Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 janvier 2018, et un mémoire, enregistré le 19 mars 2018, M. F... A..., représenté par Me D... E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet d'enregistrer sa demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Yeznikian, président de chambre,
- et les observations de Me C...B..., représentant le préfet du Nord.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant guinéen, né le 16 juillet 1988, qui déclare avoir quitté la Guinée en raison de persécutions religieuses, serait arrivé en France par l'Espagne le 31 août 2017. Il a déposé en France une demande d'asile le 23 octobre 2017. La consultation d'Eurodac a fait apparaître l'existence d'une prise d'empreintes en Espagne. Ce pays, consulté par la France, a accepté de le prendre en charge. M A...relève appel du jugement par lequel magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 novembre 2017 par lequel le préfet du Nord a procédé à son transfert vers l'Espagne et l'a assigné à résidence.
2. L'arrêté attaqué comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le préfet, qui n'avait pas à viser toutes les circonstances de fait de la situation de M. A..., a cité les éléments pertinents qui fondent sa décision. Il précise notamment les motifs l'ayant amené à considérer que l'Espagne était l'Etat responsable pour procéder à l'examen de sa demande d'asile, souligne que l'intéressé ne relève pas des dérogations prévues aux articles 3-2, 16 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, fait état de la présence en France des membres de sa famille au sens du même règlement ainsi que des mesures prises pour assurer sa prise en charge médicale lors de son transfert. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
3. Il ne résulte ni de la motivation de l'arrêté en litige, ni d'aucune autre pièce du dossier, que le préfet du Nord n'aurait pas procédé à un examen particulier et complet de la situation de M. A... avant de prendre la décision contestée.
4. Aux termes des dispositions de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Les critères de détermination de l'Etat membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. / 2. La détermination de l'Etat membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un Etat membre. / En vue d'appliquer les critères visés aux articles 8, 10 et 16, les États membres prennent en considération tout élément de preuve disponible attestant la présence sur le territoire d'un État membre de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent du demandeur, à condition que lesdits éléments de preuve soient produits avant qu'un autre État membre n'accepte la requête aux fins de prise ou de reprise en charge de la personne concernée, conformément aux articles 22 et 25 respectivement, et que les demandes de protection internationale antérieures introduites par le demandeur n'aient pas encore fait l'objet d'une première décision sur le fond ".
5. M. A...fait valoir que des membres de sa famille, c'est-à-dire des " parents " ou des " proches ", comme une tante, résident sur le territoire français, ce qui ne serait pas le cas en Espagne, pays vers lequel le transfert a été prononcé. Il ne met toutefois pas la juridiction administrative à même d'apprécier si et dans quelle mesure, pour la mise en oeuvre des critères hiérarchisés de détermination de l'Etat responsable, il pourrait se prévaloir des dispositions des articles 9, 10 et 11 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 qui concernent respectivement les hypothèses de " membres de la famille bénéficiaires d'une protection internationale ", de " membres de la famille demandeurs d'une protection internationale " ou la " procédure familiale ". Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article 7 visé au point précédent ont été méconnues.
6. Les dispositions de l'article 16 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 sont relatives aux " personnes à charge " et concernent les cas de personnes qui, du fait de leur état de santé notamment, sont dépendantes de l'assistance de tiers désignés dans l'article, c'est-à-dire un enfant, des frères ou soeurs, le père ou la mère résidant légalement dans un des États membres, ou, à l'inverse, concernent les cas où ces tiers résidant légalement dans un État membre sont dépendants de l'assistance du demandeur. Dans les motifs du règlement précité, il est précisé au point 16 que : " Afin de garantir le plein respect du principe de l'unité de la famille et dans l'intérêt supérieur de l'enfant, l'existence d'un lien de dépendance entre demandeur et son enfant, son frère ou sa soeur ou son père ou sa mère, du fait de la grossesse ou de la maternité, de l'état de santé ou du grand âge du demandeur, devait devenir un critère obligatoire de responsabilité. (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., ressortissant guinéen né le 16 juillet 1988, souffre d'une hépatite B ainsi que d'une arthropathie du coude gauche nécessitant une opération chirurgicale. Il doit également faire l'objet d'un suivi psychologique en raison des violences physiques et psychologiques qu'il dit avoir subies en Guinée. Toutefois, l'intéressé ne démontre pas que ces différentes pathologies le rendent dépendant vis-à-vis de l'assistance d'une tierce personne, et, en particulier, d'une des personnes mentionnées à l'article 16 précité. Par suite, le moyen tiré du défaut de mise en oeuvre de la procédure dérogatoire prévue par l'article 16 du règlement (UE) du 26 juin 2013 doit être écarté.
8. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...) ". Dans les motifs du règlement précité, il est précisé au point 17 que : " Il importe que tout Etat membre puisse déroger aux critères de responsabilité, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion, afin de permettre le rapprochement de membres de famille, de proches ou de tout autre parent et examiner une demande de protection internationale introduite sur son territoire ou sur le territoire d'un autre Etat membre, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères obligatoires fixés dans le présent règlement ". La faculté qu'ont les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un état tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
9. M. A... n'établit pas que son état de santé ne pourrait faire l'objet d'une prise en charge satisfaisante en Espagne. Il ne justifie pas davantage de l'intensité des liens qui l'unissent en France à sa mère ou à sa tante présentes sur le territoire national, ni d'autres considérations en faveur d'une mesure dérogatoire aux critères de détermination de l'Etat responsable. Dans ces conditions, il ne fait état d'aucune circonstance qui justifierait que la France examine sa demande de protection internationale alors même que son examen ne lui incombe, en principe, pas. Par suite, en ne mettant pas en oeuvre la procédure dérogatoire prévue par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, le préfet du Nord n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
10. D'une part, ainsi qu'il a été dit aux points 5 et 9 du présent arrêt, les considérations familiales évoquées par M. A...ont déjà été prises en compte lors de l'appréciation du respect des règles contenues aux articles 7 et 17 du règlement du 26 juin 2013. Il n'apparaît pas, compte tenu de ses liens familiaux en France et de la durée de son séjour sur le territoire français, que la mesure de transfert serait, en tout état de cause, de nature à porter atteinte aux exigences des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'home et des libertés fondamentales.
11. D'autre part, ainsi qu'il a été dit aux points 7 et 9 du présent arrêt, les considérations liées à l'état de santé évoquées par M. A...ont déjà été prises en compte lors de l'appréciation du respect des règles contenues à l'article 16 du règlement du 26 juin 2013 dans le cadre de l'examen des liens de dépendance entre le demandeur et des membres de famille ou pour l'application de l'article 17 du même règlement. En outre, il n'y a pas lieu de s'interroger, à l'occasion de la légalité d'une décision de transfert, sur les modalités d'exécution de celle-ci. Enfin, il n'apparaît pas que la décision de transfert en Espagne serait par elle-même, en tout état de cause, de nature à porter atteinte à la situation personnelle de M.A..., notamment au regard de son état de santé.
12. Il ressort des pièces du dossier qu'au regard des éléments recueillis par l'administration française et des critères de détermination du règlement du 26 juin 2013, l'Espagne doit être regardée comme étant l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile de M. A.... Cet Etat membre a d'ailleurs accepté de prendre en charge l'intéressé. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ce transfert aurait pour effet de priver l'intéressé du statut de demandeur d'asile, ni des garanties y afférentes. Dès lors, le moyen tiré de l'atteinte portée par la décision litigieuse au droit constitutionnel de l'asile doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F...A..., au ministre de l'intérieur et à Me D... E....
Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 17 mai 2018 à laquelle siégeaient :
- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,
- M. Xavier Fabre, premier conseiller,
- M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 31 mai 2018.
L'assesseur le plus ancien,
Signé : X. FABRELe premier vice-président de la cour,
Président de chambre,
Signé : O. YEZNIKIAN
Le greffier,
Signé : C. SIRE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier en chef,
Par délégation,
Le greffier,
Christine Sire
N°18DA00071 2