Par un jugement n° 1103246 du 14 octobre 2014 le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 décembre 2014 et le 10 décembre 2015, L'association " Générations Mémoire Harkis " et M. B...D... représentés par la SELARL Detrez Cambrai Avocat, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 14 octobre 2014 du tribunal administratif de Rouen ;
2°) de condamner l'Etat à verser à l'association " Générations Mémoire Harkis " la somme de 150 000 euros au titre du préjudice moral et matériel qu'elle soutient avoir subi ;
3°) de condamner l'Etat à verser à M. D...la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral et matériel qu'il soutient avoir subi ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de la faute commise par l'Etat en raison de l'incompétence négative du législateur ;
- en ne prévoyant pas de sanctions pénales à l'interdiction posée par l'article 5 de la loi du 23 février 2005, la législateur a méconnu sa propre compétence et commis une faute ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison de la méconnaissance par la loi du 23 février 2005 des articles 8, 6 paragraphe 1, 13, 14 et 17 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'absence de sanction pénale venant sanctionner l'article 5 de la loi du 23 février 2005 est constitutive d'une rupture d'égalité devant les charges publics ;
- ils supportent un préjudice moral et matériel en ne pouvant se porter partie civile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mai 2015, le directeur de l'office national des anciens combattants et victimes de guerre conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par l'association " Générations Mémoire Harkis " et M. D...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution,
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi du 29 juillet 1881 ;
- la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- les conclusions de M. Hadi Habchi, rapporteur public,
- et les observations de Me C...E..., représentant l'association " Générations Mémoire Harkis " et M.D....
Sur la régularité du jugement :
1. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le moyen tiré de l'incompétence négative commise par le législateur en s'abstenant d'assortir l'interdiction posée à l'article 5 de la loi du 23 février 2005 d'une sanction pénale, était invoqué par les requérants dans leurs écritures de première instance ; que, par suite, ils ne sont pas fondés à soutenir que tribunal administratif aurait omis de statuer sur ce moyen ;
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Considérant que la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée, d'une part, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi à la condition que cette loi n'ait pas entendu exclure toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés, d'autre part, en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ;
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat fondée sur la rupture de l'égalité des citoyens devant les charges publiques :
3. Considérant que l'association " Générations Mémoire Harkis " et M. D...recherchent la responsabilité de l'Etat en soutenant que si l'article 5 de la loi du 23 février 2005, a interdit toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de sa qualité, réelle ou supposée d'éléments supplétifs de l'armée française en Algérie, ces dispositions en ne prévoyant pas de sanctions pénales à cette interdiction engagent la responsabilité de l'Etat ; que, cependant, alors même, comme le soutiennent les requérants, que la loi précitée ne prévoit pas de sanction pénale à l'interdiction qu'elle pose, les membres des forces supplétives de l'armée française en Algérie et leur ayants droits peuvent, comme tout personne victime de diffamation ou d'injure, bénéficier des dispositions de la loi du 29 juillet 1991 réprimant ces délits et notamment de son article 29 ; que si comme le soutiennent les requérants ces dispositions ne permettent pas de réprimer ces mêmes faits lorsqu'ils visent la communauté Harkis dans son ensemble, le préjudice résultant de cette restriction, à le supposer établi, ne revêt pas dans ces circonstances et dès lors que comme il vient d'être dit les dispositions précitées permettent aux personnes injuriées ou diffamées à titre individuelle d'introduire une action pénale, un caractère grave et spécial ;
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat du fait de la méconnaissance par une loi des engagements internationaux de la France :
4. Considérant que la Cour européenne des droits de l'homme a, dans son arrêt " Perez c. France " du 12 février 2004, décidé qu'une plainte avec constitution de partie civile rentrait dans le champ d'application de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que toutefois la Cour a précisé dans le paragraphe 70 de cette décision que ces dispositions n'impliquaient pas le droit de faire condamner pénalement un tiers ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la loi du 23 février 2005, en ne prévoyant pas d'incrimination spécifique sanctionnant les injures et diffamations faites aux membres des forces supplétives de l'armée française en Algérie et leur ayants droits, méconnaitrait le droit à un recours effectif tel qu'il est garanti par les dispositions du 1er paragraphe de l'article 6 et de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que l'absence de dispositions pénales spécifiques sanctionnant l'interdiction d'injurier ou de diffamer les membres des forces supplétives de l'armée française en Algérie ou leurs ayants-droit ne méconnaît pas le droit à un recours effectif ; que les requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que l'absence dans la loi du 23 février 2005 de sanctions pénales spécifiques constituerait une discrimination prohibée par les dispositions combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avec celles du 1er paragraphe de l'article 6 du même texte ; que pour les mêmes motifs la méconnaissance alléguée des articles 8 et 17 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écartée ;
En ce qui concerne la responsabilité, pour faute, de l'Etat du fait des lois :
6. Considérant que les requérants, dès lors qu'il n'appartient pas au juge administratif de contrôler l'usage de fait le législateur de ses pouvoirs, ne peuvent utilement faire valoir devant le juge administratif qu'en adoptant une loi ne prévoyant pas l'incrimination précitée, la responsabilité de l'Etat se trouvait engagée du fait d'une faute commise par le législateur ; que si par une ordonnance du 2 mai 2013 le président de la 4ième chambre du tribunal administratif de Rouen a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association " Générations Mémoire Harkis " et M.D..., les intéressés n'ont pas contesté cette ordonnance à l'occasion du présent recours ; que dans ces circonstances, ils ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que la loi du 23 février 2005, serait fautive, dès lors, qu'entachée d'incompétence négative et créant un discrimination, elle méconnaitrait la Constitution ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'association " Générations Mémoire Harkis " et M. D...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 14 octobre 2014, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l'association " Générations Mémoire Harkis " et M. D...demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'association " Générations Mémoire Harkis " et M. D...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'association " Générations Mémoire Harkis ", à M. B...D...et au Premier ministre (mission interministérielle aux rapatriés).
Copie à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre
Délibéré après l'audience publique du 1er décembre 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- M. Jean-Jacques Gauthé , premier conseiller.
Lu en audience publique le 15 décembre 2016.
Le rapporteur,
Signé : O. NIZET Le président de chambre,
Signé : P-L. ALBERTINI Le greffier,
Signé : I. GENOT
La République mande et ordonne au secrétaire d'Etat auprès du ministre de la défense chargé des anciens combattants et de la mémoire en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Isabelle Genot
N°14DA01951 2