Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement du 25 novembre 2016 en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de destination ;
2°) de rejeter l'ensemble des moyens et conclusions soulevés par M.A... ;
Elle soutient que :
- M. A...ne démontre pas qu'il est de nationalité irakienne ;
- il ne démontre pas non plus qu'il risquerait de subir personnellement des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté ne méconnaît pas les dispositions des articles L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
La requête a été communiquée à M. C... A...qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président-rapporteur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Sur le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné :
1. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ;
2. Considérant que la Cour européenne des droits de l'homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129 et 131 et 15 janvier 2015, AA. c. France, n° 18039/11) ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.A..., qui se déclare ressortissant irakien, né le 1er mai 1979 à Alsulaymaniyah, dans le Kurdistan d'Irak, est entré en France démuni de tout visa ou document de séjour, selon ses dires, le 21 octobre 2016 ; qu'après son interpellation, le 18 novembre 2016, dans la zone d'accès restreint du Port-de-Calais, alors qu'il était dissimulé dans la remorque d'un poids-lourd à destination de la Grande-Bretagne, la préfète du Pas-de-Calais lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an ; qu'il a déclaré, lors de son audition par les services de police, avoir quitté l'Irak en raison de la guerre et vouloir rejoindre son épouse ainsi que ses trois enfants au Royaume-Uni ; que l'origine et la nationalité de M.A..., qui s'est spontanément déclaré de nationalité irakienne, et a fourni à l'agent de police judiciaire qui l'a entendu à deux reprises, le 18 novembre 2016 à 11 heures, puis à 14 heures, avec le concours d'un interprète en langue kurde, des réponses exactes et cohérentes aux questions posées sur son pays d'origine, en indiquant son lieu de naissance après avoir reconnu qu'il avait demandé un visa de type C le 12 juin 2016 afin de se rendre en France pour un motif professionnel, ne sont pas sérieusement contestées par la préfète du Pas-de-Calais, qui a invité l'ambassadeur d'Irak, par lettre en date du même jour que la décision en litige, à établir un laissez-passer consulaire pour lui permettre d'organiser sans tarder l'éloignement, au motif qu'il est inscrit dans le système d'information "Visabio" et qu'un passeport n° A7989987, valable du 16 décembre 2014 au 14 décembre 2022 lui a été délivré par les autorités du pays dont il a la nationalité ;
4. Considérant qu'il ressort des informations publiques relatives à la situation géopolitique du pays rassemblées par des organismes internationaux que l'Irak est le terrain d'un conflit armé particulièrement violent opposant notamment les forces armées gouvernementales et celles de l'Etat islamique ; que ce conflit qui s'est étendu à la quasi-totalité du territoire du pays est à l'origine d'une crise humanitaire majeure, résultant du nombre de victimes et du nombre d'habitants déplacés, et d'un climat de violence généralisée ; qu'en outre, le Kurdistan irakien, est également touché par le conflit en Irak ; que les kurdes, qui ont pris part aux combats contre l'organisation de l'Etat islamique, sont particulièrement visés par ses attaques ; que la situation prévalant dans une partie du territoire du pays d'origine de M. A... s'est détériorée au point qu'elle peut être qualifiée de situation de violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ; qu'ainsi, dans ces circonstances et au regard de l'importance et du caractère généralisé des violences en Irak, M. A...est fondé à soutenir qu'il encourt, en cas de retour en Irak, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque avéré de subir des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'ainsi l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 18 novembre 2016 fixant le pays de destination ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la préfète du Pas-de-Calais est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. C...A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 15 mars 2017 à laquelle siégeaient :
M. B...-louis Albertini, président de chambre,
M. Olivier Nizet, président-assesseur,
M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller.
Lu en audience publique le 30 mars 2017.
L'assesseur le plus ancien,
Signé : O. NIZET
Le président de chambre,
président-rapporteur,
Signé : P.-L. ALBERTINI Le greffier,
Signé : I. GENOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Isabelle Genot
1
2
N°16DA02437
5
N° 16DA02437