Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 juin 2017, la préfète de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. D...devant ce tribunal.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la directive n° 2013/32/UE du 26 juin 2013 ;
- la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 ;
- l'arrêté du 20 octobre 2015 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat responsable de leur traitement (métropole) ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C...D..., ressortissant éthiopien, entré en France le 16 décembre 2016, a effectué le 13 janvier 2017 une demande d'asile à la préfecture des Yvelines. Il est apparu lors de l'instruction de sa demande que ses empreintes digitales avaient été relevées en Norvège le 16 août 2015 sous le n° NO 1 96201517551608. M. D...s'est ensuite installé en Seine-Maritime. Il s'est vu délivrer, dans ce département, une nouvelle attestation de demande d'asile " Procédure Dublin " valable jusqu'au 29 mai 2017. La préfète de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 4 mai 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 24 avril 2017 décidant de transférer M. D...aux autorités norvégiennes et le plaçant en rétention pour une durée de quarante-huit heures.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / III. - En cas de placement en rétention en application de l'article L. 551-1, l'étranger peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant, dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention. La décision de placement en rétention ne peut être contestée que devant le juge des libertés et de la détention, dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa notification, suivant la procédure prévue à la section 1 du chapitre II du titre V du présent livre et dans une audience commune aux deux procédures, sur lesquelles le juge statue par ordonnance unique lorsqu'il est également saisi aux fins de prolongation de la rétention en application de l'article L. 552-1. / L'étranger faisant l'objet d'une décision d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 peut, dans le même délai, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision. Les décisions mentionnées au premier alinéa du présent III peuvent être contestées dans le même recours lorsqu'elles sont notifiées avec la décision d'assignation. / Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative statue au plus tard soixante-douze heures à compter de sa saisine. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 742-4 du même code : " (...) II. - Lorsqu'une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 est notifiée avec la décision de transfert, l'étranger peut, dans les quarante-huit heures suivant leur notification, demander au président du tribunal administratif l'annulation de la décision de transfert et de la décision d'assignation à résidence. / Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans le délai prévus au III de l'article L. 512-1. / (...) ".
3. Le délai de soixante-douze heures prévu par les dispositions précitées n'est prescrit ni à peine de dessaisissement, ni à peine de nullité du jugement. Ainsi, la circonstance que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen n'a statué que le 4 mai 2017, alors qu'il avait été saisi le 25 avril 2017, donc après l'expiration de ce délai, est sans incidence sur sa régularité. Ce moyen doit être écarté.
Sur le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen :
4. Il ressort des pièces du dossier que M. D...a déclaré aux services de l'Office français des réfugiés et apatrides, via une application informatique dédiée, parler l'arabe, le somali et l'amharique. Il est constant que les brochures A et B sur la procédure Dublin III lui ont été remises dans leur version en somali et que le guide du demandeur d'asile lui a été remis en version arabe, en l'absence de version en somali ou en amharique. M. D...a signé les couvertures de ces documents. L'entretien individuel, transcrit sur un formulaire en français et en arabe, s'est déroulé en arabe, directement avec un agent de la préfecture des Yvelines. M. D... a signé le compte rendu de cet entretien qui mentionne qu'il parle et comprend bien cette langue. Il ne peut sérieusement soutenir devant le juge administratif qu'il maitrise mal l'arabe, alors qu'il n'en a jamais informé l'administration auparavant et n'a, en outre, jamais demandé l'intervention d'un interprète en arabe, en somali ou en amharique. Il a, dès lors, bénéficié d'un interprète et de l'assistance linguistique prévue par les dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. La préfète de la Seine-Maritime est donc fondée à soutenir que c'est à tort, que pour ce motif, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 24 avril 2017.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... à l'encontre de l'arrêté en litige.
Sur les autres moyens :
6. La décision contestée a été signée par M. A...B..., directeur de la réglementation et des libertés publiques à la préfecture de la Seine-Maritime, titulaire d'une délégation de signature du 29 mars 2017, régulièrement publiée. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.
7. La décision contestée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles la préfète de la Seine-Maritime est fondée. Le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.
8. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsque aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. (...) ". Aux termes de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...) ".
9. Il ressort, d'une part, des pièces du dossier que M. D...ne dispose d'aucune attache familiale en France et ne fait état d'aucune circonstance particulière justifiant que la France aurait dû traiter sa demande d'asile. D'autre part, en application des dispositions précitées, suite à la demande du 19 janvier 2017 des autorités françaises, les autorités norvégiennes ont transmis le 25 janvier 2017 leur accord explicite pour la remise de M. D.... Enfin, la faculté qu'ont les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un état tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'erreur manifeste d'appréciation doit, dès lors, être écarté.
10. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".
11. Aucune disposition n'impose la mention sur le compte rendu de l'entretien individuel prévu à l'article 5 précité de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien ou de l'identité de l'interprète. En vertu des dispositions combinées des articles L. 741-1 et R. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et de l'arrêté du 20 octobre 2015 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat responsable de leur traitement, le préfet des Yvelines était compétent pour enregistrer la demande d'asile de M. D... et procéder à la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de cette demande. Le formulaire d'entretien, signé par l'intimé, porte un timbre humide numéroté de la préfecture des Yvelines. Par suite, les services de cette préfecture, et en particulier les agents recevant les étrangers au sein du guichet unique des demandeurs d'asile mis en place dans cette préfecture, doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article. Le moyen tiré de ce que la décision du préfet des Yvelines méconnaîtrait les dispositions sus rappelées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
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12. Aux termes des dispositions de l'article 26 du règlement précité : " 1. Lorsque l'Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'Etat membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'Etat membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale / (...) / 2. La décision visée au paragraphe 1 contient des informations sur les voies de recours disponibles, y compris sur le droit de demander un effet suspensif, le cas échéant, et sur les délais applicables à l'exercice de ces voies de recours et à la mise en oeuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l'Etat membre responsable / (...) / 3. Lorsque la personne concernée n'est pas assistée ou représentée par un conseil juridique ou un autre conseiller, les Etats membres l'informent des principaux éléments de la décision, ce qui comprend toujours des informations sur les voies de recours disponibles et sur les délais applicables à l'exercice de ces voies de recours, dans une langue que la personne concernée comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend " ;
13. Il ressort des pièces du dossier que la décision ordonnant la réadmission de M. D... auprès des autorités norvégiennes lui a été notifiée le 24 avril 2017 en présence d'un interprète en langue arabe. Cette décision comporte, de manière explicite, les voies et délais de recours pour sa contestation. Contrairement à ce qu'allègue le requérant, les dispositions citées au point précédent n'imposent pas à l'autorité administrative de notifier au demandeur d'asile, en instance de réadmission, le document valant acceptation de cette réadmission par les autorités responsables de l'Etat membre requis. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit, par suite, être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 24 avril 2017 décidant de remettre M. D... aux autorités norvégiennes. Par voie de conséquence, les conclusions M. D... à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 4 mai 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande de M. D...et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à M. C... D...et à MeE....
Copie en sera adressée, pour information, à la préfète de la Seine-Maritime.
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N°17DA01116
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