Par un jugement n° 1305972 du 30 juin 2015, le tribunal administratif de Lille a condamné le SDIS du Pas-de-Calais à verser, d'une part, à M. J... la somme de 8 528 euros en réparation de ses préjudices et d'autre part, à la CPAM de l'Artois la somme de 10 125 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 février 2014 et la somme de 1 037 euros au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 août et 23 décembre 2015, le SDIS du Pas-de-Calais, représenté par Me I...E..., demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement du 30 juin 2015 ;
2°) à titre subsidiaire, de rapporter l'indemnisation à de plus justes proportions ;
3°) de mettre à la charge de M. J... la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a statué ultra petita en accordant à M. J...une indemnité au titre de la tierce personne alors que le requérant n'en faisait pas mention dans ses écritures ;
- la matérialité des faits n'est pas établie ;
- il établit l'absence de défaut d'entretien normal ;
- l'inattention fautive de M.J..., qui connaissait les lieux, est de nature à l'exonérer entièrement de sa responsabilité ;
- l'indemnisation a été surévaluée, et repose sur une expertise non contradictoire.
Par des mémoires, enregistrés les 10 septembre 2015 et 18 janvier 2016, la CPAM de l'Artois, représentée par Me B...F..., demande à la cour :
- de rejeter la requête du SDIS du Pas-de-Calais ;
- de porter, par la voie de l'appel incident, l'indemnité due au titre de ses débours à la somme de 16 875,57 euros avec intérêts au taux légal à compter du 17 février 2014 et capitalisation de ces intérêts ;
- de condamner le SDIS du Pas-de-Calais à lui verser la somme de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
- de mettre à la charge du SDIS du Pas-de-Calais la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle s'en remet aux écritures de M.J... ;
- si la cour devait ordonner une expertise, il y aurait lieu d'étendre celle-ci à l'évaluation de ses débours ;
- son relevé de débours est suffisamment détaillé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2015, M.J..., représenté par Me L...G..., demande à la cour :
- à titre principal et par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement en tant qu'il a prononcé un partage de responsabilité ;
- de porter l'indemnisation de ses préjudices à la somme globale de 24 101,80 euros ;
- à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise afin de déterminer l'étendue de ses chefs de préjudices et d'en mettre les frais à la charge du SDIS du Pas-de-Calais ;
- de mettre à la charge du SDIS du Pas-de-Calais la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il avait la qualité d'usager de l'ouvrage public que constitue la caserne ;
- il établit la matérialité des faits ;
- la responsabilité totale du SDIS est engagée à raison du défaut d'entretien normal de l'ouvrage ;
- il y a lieu de l'indemniser de son entier préjudice.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- les conclusions de M. Jean-Marc Guyau, rapporteur public,
- et les observations de Me I...E..., représentant le SDIS du Pas-de-Calais et de Me N... G...-O..., représentant M.J....
1. Considérant que le 9 décembre 2010, M. J...a glissé sur une plaque de verglas dans l'enceinte de la caserne de pompiers de Leforest ; que le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Pas-de-Calais relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille l'a condamné à verser, d'une part, à M. J... la somme de 8 528 euros en réparation de ses préjudices et, d'autre part, à la CPAM de l'Artois la somme de 10 125 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 février 2014 et la somme de 1 037 euros au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
Sur la responsabilité du SDIS du Pas-de-Calais :
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.J..., sapeur-pompier volontaire à la caserne de Leforest, s'y est rendu, le 9 décembre 2010, afin d'obtenir son planning horaire, et non pour effectuer une mission ; qu'il résulte également de l'instruction que sa hiérarchie a refusé de prendre en charge les dépenses de santé liées à cet accident ; que, dès lors, il avait, au moment de sa chute, la qualité d'usager de l'ouvrage public que constitue la caserne ;
3. Considérant que, pour obtenir réparation, par le maître de l'ouvrage, des dommages qu'ils ont subis à l'occasion de l'utilisation d'un ouvrage public, les usagers doivent démontrer devant le juge administratif, d'une part, la réalité de leur préjudice et, d'autre part, l'existence d'un lien de causalité direct entre l'ouvrage et le dommage ; que, pour s'exonérer de la responsabilité qui pèse ainsi sur elle, il incombe à la collectivité maître d'ouvrage, soit d'établir qu'elle a normalement aménagé ou entretenu l'ouvrage, soit de démontrer la faute de la victime ou l'existence d'un évènement de force majeure ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'attestation établie par M. A..., sapeur-pompier volontaire, et du rapport d'intervention établi par ses collègues suite à sa chute et à son transport à l'hôpital, qu'alors qu'il quittait la caserne de Leforest, M. J...a glissé sur une plaque de verglas qui s'était formée dans la cour de la caserne ; qu'il résulte par suite de l'instruction, et contrairement à ce que soutient le SDIS du Pas-de-Calais, que la matérialité des faits et le lien de causalité entre la présence de verglas et la chute de M. J...sont établis ;
5. Considérant que le SDIS du Pas-de-Calais ne produit pas plus en appel que devant les premiers juges d'élément susceptible d'établir qu'il avait pris les mesures nécessaires pour éviter la formation de verglas dans la cour de la caserne ; que s'il produit les relevés météorologiques du jour de la chute et des jours précédents, et fait valoir qu'il avait neigé et que les températures étaient négatives ou très faiblement positives depuis plusieurs jours, il n'établit pas avoir procédé au salage ou au déneigement de la cour, alors qu'une caserne de sapeurs-pompiers doit permettre à ceux-ci de pouvoir se déplacer en toute sécurité et rapidement afin d'assurer leur mission de service public ; que, dès lors, le SDIS du Pas-de-Calais ne rapporte pas la preuve de l'entretien normal de l'ouvrage ; que, par suite, le SDIS du Pas-de-Calais n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont estimé que sa responsabilité était engagée ;
Sur la faute de la victime :
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. J...est à la fois sapeur-pompier professionnel et sapeur pompier volontaire ; que sa formation aurait dû lui permettre de faire preuve de prudence compte tenu des conditions météorologiques ; que sa chute a eu lieu alors qu'il quittait la caserne et avait donc pu, en y entrant, constater que le sol n'avait été ni déneigé et salé et qu'il pouvait être glissant ; qu'il résulte, en outre, de ses propres écritures, qu'il avait lui-même incité ses collègues à prendre des mesures pour sécuriser cette cour ; que, dès lors, en ne prenant pas toutes les précautions nécessaires pour se prémunir du risque de chute, M. J...a commis une faute de nature à exonérer partiellement le SDIS du Pas-de-Calais de sa responsabilité ; que, dans ces circonstances, il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité devant rester à la charge de M. J...en l'évaluant au cinquième des conséquences dommageables de l'accident ; que M. J...est donc seulement fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont fixé sa responsabilité à 40 % des conséquences dommageables ;
Sur la réparation des préjudices :
7. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction, et des termes mêmes de la requête introductive d'instance devant les premiers juges que M. J...avait demandé l'indemnisation de son préjudice lié à la gêne dans sa vie courante et que le rapport d'expertise du Dr H...mentionne l'assistance apportée par la mère et la soeur du requérant entre sa sortie d'hôpital et la reprise de la marche ; que, dès lors, le tribunal administratif a pu, à bon droit, considérer que M. J...sollicitait à la fois une indemnisation au titre de l'assistance par une tierce personne et une indemnisation des troubles dans ses conditions d'existence ; qu'il résulte d'autre part de l'instruction que, compte tenu du siège de la fracture et de la relative immobilité qui en résulte, il sera fait une juste appréciation de ses préjudices en fixant l'aide apportée à huit heures par semaine pour la période allant de son retour au domicile, le 18 décembre 2010 à la date de reprise d'un appui complet, le 10 mars 2011 ; que le principe de réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l'assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu'elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) horaire brut, augmenté des cotisations sociales et congés payés sur la base de huit heures par semaine, dans le respect des règles du droit du travail ; qu'en se fondant sur les taux horaires bruts du SMIC en vigueur en 2010 et 2011 augmenté des cotisations sociales patronales, il y a lieu de fixer à 10,07 euros par heure en 2010 et à 10,23 euros en 2011 le coût de l'aide non médicalisée que nécessitait l'état de santé de M. J... ; qu'il y a lieu, par suite, d'évaluer à une somme de 945 euros, le préjudice lié aux besoins d'assistance par une tierce personne pour la période du 18 décembre 2010 au 10 mars 2011 ;
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport du Dr H...qu'au vu des souffrances physiques mentionnées par M.J..., chiffrées par l'expert à 3 sur une échelle de 7, il n'apparaît pas que les premiers juges auraient fait une inexacte appréciation du préjudice correspondant à ces douleurs en l'évaluant à la somme de 2 400 euros ; qu'il en va de même s'agissant du préjudice esthétique, des troubles dans les conditions d'existence, du préjudice financier et de l'incapacité permanente, compte tenu de l'âge de M. J...à la date de la consolidation et du taux d'incapacité, pour lesquels ils ont accordé respectivement les sommes de 800 euros, 900 euros, 3 346 euros, et 4 500 euros ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les préjudices de M. J...doivent être évalués à un montant de 12 891 euros ; que, par suite, M. J...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille n'a condamné le SDIS qu'à lui verser une somme de 8 528 euros et à demander que celle-ci soit, compte tenu du partage de responsabilité défini au point 6, portée à 10 312,80 euros ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois :
10. Considérant que la CPAM de l'Artois justifie avoir exposé des débours à hauteur de 16 875,57 euros correspondant aux frais d'hospitalisation et médicaux ; que, par suite, le SDIS du Pas-de-Calais n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamné à l'indemniser de la fraction de cette somme correspondant à sa responsabilité ; que la CPAM de l'Artois est, par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille n'a condamné le SDIS qu'à lui verser une somme de 10 125 euros et à demander que celle-ci soit, compte tenu du partage de responsabilité défini au point 6, portée à 13 500,46 euros ;
11. Considérant qu'il y a lieu de porter le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale à laquelle la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois a droit et qui lui a été allouée en première instance à 1 047 euros ;
Sur les intérêts :
12. Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois a droit aux intérêts au taux légal à compter du 17 février 2014, date d'enregistrement de son deuxième mémoire devant les premiers juges, sur la somme de 13 500,46 euros ;
Sur la capitalisation des intérêts :
13. Considérant que la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année ; qu'en ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 17 février 2014 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 17 février 2015, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le SDIS du Pas-de-Calais n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille l'a condamné à indemniser M. J...des préjudices subis à la suite de sa chute, et la CPAM de ses débours engagés ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de ces dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 8 528 euros que le SDIS du Pas-de-Calais a été condamné à verser à M. J...par le jugement du 30 juin 2015 du tribunal administratif de Lille est portée à 10 312,80 euros.
Article 2 : La somme de 10 125 euros que le SDIS du Pas-de-Calais a été condamné à verser à la CPAM de l'Artois par le jugement du 30 juin 2015 du tribunal administratif de Lille est portée à 13 500,46 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 17 février 2014. Les intérêts échus à la date du 17 février 2015 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion allouée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois en première instance est porté à 1 047 euros.
Article 4 : Le jugement du 30 juin 2015 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au service départemental d'incendie et de secours du Pas-de-Calais, à M. D... J...et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois.
Délibéré après l'audience publique du 13 décembre 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme K...C..., première conseillère,
- M. Rodolphe Féral, premier conseiller.
Lu en audience publique le 30 décembre 2016.
Le premier conseiller le plus ancien,
Signé : D. C...Le président-assesseur,
Signé : M. M...
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
3
N°15DA01399