Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 mai 2018, le préfet de l'Eure demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif.
Il soutient que :
- le compte rendu de l'entretien dont a bénéficié M. B...n'exigeait ni la mention du nom de l'agent de préfecture ni sa signature et n'est pas contraire à l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 ;
- le recours à un interprète ISM Interprétariat ne nécessite aucune habilitation particulière.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2018, M.B..., représenté par Me C...D..., conclut :
1°) de rejeter la requête du préfet de l'Eure ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de mille cinq cent euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative;
3°) subsidiairement de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser directement à M.B....
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n°79-597 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience public :
- le rapport de M. E...Albertini, président de chambre,
- les observations de Me C...D..., représentant M.B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A...B..., ressortissant afghan né le 1er janvier 1995, serait selon ses déclarations entré en France le 2 décembre 2017. Le 8 décembre 2017, il a sollicité l'asile. Par deux arrêtés du 26 mars 2018, le préfet de l'Eure a décidé de le transférer aux autorités suédoises et l'a assigné à résidence à Gaillon pour une durée de quarante-cinq jours. Le préfet de l'Eure relève appel du jugement du 3 avril 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé ses décisions de transfert et d'assignation à résidence.
Sur les motifs d'annulation retenus par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. " et aux termes de l'article. L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger. " ;
3. En vertu de l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de département est l'autorité compétente pour procéder à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile. Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'entretien individuel requis pour l'application de l'article 5 précité soit mené par un agent de la préfecture, qui, n'étant pas le signataire de la décision de transfert déterminant l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile, n'avait pas à bénéficier d'une délégation de signature du préfet pour procéder à cet entretien.
4. Si le résumé de l'entretien individuel de M. B...ne comporte pas le nom et la qualité de l'agent qui a conduit l'entretien, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été reçu par un agent de la direction de la police générale de la préfecture de police. Dès lors que l'entretien de M. B...a été mené par une personne qualifiée au sens de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'absence d'indication de l'identité de l'agent ayant conduit l'entretien individuel n'a pas privé M. B...de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien et à la possibilité de faire valoir toutes observations utiles.
5. En outre, les dispositions de l'article 5 n'imposent aucunement la présence physique d'un interprète pour assister l'étranger lors de l'entretien individuel. Elles prévoient, au contraire, qu'une telle assistance peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication en cas de nécessité. Il ressort du compte rendu d'entretien individuel du 8 décembre 2017 que M. B...a bénéficié lors de l'entretien de l'assistance par téléphone d'un interprète de l'organisme ISM, agréé par l'administration, en langue dari.
6. Si le requérant soutient que la décision de transfert a été prise avant l'entretien, il apparaît dans le compte-rendu de l'entretien du 8 décembre 2017 à la préfecture de police que M. B... a été informé le jour même, après le relevé décadactylaire de ses empreintes digitales qui a fait apparaitre un " hit " avec les empreintes digitales relevées par les autorités suédoises le 24 octobre 2015, qu'une procédure de reprise en charge par la Suède allait être mise en oeuvre. Cette information n'a pas été précédée par la décision de transfert en litige, prononcée le 26 mars 2018. Par suite, le préfet de l'Eure est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé ses deux arrêtés susvisés du 26 mars 2018.
7. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour administrative d'appel de Douai.
Sur la légalité de la décision de transfert :
8. La décision de transfert d'un demandeur d'asile en vue de sa prise en charge par un autre Etat membre doit être suffisamment motivée afin de le mettre à même de critiquer l'application du critère de détermination de l'Etat responsable de sa demande et, ainsi, d'exercer le droit à un recours effectif garanti par les dispositions de l'article 27 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite, elle doit permettre d'identifier le critère de responsabilité retenu par l'autorité administrative parmi ceux énoncés au chapitre III de ce règlement ou, à défaut, au paragraphe 2 de son article 3. En revanche, elle n'a pas nécessairement à faire apparaître explicitement les éléments pris en considération par l'administration pour appliquer l'ordre de priorité établi entre ces critères, en vertu des articles 7 et 3 du même règlement.
9. L'arrêté en litige vise le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et il ressort de la consultation du fichier Eurodac que M. B... a demandé l'asile en Suède le 24 octobre 2015 et que les autorités suédoises, saisies le 13 décembre 2017 sur le fondement du paragraphe 1. b) de l'article 18 dudit règlement d'une demande visant à sa reprise en charge, ont accepté leur responsabilité le 14 décembre 2017. Ces énonciations, qui font état des éléments et indices permettant de déterminer la responsabilité des autorités finlandaises, requises aux fins de reprise en charge de l'intéressé, l'ont mis à même de comprendre les motifs de la décision en litige pour lui permettre d'exercer utilement son recours. Dès lors, la décision attaquée est suffisamment motivée, au regard notamment des exigences des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. Le premier paragraphe de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit que : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. ".
11. La faculté laissée à chaque Etat membre, par les dispositions citées au point précédent, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
12. Le préfet a relevé dans son arrêté que M. B...ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France, qu'il n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Suède, que l'arrêté ne porte pas une atteinte disproportionnée au respect du droit à la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et qu'il n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de sa demande. Dès lors, le moyen tiré de ce que le préfet de l'Eure, qui a aussi examiné l'ensemble des particularités de la situation de M.B..., aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en ne prenant pas en compte la faculté rappelée au point 11 doit être écarté.
13. Aux termes de l'article 4 - Droit à l'information - du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...) "
14. Il ressort des pièces du dossier que M.B..., qui a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de police de Paris le 7 décembre 2017 a bénéficié le 8 décembre 2017 d'un entretien individuel qui a été réalisé en présence d'un interprète en langue dari, comprise par l'intéressé. A l'occasion de cet entretien, il s'est vu remettre, en langue dari, une brochure d'information " A " relative à la détermination de l'Etat responsable et une brochure " B " concernant la " procédure Dublin " du règlement (UE) n° 604/2013 comportant les informations mentionnées par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le moyen tiré de la méconnaissance des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit, par suite, être écarté.
15. Aux termes de l'article 10 du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 : " 1. Lorsque, en vertu de l'article 18, paragraphe 7, ou de l'article 20, paragraphe 1, point c), du règlement (CE) n° 343/2003, selon le cas, l'État membre requis est réputé avoir acquiescé à une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge, il incombe à l'État membre requérant d'engager les concertations nécessaires à l'organisation du transfert. / 2. Lorsqu'il en est prié par l'État membre requérant, l'État membre responsable est tenu de confirmer, sans tarder et par écrit, qu'il reconnaît sa responsabilité résultant du dépassement du délai de réponse. L'État membre responsable est tenu de prendre dans les meilleurs délais les dispositions nécessaires pour déterminer le lieu d'arrivée du demandeur et, le cas échéant, convenir avec l'État membre requérant de l'heure d'arrivée et des modalités de la remise du demandeur aux autorités compétentes. " ;
16. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de l'Eure a adressé une demande de reprise en charge par les autorités suédoises le 13 décembre 2017 et que celles-ci ont accepté le 14 décembre 2017 par une décision explicite de reprise en charge fondée sur les dispositions l'article 18 1. d) du règlement (UE) 604/2013. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 10 du règlement (CE) n° 1560/2003 doit donc être écarté.
Sur la légalité de la décision portant assignation à résidence :
17. Par un arrêté n° 17-114, régulièrement publié le 2 janvier 2018 au recueil n° 27-2018-001 des actes administratifs de la préfecture de l'Eure, le préfet de l'Eure a donné délégation à MmeF..., adjointe au chef du bureau de l'immigration et de l'intégration, à l'effet de signer, notamment, la décision contestée. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté querellé, qui manque en fait, doit être écarté.
18. La décision ordonnant l'assignation à résidence de M. B...vise, notamment, les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne que l'intéressé est assigné à résidence dans la ville de Gaillon dès lors qu'il ne peut quitter immédiatement le territoire français, que son éloignement demeure une perspective raisonnable, qu'il doit rester à la disposition de la préfecture en vue de l'organisation matérielle du départ vers la Suède. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision doit être écarté.
19. La décision portant transfert de M. B... aux autorités suédoises n'est pas entachée d'illégalité. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision, invoqué à l'encontre de la décision d'assignation à résidence, doit être écarté.
20. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Eure est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé ses arrêtés du 26 mars 2018 . Par voie de conséquence, les conclusions de M. B... à fin d'injonction, assorties d'astreinte, ainsi que celles présentées au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 3 avril 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. B...devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour administrative d'appel de Douai sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M.B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me C...D....
Copie en sera adressée pour information au préfet de l'Eure.
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N°18DA01086
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N°"Numéro"