Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 29 juin 2020, Mme E... épouse C..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 mai 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Isère du 14 janvier 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou " conjoint de français " ou subsidiairement, d'examiner à nouveau sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler dans le même délai, le tout sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme E... épouse C... soutient que :
- le préfet de l'Isère a commis une erreur manifeste d'appréciation et a méconnu le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de lui délivrer un titre de séjour ;
- elle remplit les conditions du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour se voir délivrer un titre de séjour en tant que conjoint de français ;
- le refus de titre de séjour litigieux méconnait le 6ème alinéa de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle est entrée régulièrement en France ;
- le droit au mariage et à fonder une famille, protégé par l'article 12 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu, de même que son droit à une vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la même convention, ainsi que par l'article 23 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 ;
- l'arrêté litigieux méconnaît les stipulations des articles 8 et 8 A du Traité de Rome tels que modifiés par le Traité de Maastricht, des articles 2 et 7 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet de l'Isère, qui n'a pas présenté d'observations.
Mme E... épouse C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 2 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme A..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... épouse C..., ressortissante de l'Ouzbékistan née en 1992, est entrée en France le 1er septembre 2017, selon ses déclarations. Le 30 novembre 2018, elle a épousé un ressortissant de nationalité française. Le 15 mai 2019, elle a présenté une demande de titre de séjour en qualité de conjoint de français. Par un arrêté du 14 janvier 2020, le préfet de l'Isère a rejeté sa demande et assorti le refus d'admission au séjour d'une obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, pour refuser de délivrer à Mme E... épouse C... le titre de séjour demandé, le préfet de l'Isère s'est fondé sur ce qu'elle n'était pas entrée en France sous couvert du visa de long séjour exigé à l'article L. 313-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ne pouvait bénéficier des dispositions de l'article L. 211-2-1 du même code en raison de son entrée irrégulière en France.
3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 4° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ". Aux termes de l'article L. 311-7 du même code : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, l'octroi de la carte de séjour temporaire et celui de la carte de séjour " compétences et talents " sont subordonnés à la production par l'étranger d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ". Selon le 6ème alinéa de l'article L. 211-2-1 du même code : " Lorsque la demande de visa de long séjour émane d'un étranger entré régulièrement en France, marié en France avec un ressortissant de nationalité française et que le demandeur séjourne en France depuis plus de six mois avec son conjoint, la demande de visa de long séjour est présentée à l'autorité administrative compétente pour la délivrance d'un titre de séjour ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la production d'un visa de long séjour, délivré, le cas échéant, selon les modalités fixées au sixième alinéa de l'article L. 211-2-1, est au nombre des conditions auxquelles est subordonnée la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement du 4° de l'article L. 313-11. Dès lors, le préfet peut refuser une telle carte de séjour en se fondant sur le défaut de production par l'étranger d'un visa de long séjour.
4. Mme E... épouse C... soutient qu'étant entrée en France régulièrement, le préfet ne pouvait se borner à lui opposer l'absence de visa de long séjour demandé préalablement à son entrée en France et que la décision litigieuse méconnaît ainsi les dispositions précitées du 6ème de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Aux termes de l'article 22 de la convention d'application de l'accord de Schengen de 1990 : " 1. Les étrangers entrés régulièrement sur le territoire d'une des Parties Contractantes sont tenus de se déclarer, dans les conditions fixées par chaque Partie Contractante, aux autorités compétentes de la Partie Contractante sur le territoire de laquelle ils pénètrent. Cette déclaration peut être souscrite au choix de chaque Partie Contractante, soit à l'entrée, soit, dans un délai de trois jours ouvrables à partir de l'entrée, à l'intérieur du territoire de la Partie Contractante sur lequel ils pénètrent (...) ". La souscription de la déclaration prévue par ces stipulations et dont l'obligation figure à l'article L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est une condition de la régularité de l'entrée en France de l'étranger soumis à l'obligation de visa et en provenance directe d'un Etat partie à cette convention qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire. Enfin, selon l'article R. 211-32 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La déclaration obligatoire mentionnée à l'article L. 531-2 est, sous réserve des dispositions de l'article R. 212-6, souscrite à l'entrée sur le territoire métropolitain par l'étranger qui n'est pas ressortissant d'un Etat membre de la Communauté européenne et qui est en provenance directe d'un Etat partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 ". Sont toutefois dispensés de cette formalité, en vertu de l'article R. 212-6 du même code, les étrangers qui ne sont pas astreints à l'obligation de visa pour un séjour inférieur à trois mois et ceux qui sont titulaires d'un titre de séjour en cours de validité, d'une durée supérieure ou égale à un an, délivré par un État partie à la convention d'application de l'accord de Schengen.
6. En l'espèce, afin d'établir qu'elle est entrée de manière régulière en France, Mme E... épouse C... se borne à produire une carte de séjour délivrée par les autorités de la Lettonie. Toutefois, la validité de ce titre expirait le 9 septembre 2016 et il n'était ainsi plus valable à la date déclarée de son entrée en France, soit le 1er septembre 2017. Elle n'était donc pas dispensée de souscrire la déclaration obligatoire mentionnée à l'article 22 de la convention de Schengen. Dès lors, Mme E... épouse C... ne peut être regardée comme justifiant être entrée régulièrement sur le territoire français. Par suite, le préfet de l'Isère a pu, à bon droit, opposer à Mme E... épouse C... l'absence de production d'un visa de long séjour pour refuser de lui délivrer le titre de séjour qu'elle avait sollicité sur le fondement du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Mme E... épouse C... se prévaut de son mariage avec un ressortissant français en novembre 2018, avec lequel elle vivrait depuis 2017 et produit de nombreuses attestations de personnes rencontrées pendant son séjour en France témoignant de sa volonté de s'insérer socialement dans la société française ainsi que le compte-rendu d'un entretien auprès de Pôle emploi faisant état d'un projet professionnel dans le métier du numérique et de l'intérêt d'une entreprise pour sa candidature. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme E... a vécu jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans en Ouzbékistan avant d'entrer sur le territoire français en 2017 selon ses déclarations. Son mariage avec un ressortissant français était récent à la date de la décision qui ne fait pas obstacle à ce qu'elle forme une demande de visa de long séjour depuis son pays d'origine en vue de solliciter un titre de séjour en tant que conjointe d'un ressortissant français, afin de se conformer aux dispositions précitées. Par ailleurs, elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où réside notamment sa mère et ses liens d'ordre privés et professionnels en France n'étaient pas particulièrement intenses et anciens à la date de la décision. Ainsi, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour en France, la décision de refus de titre de séjour ne porte pas à son droit à une vie privée et familiale normale, garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée.
9. La décision litigieuse, qui n'a ni pour objet ni pour effet de faire obstacle au mariage de Mme E... épouse C..., déjà célébré, et ne prive pas les époux de la possibilité de mener une vie commune, notamment s'ils se conforment à la procédure décrite aux dispositions précitées, ne peut être regardée comme portant atteinte à son droit au mariage et à fonder une famille et, par suite, comme intervenue en violation des stipulations de l'article 12 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, la décision contestée ne méconnaît pas l'article 23 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966.
10. En troisième lieu, la requérante n'ayant pas présenté une demande de titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle ne peut utilement invoquer ces dispositions.
11. En quatrième lieu, les moyens tirés de ce que l'arrêté attaqué méconnaitrait les stipulations des articles 8 et 8 A du Traité de Rome tels que modifiés par le Traité de Maastricht, les articles 2 et 7 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, des articles 12 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont dépourvus des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé et doivent être écartés.
12. Il résulte de ce qui précède que Mme E... épouse C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... épouse C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... E... épouse C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme B..., présidente-assesseure,
Mme A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2021.
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N° 20LY01718
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