Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 septembre 2018, la préfète de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Rouen.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. La préfète de la Seine-Maritime interjette appel du jugement du 27 août 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a, à la demande de M.A..., ressortissant afghan né le 11 mars 1993, annulé son arrêté du 23 juillet 2018 ordonnant le transfert de l'intéressé aux autorités belges, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen :
2. Aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".
3. Il ressort des pièces du résumé de l'entretien individuel, que celui-ci a été réalisé le 22 mars 2018 dans les locaux de la préfecture de la Seine-Saint-Denis, et a été conduit par " un agent qualifié de cette préfecture ", lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien, alors même que son nom n'est pas précisé dans le résumé. Il ressort du même document que l'entretien s'est déroulé avec l'assistance téléphonique d'un interprète en langue dari, langue que M. A...a déclaré comprendre et parler. La circonstance que le résumé de l'entretien revête la forme d'un document dactylographié sans entête de la préfecture ne suffit pas, en l'espèce, et en l'absence d'éléments précis permettant de mettre en doute la véracité de son contenu, à regarder l'entretien comme n'ayant pas eu lieu dans les locaux de la préfecture de la Seine-Saint-Denis. Dans ces conditions, il n'est pas établi que l'entretien individuel dont a bénéficié M.A..., qui a, au demeurant, signé le résumé sans formuler d'observation, n'aurait pas été régulier. Dès lors, les dispositions citées au point 2 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'ont pas été méconnues.
4. Il s'en suit que la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur ce motif pour annuler l'arrêté du 23 juillet 2018 ordonnant le transfert de M. A...aux autorités belges, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
5. Il y a toutefois lieu, pour la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal administratif de Rouen.
Sur la légalité de l'arrêté de transfert :
En ce qui concerne la motivation de l'arrêté contesté :
6. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
7. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
8. L'arrêté en litige vise le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et précise, en particulier, que M. A... a demandé l'asile en Belgique le 9 décembre 2015 et que les autorités belges, saisies le 28 mars 2018 sur le fondement du paragraphe 1, d), de l'article 18 de ce règlement, dont les dispositions sont reproduites intégralement, ont accepté de le reprendre en charge le 4 avril 2018. Il est, ainsi, suffisamment motivé.
En ce qui concerne l'information dont M. A...a bénéficié :
9. Aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable (...) ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite (...) ; / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ".
10. En l'absence d'élément contraire apporté par M. A..., qui en outre ne conteste pas avoir déclaré comprendre et lire le dari, la préfète de la Seine-Maritime établit, par la production de la première page des brochures communes signée par l'intéressé, lui avoir remis dans une langue qu'il comprend l'information prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
En ce qui concerne l'entretien individuel :
11. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 4 de la directive 2013/32/UE doivent être écartés.
En ce qui concerne la légalité interne de l'arrêté en litige :
12. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
13. La faculté qu'ont les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet, et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
14. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige que la préfète de la Seine-Maritime, qui a notamment estimé que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M.A..., se déclarant célibataire et sans enfant, et qui ne dispose pas d'attaches familiales en France, ne relevait pas des dérogations prévues par l'article 17 du règlement précité, a effectivement pris en compte la possibilité que la France examine la demande d'asile de l'intéressé alors même qu'elle n'en était pas responsable. M. A... ne produit, en outre, aucun élément propre à sa situation particulière, dont il résulterait que son dossier ne serait pas traité par les autorités belges dans des conditions répondant à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu'en cas de rejet de cette demande, les autorités belges procéderaient à son renvoi vers l'Afghanistan sans examiner au préalable s'il y serait soumis à des risques pour sa vie ou sa sécurité ou de subir des traitements inhumains ou dégradants. Par suite, M. A...n'est pas fondé à soutenir que l'autorité préfectorale n'a pas apprécié la possibilité d'examiner sa demande d'asile, ni qu'elle aurait entaché sa décision d'un défaut d'examen sérieux et d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
15. Il résulte de tout ce qui précède que l'arrêté du 23 juillet 2018 n'est pas entaché d'illégalité. La préfète de la Seine-Maritime est, par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 23 juillet 2018. Par voie de conséquence, les conclusions de M. A...à fin d'injonction sous astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 27 août 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B...A....
Copie sera adressée à la préfète de la Seine-Maritime.
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N°18DA01969