Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 janvier 2018, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. A...devant le tribunal administratif de Rouen.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés ;
- la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, signée à Schengen le 19 juin 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Valérie Petit, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 16 octobre 2017, le préfet du Pas-de-Calais a abrogé l'arrêté du 8 octobre 2017 portant remise de M.A..., ressortissant afghan, né le 1er janvier 1988, aux autorités italiennes et lui a fait obligation de quitter le territoire sans lui accorder de délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 26 octobre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté du 16 octobre 2017 l'obligeant à quitter le territoire français, fixant le pays de destination, et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
2. Il ressort des pièces du dossier que M. A...a été admis au séjour en Italie, au titre de la protection subsidiaire et qu'il est titulaire d'un passeport en cours de validité ainsi que d'une carte d'identité italienne. Le 8 octobre 2017, le préfet du Pas-de-Calais a pris un arrêté de remise du requérant aux autorités italiennes. Toutefois, le préfet a ensuite abrogé cet arrêté au motif qu'il ressort du document, produit en cause d'appel, émanant du centre de coopération policière et douanière de Vintimille, que les autorités italiennes ont refusé le 12 octobre 2017 la réadmission de l'intéressé sur leur territoire. Dans ces circonstances, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation de M. A...la décision de prendre une obligation de quitter le territoire français, plutôt qu'une décision de remise aux autorités italiennes.
3. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen.
Sur les moyens communs aux différentes décisions contenues dans l'arrêté du 16 octobre 2017 :
4. Par un arrêté n° 2017-10-68 du 20 mars 2017, régulièrement publié au recueil spécial n° 24 des actes de la préfecture du Pas-de-Calais du même jour, le préfet du Pas-de-Calais a donné délégation à M. D...C..., sous-préfet de Boulogne-sur-Mer, à l'effet de signer notamment les décisions contestées contenus dans l'arrêté du 16 octobre 2017. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions en litige manque en fait et doit, dès lors, être écarté.
5. Les décisions comportent l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles elles se fondent. Par suite, le moyen tiré de leur insuffisance de motivation doit être écarté.
6. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Pas-de-Calais n'aurait pas procédé à un examen sérieux de la situation de M.A....
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
7. Aux termes de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés : " Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. 2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ".
8. M. A... ne peut utilement se prévaloir du principe de non-refoulement énoncé par les stipulations de l'article 33 de la convention de Genève dès lors que l'obligation de quitter le territoire français n'a pas pour objet de déterminer le pays à destination duquel il sera renvoyé et n'a pas non plus pour effet de le contraindre à retourner dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 doit être écarté.
9. Aux termes de l'article 21 de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 signée le 19 juin 1990 : " 1. Les étrangers titulaires d'un titre de séjour délivré par une des Parties Contractantes peuvent, sous le couvert de ce titre ainsi que d'un document de voyage, ces documents étant en cours de validité, circuler librement pendant une période de trois mois au maximum sur le territoire des autres Parties Contractantes, pour autant qu'ils remplissent les conditions d'entrée visées à l'article 5, paragraphe 1, points a), c) et e), et qu'ils ne figurent pas sur la liste de signalement nationale de la Partie Contractante concernée. ".
10. Si M. A...était en possession d'un titre de séjour délivré par les autorités italiennes et d'un passeport en cours de validité, il ressort toutefois du procès-verbal d'audition qu'il a déclaré ne pas pouvoir présenter de justificatif de son adresse en France et qu'il n'a produit aucune pièce permettant de justifier de l'objet et des conditions de son séjour en France. Il a d'ailleurs indiqué vouloir se rendre en Grande-Bretagne. En conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 21 de la convention d'application de l'accord de Schengen doit être écarté.
Sur le refus de lui accorder un délai de départ volontaire :
11. Il résulte de ce qui a été dit des points 2 à 10, que M. A...n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet.
12. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification pour rejoindre le pays dont il possède la nationalité ou tout autre pays non membre de l'Union européenne ou avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen où il est légalement admissible. (...) / (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / (...) / f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 / (...) ".
13. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui séjourne irrégulièrement en France ne peut justifier y être entré régulièrement. En outre, l'intéressé, qui n'a pas déclaré de lieu de résidence effective, a été interpellé alors qu'il tentait de gagner l'Angleterre sans y être légalement admissible. Par suite, le préfet du Pas-de-Calais pouvait légalement, en application des dispositions du a) et du f) du 3° du II de l'article L. 511-1 précité, lui refuser un délai pour organiser son départ volontaire.
Sur le pays de destination :
14. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". M. A...établit, par la production de son titre de séjour italien délivré très récemment en mars 2017 et valable jusqu'en 2022 et dont il n'est pas allégué qu'il s'agirait d'un faux, qu'il a obtenu dans ce pays le bénéfice de la protection subsidiaire. Alors même ainsi qu'il a été dit au point 2, que les autorités italiennes ont refusé de procéder à la réadmission de M.A..., il ne ressort d'aucune pièce du dossier que celles-ci auraient mis fin au bénéfice de la protection subsidiaire dont bénéficie M. A...jusqu'en 2022. Dans les circonstances de l'espèce, M. A...doit, en l'absence de toute contestation de la part du préfet sur ce point, être regardé comme personnellement exposé en Afghanistan à des risques de peines ou traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens dirigés contre le pays de destination, le préfet, en fixant l'Afghanistan comme pays de destination, a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
15. Il résulte de ce qui a été dit des points 13 à 14, que M. A...n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet.
16. Aux termes du point 1 de l'article 42 du règlement (CE) n° 1987/2006 du 20 décembre 2006 : " Les ressortissants de pays tiers qui font l'objet d'un signalement introduit en vertu du présent règlement sont informés conformément aux articles 10 et 11 de la directive 95/46/CE. Cette information est fournie par écrit, avec une copie de la décision nationale, visée à l'article 24, paragraphe 1, qui est à l'origine du signalement, ou une référence à ladite décision ".
17. Si M. A...soutient qu'il n'a pas été destinataire de l'information prévue par l'article 42 du règlement n° 1987/2006, conformément aux exigences de la directive 95/46/CE relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, cette circonstance, alors au demeurant que l'intéressé a été informé, aux termes de l'article 4 de l'arrêté en litige, qu'il faisait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, est sans incidence sur la légalité de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français.
18. Aux termes de l'article 11 de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier : " 1. Les décisions de retour sont assorties d'une interdiction d'entrée : / a) si aucun délai n'a été accordé pour le départ volontaire, ou / b) si l'obligation de retour n'a pas été respectée. / Dans les autres cas, les décisions de retour peuvent être assorties d'une interdiction d'entrée. / 2. La durée de l'interdiction d'entrée est fixée en tenant dûment compte de toutes les circonstances propres à chaque cas et ne dépasse pas cinq ans en principe (...) ".
19. Ces dispositions n'imposent pas que la situation de l'étranger, à l'encontre duquel une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français est envisagée, soit appréciée par l'autorité administrative au regard du territoire de l'ensemble des Etats membres de l'espace Schengen au lieu du seul territoire français. Par suite, les éléments d'appréciation énoncés par les dispositions rappelées ci-dessus du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier la durée de présence sur le territoire français, la nature et l'ancienneté des liens avec la France et la menace pour l'ordre public que représenterait le cas échéant sa présence sur le territoire français, ne présentent pas un caractère plus restrictif que ceux prévus par les dispositions de la directive du 16 décembre 2008 et ne sont, par suite, pas incompatibles avec les objectifs de cette directive.
20. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. ".
21. Pour prononcer l'interdiction de retour sur le territoire d'une durée d'un an à l'encontre de M. A..., le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé sur les conditions de séjour de l'intéressé qui n'y séjourne que depuis quelques jours, sur l'absence de liens privés familiaux en France, sur le fait qu'il n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et qu'il ne représente pas une menace pour l'ordre public. Dès lors, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, le préfet du Pas-de-Calais n'a pas commis d'erreur d'appréciation en prononçant une interdiction de retour sur le territoire pour une durée d'un an.
22. M. A...ne se prévaut d'aucune attache privée ou familiale en France, où son séjour est très récent. Par suite, le préfet n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de M. A...au respect de sa vie privée et familiale et n'a, par suite, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de M. A...doit être écarté.
23. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé la décision obligeant M. A...à quitter le territoire, la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire ainsi que celle prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 26 octobre 2017 est annulé en tant qu'il annule les décisions du 16 octobre 2017 obligeant M. A...à quitter le territoire, refusant de lui accorder le délai de départ volontaire et lui interdisant le retour sur le territoire français pour un délai d'un an.
Article 2 : La demande de M. A...présentée devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée dans cette mesure.
Article 3 : Le surplus de la requête du préfet du Pas-de-Calais est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera adressée pour information au préfet du Pas-de-Calais.
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N°18DA00006
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