Par une requête, enregistrée le 20 février 2018, le préfet de l'Eure demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de première instance de MmeC....
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Xavier Fabre, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Sur le motif d'annulation retenu par la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille :
1. Aux termes de l'article 4 - Droit à l'information - du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...) ".
2. Il ressort des pièces du dossier que MmeC..., qui a présenté une demande d'asile à la préfecture de la Seine-Maritime le 17 août 2017 a bénéficié, le même jour, d'un entretien individuel en langue turque, langue qu'elle a déclaré comprendre, assistée d'un interprète. A cette occasion, ainsi que cela résulte du compte-rendu d'entretien qu'elle a signé, elle s'est vue remettre le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires, dont il n'est pas contesté qu'ils étaient rédigés en langue turque, comportant les informations mentionnées par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. C'est par suite à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen s'est fondée sur ce motif pour annuler l'arrêté du 30 novembre 2017 décidant la remise de Mme C...aux autorités polonaises.
3. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par MmeC..., à l'encontre de l'arrêté attaqué, devant la juridiction administrative.
Sur les autres moyens :
4. Aux termes de l'article 5 - Entretien individuel - du règlement cité au point 1. : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. 2. L'entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque : / a) le demandeur a pris la fuite ; ou / après avoir reçu les informations visées à l'article 4, le demandeur a déjà fourni par d'autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l'Etat membre responsable. L'Etat membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l'Etat membre responsable avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
5. Ainsi qu'il a été dit au point 2, Mme C...a bénéficié le 17 août 2017 d'un entretien individuel en langue turque, langue qu'elle a déclaré comprendre, assistée d'un interprète. Il ressort des éléments figurant dans ce compte-rendu, qui ne sont pas sérieusement contestés par l'intéressée, que les exigences de l'article 5 du règlement précité ont bien été respectées.
6. Aux termes de l'article L. 611-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Afin de mieux garantir le droit au séjour des personnes en situation régulière et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France, les empreintes digitales ainsi qu'une photographie des ressortissants étrangers qui sollicitent la délivrance, auprès d'un consulat ou à la frontière extérieure des Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, d'un visa afin de séjourner en France ou sur le territoire d'un autre Etat partie à ladite convention peuvent être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. / Ces empreintes et cette photographie sont obligatoirement relevées en cas de délivrance d'un visa ". Aux termes de l'article R. 611-8 du même code : " Est autorisée la création, sur le fondement de l'article L. 611-6, d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé VISABIO, relevant du ministère des affaires étrangères et du ministère chargé de l'immigration. / Ce traitement a pour finalité : / - de mieux garantir le droit au séjour des personnes en situation régulière et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France, en prévenant les fraudes documentaires et les usurpations d'identité ; / - de permettre l'instruction des demandes de visas en procédant notamment à l'échange d'informations, d'une part, avec des autorités nationales, d'autre part, avec les autorités des Etats Schengen au travers du système d'information sur les visas (VIS) pour les données biométriques se rapportant aux visas pour un séjour d'une durée inférieure à trois mois délivrés par les autorités françaises. / Il vise : / 1° A améliorer les conditions de délivrance des visas en permettant de déceler les demandes présentées par la même personne sous plusieurs identités ; / 2° A améliorer la vérification de l'authenticité des visas ainsi que de l'identité de leurs détenteurs aux points de contrôle français aux frontières extérieures des Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et aux frontières des territoires non européens de la République française ; / 3° A faciliter, sur le territoire national, les vérifications d'identité opérées, en application de l'article 78-3 du code de procédure pénale, par les services de la police et de la gendarmerie nationales ; / 4° A faciliter la vérification par les services mentionnés au 3° de l'authenticité des visas et de la régularité du séjour ; / 5° A faciliter l'identification des étrangers en situation irrégulière en vue de leur éloignement ".
7. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de l'Eure a utilisé une prise d'empreintes de Mme C...pour l'utilisation du fichier Visabio. Cette utilisation a permis d'établir que l'intéressée avait obtenu des autorités consulaires polonaises en Azerbaïdjan un visa de court séjour valable du 31 juillet 2017 au 20 août 2017 pour un séjour en Pologne de 21 jours et révélant la délivrance d'un passeport azerbaïdjanais émis le 6 février 2017 et expirant le 5 février 2027. Le préfet de l'Eure a pu régulièrement utiliser les empreintes de l'intéressée dans le cadre du système Visabio dès lors que les dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient que le traitement automatisé de données Visabio a notamment pour objet de faciliter l'identification des étrangers en situation irrégulière en vue de leur éloignement. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 611-6 et R. 611-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit, par suite, être écarté.
8. Aux termes de l'article 20 - Début de la procédure - du règlement communautaire précité : " / (...) 3. Aux fins du présent règlement, la situation du mineur qui accompagne le demandeur et répond à la définition de membre de la famille est indissociable de celle du membre de sa famille et relève de la responsabilité de l'État membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale dudit membre de la famille, même si le mineur n'est pas à titre individuel un demandeur, à condition que ce soit dans l'intérêt supérieur du mineur. Le même traitement est appliqué aux enfants nés après l'arrivée du demandeur sur le territoire des États membres, sans qu'il soit nécessaire d'entamer pour eux une nouvelle procédure de prise en charge. / (...) ".
9. Dès lors que, tant à la date de l'entretien individuel qu'à celle de la demande de prise en charge par les autorités polonaises, Mme C...était simplement enceinte de son troisième enfant, elle ne peut reprocher à l'autorité préfectorale de n'avoir pas fait état de l'existence d'un troisième enfant auprès des autorités polonaises dans le cadre de la demande de prise en charge. Par ailleurs, s'il incombait à la France de porter à la connaissance de la Pologne la naissance de ce troisième enfant, de sexe féminin, prénommée Gulay et née le 13 novembre 2017, il résulte des dispositions précitées que la situation de ce troisième enfant est en tout état de cause indissociable de celle de ses parents et relève également de la responsabilité de l'État membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale de M. et MmeB.... Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point précédent doit, par suite, être écarté.
10. Dans l'arrêté attaqué, daté du 30 novembre 2017, le préfet de l'Eure a uniquement fait état de l'existence de deux enfants mineurs devant accompagner M. et Mme B...en Pologne. Cette mention est erronée puisqu'il n'est pas contesté que Mme C...a donné naissance, le 13 novembre 2017, soit avant l'édiction de l'arrêté contesté, à une fille, prénommée Gulay. Pour autant, cette circonstance n'est pas de nature à démontrer que l'autorité préfectorale n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de Mme B...dès lors que l'intéressée ne soutient ni même n'allègue qu'elle aurait, avant l'édiction de l'arrêté contesté, informé le préfet de ce changement dans sa situation familiale. Par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, cette erreur de fait n'est pas de nature à avoir eu une incidence sur la décision prise par le préfet. Le moyen, dans ses deux branches doit, par suite, être écarté.
11. A la date de l'arrêté attaqué, MmeC..., qui a déclaré être entrée en France le 5 août 2017, n'était présente sur le territoire national que depuis un peu plus que trois mois. Au vu des pièces du dossier, elle est dépourvue de toute famille en France hormis son époux, qui fait également l'objet d'un arrêté de remise aux autorités polonaises, et ses enfants mineurs. Par suite, eu égard aux conditions et à la durée de son séjour, la décision en litige n'a pas porté au droit de Mme C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Elle n'a, ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 6 du règlement précité (CE) 604/2013 : " 1. L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les États membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement. / (...) ".
13. L'arrêté contesté n'a ni pour objet ni pour effet de séparer Mme C...de ses enfants, M. B...faisant également l'objet d'un arrêté de transfert en Pologne et ce pays devant prendre en charge l'ensemble de la famille. Au vu des pièces du dossier, le jeune âge de l'enfant dernier né ne fait pas obstacle à ce qu'il accompagne ses parents vers la Pologne. L'intérêt supérieur des enfants de Mme C...n'a, ainsi, pas été méconnu.
14. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
15. Ainsi qu'il a été dit au point 11, tant Mme C...que son époux et par conséquence, leurs enfants mineurs, font l'objet d'arrêtés de remise aux autorités polonaises, ce qui permettra le maintien de la cellule familiale. Par suite, et alors que l'intéressée ne se prévaut par ailleurs d'aucun risque pour sa sécurité en cas de transfert aux autorités polonaises le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations cités au point précédent doit être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Eure est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 30 novembre 2017 pris à l'encontre de Mme C.... Par voie de conséquence, les conclusions présentées en appel par Mme C...sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 9 janvier 2018 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : Les demandes de première instance et d'appel de Mme C...sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C..., au ministre de l'intérieur et à MeD....
Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Eure.
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N°18DA00384