Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 mars 2019, le préfet de l'Eure demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Rouen.
Il soutient qu'il produit des éléments précis et concordants de nature à établir que la reconnaissance de paternité n'a été faite qu'aux seules fins de permettre à Mme D... d'obtenir un titre de séjour.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mai 2019, Mme D..., représentée par Me B... A..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de l'Eure interjette appel du jugement du 1er février 2019 par lequel le tribunal administratif de Rouen a, à la demande de Mme D..., née le 20 mars 1985, de nationalité nigériane, annulé l'arrêté du 27 juillet 2017 refusant de lui délivrer un titre de séjour.
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...) ".
3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application des dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition, par l'enfant, de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6°) de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... a donné naissance à une fille le 27 septembre 2015, reconnue de manière anticipée par M. C..., ressortissant français dont elle porte le patronyme. Le préfet de l'Eure fait état de l'absence de vie commune entre Mme D... et le père de l'enfant, ce dernier étant issu d'une relation brève, alors que le père de l'enfant est marié par ailleurs, et que son épouse n'aurait pas été informée de l'existence de l'enfant. Contrairement à ce que soutient le préfet, les éléments produits par Mme D... concernant la date de son entrée en France suffisent à rendre vraisemblables les informations données par les intéressés lors de leur entretien avec le référent fraude de la préfecture. Le préfet de l'Eure n'apporte à la cour aucun élément précis qui serait de nature à établir que M. C... ne serait pas le père biologique de l'enfant de l'intéressée, dès lors que les circonstances que cette dernière n'a jamais vécu avec le père de sa fille et que ce dernier ne participerait pas effectivement, ou seulement de manière ponctuelle, à son entretien et à son éducation ne sauraient établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité, et qu'il en va de même de la circonstance que les propos tenus par les intéressés, lors de leur entretien avec le référent fraude de la préfecture et sans le concours d'un interprète, ni d'un conseil, seraient parfois imprécis voire confus. Il résulte au demeurant du compte-rendu de cet entretien que la mention du doute concernant la paternité n'a pas été retenue. Il ne ressort en outre pas des pièces du dossier qu'une action en contestation de la filiation diligentée à l'encontre des intéressés, aurait été engagée par le ministère public à la date de l'arrêté en litige, ni même qu'un signalement au procureur de la République compétent aurait été, avant cette date, effectué. La circonstance que Mme D... aurait produit un faux certificat de naissance à son nom au soutien de sa demande de titre de séjour ne permet pas non plus, contrairement à ce que soutient le préfet, d'établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité. Par suite, et comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, en refusant de délivrer un titre de séjour à Mme D... qui, vivant avec sa fille, contribue ainsi à son entretien et à son éducation comme le prévoit le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de l'Eure a méconnu ces dispositions.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Eure n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 27 juillet 2017 refusant de délivrer un titre de séjour à Mme D....
Sur les frais liés à l'instance :
6. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 800 euros à verser à Me B... A..., sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de l'Eure est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me A..., conseil de Mme D..., la somme de 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme D... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet de l'Eure, à Mme E... et à Me B... A....
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N°19DA00542