Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er juillet 2015, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 25 mai 2015 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...en première instance.
Il soutient que la décision portant obligation de quitter le territoire n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2015, M.B..., représenté par Me Leprince, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) d'enjoindre au préfet de procéder à un réexamen de sa demande dans un délai d'un mois et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à son avocat au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire français a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le droit d'être préalablement entendu a été méconnu ;
- la décision en litige ne procède pas d'un examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'un défaut de base légale dès lors que les dispositions du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'étaient pas applicables ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- le refus de séjour est insuffisamment motivé ;
- il est illégal à raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire ;
- il méconnaît les dispositions du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce que le risque de fuite n'est pas avéré ;
- l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français entraîne, par voie de conséquence, celle de la mesure d'assignation à résidence.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de fonder sa décision sur un moyen relevé d'office tiré de la substitution des dispositions du 2° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à celles du 1° du I du même article comme fondement légal de l'obligation de quitter le territoire français .
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Domingo, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 25 mai 2015 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a, à la demande de M.B..., ressortissant algérien né le 26 janvier 1973, annulé les arrêtés du 20 mai 2015 lui faisant, d'une part, obligation de quitter sans délai le territoire français et prononçant, d'autre part, son placement en rétention administrative ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que si M. B...fait valoir qu'il est entré régulièrement en France le 11 octobre 2003, sous couvert d'un visa court séjour et qu'il vit depuis sur le territoire national en compagnie d'une compatriote titulaire d'un certificat de résidence de dix ans et de laquelle il a eu une fille née en France le 1er janvier 2015, l'intéressé ne justifie toutefois pas, eu égard au caractère épars et lacunaire des pièces produites, constituées pour l'essentiel de quelques quittances de loyers, de la durée de séjour en France dont il se prévaut ; qu'il n'établit pas davantage l'existence, antérieurement au mois de février 2014, du lien marital qu'il invoque ni être dépourvu de toute attache familiale en Algérie où résident ses parents et les membres de sa fratrie ; que, par ailleurs, si l'intéressé a sollicité un titre de séjour le 25 avril 2014, il ressort des pièces du dossier qu'il n'a pas donné suite à un courrier en date du 28 juillet 2014 des services préfectoraux l'invitant à compléter son dossier de régularisation et dont une copie lui a été remis en main propre le 4 novembre 2014 ; qu'il a ainsi sciemment fait le choix de vivre dans la clandestinité jusqu'à son interpellation pour travail illégal ; que, dans les circonstances de l'espèce, et eu égard tant aux conditions de séjour en France de l'intéressé qu'au caractère récent de son concubinage, l'obligation de quitter le territoire français prononcée par le préfet de la Seine-Maritime n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise ; qu'elle n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur ce motif pour annuler les arrêtés contestés du 20 mai 2015 ;
4. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens développés par M. B...devant le tribunal administratif et la cour ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée sur le territoire sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré (...) " ;
6. Considérant que la décision attaquée est fondée sur les dispositions du 1° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il ressort cependant des pièces du dossier que M.B... était, à la date de son entrée sur le territoire national le 11 octobre 2003, muni d'un visa de court séjour ; que le préfet de la Seine-Maritime s'est fondé à tort, pour prononcer son éloignement, sur les dispositions précitées du 1° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, toutefois, cette circonstance n'est pas de nature à entacher cet arrêté d'illégalité, dès lors que l'intéressé s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa sans être titulaire d'un titre de séjour et qu'il entrait ainsi dans le champ d'application du 2° du II du même article ; que l'administration disposait du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces dispositions ; que, par suite, il y a lieu de substituer, comme base légale de l'arrêté attaqué, le 2° au 1° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que cette substitution de base légale n'a pas pour effet de priver l'intéressé des garanties de procédure qui lui sont offertes par la loi ;
7. Considérant que le droit d'être entendu dans toute procédure, tel qu'il s'applique dans le cadre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, et, notamment, de l'article 6 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'une autorité nationale n'entende pas le ressortissant d'un pays tiers spécifiquement au sujet d'une décision de retour lorsque, après avoir constaté le caractère irrégulier de son séjour sur le territoire national à l'issue d'une procédure ayant pleinement respecté son droit d'être entendu, elle envisage de prendre à son égard une telle décision, que cette décision de retour soit consécutive ou non à un refus de titre de séjour ; qu'il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'audition signé par l'intéressé dans le cadre de la procédure de retenue instituée par les dispositions de l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que M. B...a été entendu le 20 mai 2015 par les services de police en particulier en ce qui concerne son âge, sa nationalité, sa situation de famille, ses attaches dans son pays d'origine et en France, les raisons et conditions de son entrée en France ainsi que ses conditions d'hébergement ; que le requérant a eu ainsi la possibilité, au cours de cet entretien, de faire valoir utilement ses observations ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait le principe général du droit d'être entendu, qui est au nombre des principes fondamentaux du droit de l'Union européenne, doit être écarté ;
8. Considérant qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990, publiée par décret du 8 octobre 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) " ; qu'il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant ; qu'elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation ;
9. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, M. B...est père d'une fille âgée de cinq mois à la date de l'arrêté attaqué ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la mesure d'éloignement prononcée par le préfet de la Seine-Maritime, l'intéressé vivait avec son enfant et contribuait à son éducation et à son entretien alors même que ses sources de revenus provenaient de l'exercice illégal d'une activité professionnelle ; qu'en outre, si la compagne de M. B...est de même nationalité que lui, elle a toutefois une vocation certaine à demeurer sur le territoire français en raison, d'une part, de la détention d'un titre de séjour valable jusqu'au 18 septembre 2024, d'autre part, de la présence à son foyer de ses trois autres enfants de nationalité française âgés respectivement de dix ans, huit ans et cinq ans à la date de l'arrêté dont il n'est pas établi qu'ils pourraient eux-mêmes accompagner, le cas échéant, leur mère en Algérie ; qu'il n'est en outre pas sérieusement contesté par le représentant de l'Etat, que leur père, qui dispose de l'autorité parentale conjointe par décision du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Rouen du 29 mars 2013, exerce les attributs qui lui ont été confiés notamment le droit de garde et participe à l'entretien de ses enfants ainsi qu'il ressort des mentions portées sur la déclaration de revenus souscrite par leur mère au titre de l'année 2014 faisant état de la perception des pensions alimentaires ; que l'exécution de l'arrêté attaqué aurait ainsi pour effet soit de priver la fille de M. B...de la présence de son père pour le cas où cet enfant resterait en France aux côtés de sa mère, soit de la présence de sa mère dans le cas inverse où il accompagnerait son père en Algérie alors qu'il n'est pas établi que sa mère, eu égard à ses autres charges familiales, pourrait l'y rejoindre ; que dans les circonstances particulières de l'espèce, M. B...est fondé à soutenir que l'arrêté attaqué a été pris en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 20 mai 2015 par lequel le représentant de l'Etat a obligé M. B...à quitter sans délai le territoire français ainsi que celui du même jour par lequel il a assigné l'intéressé à résidence ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
11. Considérant que M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Leprince, avocat de M.B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de ce dernier le versement à Me Leprince de la somme de 900 euros ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Leprince, avocat de M.B..., sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, une somme de 900 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet de la Seine-Maritime et à M. A... B....
Délibéré après l'audience publique du 9 février 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Michel Hoffmann, président de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Laurent Domingo, premier conseiller.
Lu en audience publique le 1er mars 2016.
Le rapporteur,
Signé : L. DOMINGOLe président de chambre,
Signé : M. C...
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier
Marie-Thérèse Lévèque
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N°15DA01099