Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 août 2018, la préfète de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les conclusions de la demande de première instance de M.B....
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Christine Courault, présidente de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. La préfète de la Seine-Maritime interjette appel du jugement du 24 juillet 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen, saisi par M. B..., ressortissant turc né le 4 octobre 1970, a annulé son arrêté du 18 juillet 2018 en tant qu'il fixe le pays à destination duquel l'intéressé sera reconduit et a prononcé un non-lieu à statuer partiel sur les conclusions aux fins d'annulation de la mesure d'assignation à résidence.
Sur le moyen retenu par le magistrat désigné par le tribunal administratif de Rouen :
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public. ". Aux termes de l'article L. 521-3 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : (...) 5° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. " Selon les termes de l'article R. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'état de santé défini au 5° de l'article L. 521-3 est constaté dans les mêmes conditions que celles qui sont prévues à l'article R. 511-1. " Et aux termes de l'article R. 511-1 du même code : " L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511-4 est constaté au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. ". Il résulte de la combinaison des dispositions précitées qu'avant de prononcer une mesure d'expulsion à l'encontre d'un étranger, résidant habituellement en France, qui a sollicité son maintien sur le territoire compte tenu de son état de santé ou qui justifie d'éléments suffisamment précis sur la nature et la gravité des troubles dont il souffre, l'autorité préfectorale doit recueillir l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
3. Il ressort des pièces du dossier que, si M. B...a présenté le 2 février 2016 une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en raison de son état de santé, sa demande n'a pu être instruite faute pour lui, malgré des relances de la préfecture, de compléter son dossier médical. L'intéressé a présenté ensuite le 23 janvier 2017, une demande de titre de séjour sur un autre fondement, en qualité de parent d'enfants français. Il ressort du procès-verbal du 24 avril 2018 de la réunion de la commission d'expulsion consultée sur la situation de M. B...que si celui-ci a indiqué séjourner volontairement en hôpital psychiatrique, et se soigner pour alcoolémie, il n'a fourni aucun élément d'ordre médical circonstancié. Par suite, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé ait porté à la connaissance de l'administration, antérieurement à l'arrêté en litige du 18 juillet 2018, des éléments suffisamment précis sur la nature et la gravité des problèmes de santé dont il souffrait à la période à laquelle cette mesure d'expulsion a été prise, la préfète de la Seine-Maritime n'a pas entaché sa décision d'expulsion d'un vice de procédure faute d'avoir recueilli l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Ainsi, la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté pour ce motif.
4. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...devant le tribunal administratif de Rouen.
Sur les moyens soulevés par la voie de l'exception d'illégalité de la mesure d'expulsion du 4 juillet 2018 :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf en cas d'urgence absolue, l'expulsion ne peut être prononcée que dans les conditions suivantes : 1° L'étranger doit être préalablement avisé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ; 2° L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission qui se réunit à la demande de l'autorité administrative (...). ". Aux termes de l'article L. 522-2 de ce code : " La convocation prévue au 2° de l'article L. 522-1 doit être remise à l'étranger quinze jours au moins avant la réunion de la commission. Elle précise que l'intéressé a le droit d'être assisté d'un conseil ou de toute personne de son choix et d'être entendu avec un interprète (...). Devant la commission, l'étranger peut faire valoir toutes les raisons qui militent contre son expulsion. Un procès-verbal enregistrant les explications de l'étranger est transmis, avec l'avis motivé de la commission, à l'autorité administrative compétente pour statuer (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B...a été convoqué par la préfecture de la Seine-Maritime devant la commission départementale d'expulsion par bulletin du 3 avril 2018, notifié le même jour, et qui comporte l'ensemble des mentions prévues à l'article 522-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En outre, il ressort du procès-verbal de ladite commission que celle-ci s'est régulièrement réunie le 24 avril 2018 en présence de M. B..., de son conseil et d'un interprète en langue turque, et a rendu le même jour un avis sur la situation de l'intéressé. Dans ces conditions, le moyen tiré du vice de procédure dans la saisine pour avis de cette commission doit être écarté.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier et des termes mêmes de l'arrêté d'expulsion du 18 juillet 2018 que M. B...a fait l'objet de multiples condamnations à partir de l'année 2005. Il a été condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pour des faits de violence sur conjoint, de menace de mort faite sous condition et dégradation ou détérioration grave d'un bien appartenant à autrui le 26 juillet 2005. En 2011, il a été successivement condamné le 10 mai 2011, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve pendant deux ans pour des faits d'appels téléphoniques malveillants réitérés, le 7 juillet 2011, à deux mois d'emprisonnement avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve pendant un an pour des faits de violence sur personne dépositaire de l'autorité publique et le 4 octobre 2011, à quatre mois d'emprisonnement pour des faits de violence suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours. En outre, il a été condamné le 18 octobre 2013 à douze mois de prison dont quatre avec sursis pour des faits d'agression sexuelle et agression sexuelle imposée à un mineur de 15 ans et le 4 septembre 2015 à quatre mois de prison pour des faits d'exhibition sexuelle. Enfin, il a été condamné le 8 septembre 2015, à trois mois de prison pour non-respect d'une ordonnance de protection d'une victime de violences familiales. Ces faits eu égard à leur gravité croissante et à leur réitération sont de nature à caractériser une menace grave à l'ordre public justifiant qu'une procédure d'expulsion du territoire français soit mise en oeuvre à son encontre. La seule circonstance qu'il fasse l'objet d'un suivi médical en vue de diminuer sa dangerosité n'est pas de nature à remettre en cause la légalité de la décision d'expulsion alors en outre qu'il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été interpellé le 19 juillet 2018 pour des faits d'exhibition sexuelle survenus les 1er juillet, 15 juillet et 17 juillet 2018. Par suite, M. B...n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté d'expulsion contesté aurait été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 2.
8. En troisième lieu, M. B...soutient qu'il souffre d'une pathologie nécessitant un traitement médical dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il ne peut bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. S'il ressort des deux certificats médicaux produits, au demeurant peu circonstanciés, que celui-ci bénéficie depuis avril 2011 d'un suivi médical à l'unité mobile d'action psychiatrie précarité du centre hospitalier de Rouvray, les éléments médicaux produits ne mentionnent aucunement l'absence de traitement en Turquie. Dès lors, la préfète de la Seine-Maritime n'a pas commis d'erreur de droit au regard du 5° des dispositions précitées de l'article L. 521-3.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion que si cette mesure constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que les dispositions de l'article L. 521-3 n'y fassent pas obstacle : 1° L'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; (....) 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ".
10. M. B...soutient qu'il est père de trois enfants mineurs résidant en France. Il ressort toutefois du procès-verbal du 24 avril 2018 de la commission d'expulsion qu'un jugement rendu en 2016 par le tribunal des affaires familiales a suspendu les visites de M. B...à ses enfants et lui a retiré l'autorité parentale. Si l'intéressé produit une attestation de son ex-conjointe du 15 juin 2017 ainsi que des photographies et des dessins, ces documents ne sont pas, à eux seuls, de nature à établir que M. B...contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de ses enfants. S'il ressort des pièces du dossier que M. B...a disposé d'une carte de résident en qualité de conjoint de français entre 2002 et 2012, en se bornant à soutenir qu'il réside régulièrement en France, il n'établit pas qu'il était en situation régulière sur le territoire français à la date de la décision attaquée, le 18 juillet 2018. Dans ces conditions, l'intéressé ne peut se prévaloir des dispositions précitées du 1° et 4° de l'article L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.
11. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
12. Si M. B...soutient qu'il entretient des liens réguliers avec ses trois enfants qui résident tous en France, il résulte du point 10 que les documents produits par l'intéressé ne sont pas, à eux seuls, de nature à établir qu'il contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de ses enfants. Par ailleurs, M. B...n'allègue ni n'établit qu'il serait dépourvu d'attaches dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de trente et un ans. Enfin, et ainsi qu'il a été mentionné aux points 3 et 8, s'il se prévaut de son état de santé, M. B...n'apporte toutefois pas d'éléments suffisamment précis sur la nature et la gravité de ses pathologies dont il fait état. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce et compte-tenu des buts en vue desquels la mesure d'expulsion a été prise, la préfète de la Seine-Maritime n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, les moyens tirés du défaut d'examen particulier de la situation de M. B...et de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé doivent être écartés.
13. Il résulte de tout ce qui précède que l'illégalité de la mesure d'expulsion n'étant pas établie, M. B...ne peut se prévaloir, par voie d'exception de cette illégalité, à l'encontre de l'arrêté du 18 juillet 2018 en tant qu'il fixe le pays à destination duquel l'intéressé sera reconduit.
Sur les moyens soulevés à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi :
14. Les dispositions des articles L. 521-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile régissent de manière complète les règles de procédure administrative auxquelles est soumise l'intervention des arrêtés et des décisions fixant le pays de destination, dans des conditions qui garantissent aux intéressés le respect des droits de la défense. Elles excluent, par suite, l'application des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relatives à la procédure contradictoire préalable à l'intervention des décisions qui doivent être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979, désormais codifiées à l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, et ce quand bien même la décision fixant le pays de destination ne serait pas notifiée en même temps que celle prononçant l'expulsion. Dès lors, le moyen tiré par M. B... de ce que la décision fixant le pays de destination de la mesure d'expulsion méconnaîtrait le principe du contradictoire ne peut qu'être écarté.
15. La décision en litige fixant la Turquie comme pays de destination de la mesure d'expulsion dont M. B...a fait l'objet vise les dispositions de l'article L. 561-2 I-2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, indique que l'intéressé s'est vu notifier, le 18 juillet 2018, un arrêté d'expulsion et mentionne que ce dernier n'a pas établi être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Il comporte ainsi l'énoncé suffisant des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de l'arrêté contesté doit être écarté.
16. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
17. Si M. B...soutient que la décision en litige a été prise en méconnaissance des dispositions de la convention précitée, en se prévalant de son état de santé et de ses attaches familiales en France, il n'établit nullement les menaces qui pèseraient sur lui et les risques personnels qu'il encourrait en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, M. B...n'est pas fondé à soutenir qu'en désignant la Turquie comme pays à destination duquel il pouvait être éloigné, la préfète de la Seine-Maritime a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur l'assignation à résidence :
18. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge, de constater que les conclusions tendant à l'annulation de la mesure d'assignation à résidence sont devenues sans objet et qu'il n'y a pas lieu d'y statuer.
19. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 18 juillet 2018 fixant le pays à destination duquel M. B...sera expulsé.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 1802766 du 24 juillet 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. B...en première instance aux fins d'annulation de l'arrêté du 18 juillet 2018 en tant qu'il fixe le pays de destination sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...B....
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
N°18DA01737 2