.
Considérant ce qui suit :
1. M. C...D..., ressortissant somalien, né le 19 décembre 1970, a présenté, après son arrivée en France, une demande d'asile à la préfecture du Nord le 24 avril 2017. A la suite d'une vérification, il est apparu qu'une première demande d'asile avait été enregistrée le 12 novembre 2015 en Belgique. Le préfet du Nord ayant estimé que cet Etat membre était responsable de la demande, l'a requis en vue d'une reprise en charge qui a été acceptée le 17 mai 2017. Le préfet du Nord a alors pris, le 28 septembre 2017, un arrêté de transfert aux autorités belges et a assigne l'intéressé à résidence. Le préfet relève appel du jugement du 18 octobre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté précité.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet du Nord :
2. Aux termes, d'une part, de l'article R. 777-3 du code de justice administrative : " Sont présentés, instruits et jugés selon les dispositions des articles L. 742-4 à L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles du présent code, sous réserve des dispositions du présent chapitre, les recours en annulation formés contre les décisions de transfert mentionnées à l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, le cas échéant, contre les décisions d'assignation à résidence prises en application de l'article L. 561-2 de ce code au titre de ces décisions de transfert ".
3. L'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " I. - L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / (...) / II. - Lorsqu'une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 est notifiée avec la décision de transfert, l'étranger peut, dans les quarante-huit heures suivant leur notification, demander au président du tribunal administratif l'annulation de la décision de transfert et de la décision d'assignation à résidence. / Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans le délai prévus au III de l'article L. 512-1 / (...) ".
4. Aux termes, d'autre part, de l'article R. 777-31 du code de justice administrative : " I. - Conformément aux dispositions du I de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification d'une décision de transfert fait courir un délai de quinze jours pour contester cette décision. / II. - Conformément aux dispositions du II de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification simultanée d'une décision de placement en rétention ou d'assignation à résidence et d'une décision de transfert fait courir un délai de quarante-huit heures pour contester la décision de transfert et, le cas échéant, celle d'assignation à résidence ". Selon l'article R. 777-3-2 du même du même code : " Les délais de recours contentieux mentionnés à l'article R. 777-3-1 ne sont susceptibles d'aucune prorogation. / Le second alinéa de l'article R. 411-1 n'est pas applicable et l'expiration du délai de recours contentieux n'interdit pas au requérant de soulever des moyens nouveaux, quelle que soit la cause juridique à laquelle ils se rattachent ". L'article R. 777-3-9 du code de justice administrative, qui est inséré dans une section dont les dispositions sont applicables aux recours en annulation contre les décisions de transfert mentionnées à l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence, prévoit en outre que : " La présentation, l'instruction et le jugement des recours obéissent aux règles définies aux articles R. 776-4, R. 776-5-II, (...)".
5. Le premier alinéa de l'article R. 776-4 du code de justice administrative prévoit que : " Conformément aux dispositions du III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le délai de recours contentieux contre les décisions mentionnées à l'article R. 776-1 en cas de placement en rétention administrative ou d'assignation à résidence en application de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est de quarante-huit heures. Ce délai court à compter de la notification de la décision par voie administrative ". Le II de l'article R. 776-5 du code de justice administrative dispose enfin que : " Les délais de quarante-huit heures mentionnés aux articles R. 776-2 et R. 776-4 et les délais de quinze jours mentionnés aux articles R. 776-2 et R. 776-3 ne sont susceptibles d'aucune prorogation. / (...) / Le requérant qui, dans le délai de quarante-huit heures ou de quinze jours selon les cas, a demandé l'annulation de l'une des décisions qui lui ont été notifiées simultanément peut, jusqu'à la clôture de l'instruction, former des conclusions dirigées contre toute autre de ces décisions ".
6. Il ressort de ces dispositions combinées que le délai de recours contre une mesure d'assignation à résidence et la décision de transfert, notifiées simultanément, est en principe de 48 heures. Ce délai ne fait pas normalement l'objet de prorogation. Toutefois, lorsque seule une de ces décisions a été attaquée devant la juridiction dans le délai de 48 heures, l'étranger peut, jusqu'à la clôture de l'instruction qui intervient à la fin de l'audience, compléter son recours initial en formant des conclusions dirigées contre l'autre décision même au-delà du délai de 48 heures initial.
7. Il ressort des pièces du dossier que la décision ordonnant le transfert de M. C... D...et celle prononçant son assignation à résidence lui ont été notifiées simultanément, le 28 septembre 2017 à 14 heures, avec l'indication des voies et délais de recours. Dès lors, le requérant disposait du délai de quarante-huit heures à compter de cette notification, prévu par les dispositions du II de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et rappelé au II de l'article R. 777-3-1 du code de justice administrative, pour former un recours contentieux contre la décision de transfert. Le 29 septembre 2018, M. C... D...a saisi le tribunal administratif de Lille de conclusions tendant à l'annulation de la décision l'assignant à résidence, soit dans le délai de quarante-huit heures précité. Le 9 octobre 2017, il a déposé un nouveau mémoire par lequel il a complété sa saisine du tribunal de conclusions en demandant également l'annulation de la décision ordonnant son transfert vers la Belgique. De telles conclusions, bien que présentées au-delà du délai de quarante-huit heures, n'étaient pas irrecevables compte tenu des dispositions du dernier alinéa de l'article R. 776-5 du code de justice administrative citées au point 5 rendues applicables au contentieux des décisions de transfert en application de l'article R. 777-3-9 du même code, et au regard de ce qui a été dit au point 6. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le préfet du Nord tirée de la tardiveté des conclusions présentées à l'encontre de la décision de transfert du 28 septembre 2017 doit être rejetée.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :
8. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent (...) / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères (...) / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. C... D..., qui a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture du Nord, le 24 avril 2017, s'est vu remettre le même jour deux brochures relatives au règlement Dublin III en langue anglaise. Ces documents, signés par l'intéressé lors de leur remise, portent la mention que ce dernier atteste lire l'anglais. La fiche relatant l'entretien individuel reçue le même jour indique également que l'anglais figure au titre des " langues comprises " puis, dans le cadre résumé de l'entretien individuel, la mention suivante : " entretien mené en anglais, langue comprise et parlée par l'intéressé ". En outre, lors d'un second entretien qui s'est déroulé le 20 septembre 2017, les informations relatives à la procédure Dublin ont à nouveau été données à l'intéressé par le truchement d'un interprète en langue somali. Si M. C... D...soutient devant la juridiction qu'il ne comprend que la langue somali, il ne ressort pas des pièces qu'il l'ait mentionné lors de la remise des brochures précitées ou lors de l'entretien individuel du 24 avril 2017. Dans ces conditions, les dispositions de l'article 4 du règlement précité n'ont pas été méconnues. Dès lors, le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé sur ce motif pour annuler l'arrêté attaqué.
10. Il appartient, toutefois, à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... D... devant la juridiction administrative.
Sur la décision de transfert aux autorités italiennes :
11. Aux termes de l'article 5 du règlement 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...). / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel (...) est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
12. Ni les dispositions de l'article 5 du règlement précité, ni aucune autre n'imposent que l'entretien individuel soit mené par le préfet ou par une personne disposant d'une délégation de signature régulièrement publiée de la part du préfet. Il ressort des pièces du dossier que l'entretien du 24 avril 2017 s'est déroulé dans les locaux de la préfecture du Nord et il n'est pas sérieusement contesté que M. C... D...a bien été reçu lors de cet entretien par un agent de la préfecture du Nord, lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien. Aucune disposition n'impose la mention obligatoire sur le compte rendu individuel de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien. Par suite, le moyen tiré de ce que l'entretien individuel n'a pas été mené par la personne prévue par le 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
13. M. C... D...déclare que, lors de l'entretien individuel qui s'est déroulé le 24 avril 2017, il était accompagné d'un compatriote assurant la traduction de la langue anglaise à la langue somali. La circonstance qu'il ne s'agissait pas d'un interprète assermenté, mais d'un compatriote assurant bénévolement la traduction, est sans incidence sur la régularité de la procédure, dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire, ni celles de l'article 5 du règlement précité ne posent cette exigence et qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la personne ayant assisté l'intéressé en tant qu'interprète n'était pas capable d'assurer une traduction adaptée entre le demandeur et la personne menant cet entretien, alors, d'ailleurs, que l'intéressé, ainsi qu'il a été dit au point 2 avait indiqué comprendre l'anglais.
14. Il ressort des pièces du dossier que les autorités belges, saisies le 12 mai 2017, ont répondu favorablement le 17 mai 2017à la requête du préfet du Nord. La circonstance, à la supposer établie, que le compte rendu de l'entretien du 20 septembre 2017, qui au demeurant comprend les mêmes informations que celui du 24 avril 2017, n'ait pas été transmis aux autorités belges est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie.
15. Il résulte de ce qui précède que M. C... D...n'est pas fondé à soutenir que la décision de transfert aux autorités belges est entachée d'illégalité.
Sur l'assignation à résidence :
16. Il résulte de ce qui a été dit au point 15 que la décision portant assignation à résidence n'est pas dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision de transfert.
17. Une mesure d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile consiste, pour l'autorité administrative qui la prononce, à déterminer un périmètre que l'étranger ne peut quitter et au sein duquel il est autorisé à circuler et, afin de s'assurer du respect de cette obligation, à lui imposer de se présenter, selon une périodicité déterminée, aux services de police ou aux unités de gendarmerie. Une telle mesure n'a pas, en dehors des hypothèses où elle inclut une astreinte à domicile pour une durée limitée, pour effet d'obliger celui qui en fait l'objet à demeurer à son domicile. Dès lors, les décisions par lesquelles le préfet assigne à résidence, sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les étrangers faisant l'objet d'une mesure de transfert en application de l'article L. 742-3 du même code peuvent être prononcées à l'égard des étrangers qui ne disposent que d'une simple domiciliation postale. L'indication dans de telles décisions d'une adresse qui correspond uniquement à une domiciliation postale ne saurait imposer à l'intéressé de demeurer à cette adresse.
18. La décision attaquée indique que M. C... D...dispose d'une domiciliation après de l'Association Insertion Rencontre à Lille et l'assigne à l'adresse de cet organisme. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé, qui ne conteste pas disposer d'une domiciliation au sein de l'association, ait informé le préfet qu'il résidait en dehors du périmètre de l'arrondissement de Lille. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
19. M. C... D...ne soutient ni même n'allègue qu'il aurait informé le préfet du Nord de sa décision de se rendre de lui-même en Belgique et que le préfet du Nord s'y serait opposé. Par suite, le moyen tiré de ce que cette décision serait illégale dès lors qu'il pourrait se rendre, de lui-même, en Belgique doit, en tout état de cause, être écarté.
20. Les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte, du défaut de motivation de la décision attaquée et de l'erreur manifeste d'appréciation qui sont dépourvues des précisions permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé, doivent dès lors être écartés.
21. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel par le préfet, que celui-ci est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 28 septembre 2017. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par M. C... D...aux fins d'injonction et celles tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 18 octobre 2017 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande de M. C... D...et les autres conclusions de l'intéressé en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G...C...D..., au ministre de l'intérieur et à Me F...B....
Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 17 mai 2018 à laquelle siégeaient :
- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,
- M. Xavier Fabre, premier conseiller.
- M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 31 mai 2018.
L'assesseur le plus ancien,
Signé : X. FABRELe premier vice-président de la cour,
Président de chambre,
Signé : O. YEZNIKIAN
Le greffier,
Signé : C. SIRE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier en chef,
Par délégation,
Le greffier,
Christine Sire
N°17DA02216 2