Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 décembre 2019 et le 16 juillet 2020, M. D..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et des pénalités restant à sa charge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. D... soutient que :
- sa demande de première instance était recevable ainsi que l'a jugé le tribunal administratif ;
- il n'a pas pris part à la vérification de comptabilité de la SARL Lamart Développement et est dans l'impossibilité de contester les impositions mises à sa charge ;
- la procédure d'imposition engagée à son encontre n'a pas été contradictoire en méconnaissance des articles L. 47 et suivants du livre des procédures fiscales et de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les sommes prétendument mises à sa charge comme des salaires correspondent à un décaissement progressif de son compte courant d'associé ;
- le tribunal a écarté sans le moindre développement au fond son argumentation s'agissant de la somme de 148 100 euros ; cette somme correspond à la récupération de sa créance suite à la création de la holding ;
- s'agissant de la somme de 117 689 euros, il ignore de quelle cession de créance il s'agit ;
- les pénalités ne sont pas justifiées dès lors qu'il ne s'est jamais occupé de comptabilité, qu'il est de bonne foi et qu'il n'a jamais cherché à se soustraire à ses obligations.
Par un mémoire, enregistré le 17 juin 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient que :
- une éventuelle irrégularité de la vérification de comptabilité de la société est sans influence sur la validité de l'imposition personnelle de l'associé ; en tout état de cause, le moyen n'est pas fondé ;
- les autres moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire, si la cour devait considérer que les sommes en litige ne pouvaient être imposées sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, elles sont imposables sur le fondement du 2° du 1 de cet article qu'il convient de substituer au 1°.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C..., première conseillère,
- et les conclusions de Mme Conesa-Terrade, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D... était associé, à hauteur de 50 % des parts, et gérant de la SARL Lamart Développement, société holding qui a fait l'objet en 2015 d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, étendue au 30 novembre 2014 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. A l'issue de ce contrôle, l'administration a, au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012, réintégré dans les résultats de la société, notamment, des sommes inscrites au crédit du compte courant d'associé de M. D... au motif qu'elles constituaient un passif injustifié. Au titre de l'exercice clos en 2013, la société n'ayant pas rempli ses obligations déclaratives, l'administration fiscale a d'office établi son résultat imposable après avoir reconstitué son chiffre d'affaires. L'administration ayant considéré que les sommes réintégrées dans les résultats de la société à la suite de ce contrôle au titre de l'exercice clos en 2012 ainsi que la moitié du bénéfice rectifié au titre de l'exercice clos en 2013 constituaient des revenus imposables entre les mains de M. D... dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, a assujetti ce dernier à des compléments d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre des années 2012 et 2013, notifiés selon la procédure contradictoire. Ces cotisations supplémentaires ont été assorties des majorations prévues aux a. et c. de l'article 1729 du code général des impôts. Par une décision du 3 août 2018, l'administration a prononcé le dégrèvement en droits et pénalités, d'une part, des impositions correspondant à la majoration de 25 % de l'assiette des contributions sociales au titre de l'année 2012, et, d'autre part, des impositions supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales assignées au titre de l'année 2013. Par un jugement du 3 octobre 2019, dont M. D... relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a substitué la majoration de 40 % pour manquement délibéré à la majoration de 80 % dont ont été assorties les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquels l'intéressé a été assujetti au titre de l'année 2012 en ce qui concerne les rectifications portant sur les salaires et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".
3. Pour contester l'imposition entre ses mains de la somme de 148 100 euros, M. D... s'est borné à faire valoir, devant les premiers juges, qu'il ne s'est jamais occupé de comptabilité ni de gestion financière. En écartant cette argumentation comme inopérante, le tribunal administratif de Grenoble n'a pas entaché son jugement d'une insuffisance de motivation. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit, par suite, être écarté.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la déclaration souscrite par M. D... au titre de l'année 2012 a fait l'objet d'un contrôle sur pièces à l'issue duquel l'administration a tiré les conséquences de la vérification de comptabilité de la SARL Lamart Développement et a mis à la charge de M. D... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Par suite, l'intéressé, qui n'a fait l'objet ni d'un examen de sa situation fiscale personnelle, ni d'une vérification de comptabilité, ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions des articles L. 47 à L. 50 du livre des procédures fiscales.
5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que M. D..., qui a notamment été rendu destinataire d'une proposition de rectification suffisamment motivée mentionnant qu'il avait la possibilité de présenter des observations, a bénéficié dans le cadre du contrôle sur pièces dont il a fait l'objet de l'ensemble des garanties prévues par la procédure de redressement contradictoire. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le caractère contradictoire de la procédure n'aurait pas été assuré.
6. En troisième lieu, les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent être utilement invoquées par le contribuable à l'encontre de la procédure suivie à son endroit, dès lors qu'une telle contestation ne porte pas sur des droits et obligations à caractère civil et qu'il n'invoque pas la méconnaissance de ces stipulations dans la fixation des pénalités pour manquement délibéré.
7. En dernier lieu, en vertu du principe d'indépendance des procédures, les éventuelles irrégularités de la procédure d'imposition suivie à l'encontre d'une société soumise au régime d'imposition des sociétés de capitaux ne peuvent avoir d'autre conséquence que la décharge des impositions mises à la charge de cette société et restent sans incidence sur les impositions personnelles mises à la charge de la personne imposée à l'impôt sur le revenu au titre des distributions de cette société. Par suite, le moyen tiré de ce que M. D... n'aurait pas été mis à même de participer aux opérations de contrôle de la SARL Lamart Développement doit être écarté comme inopérant.
Sur le bien-fondé des impositions :
8. Aux termes du 1 de l'article 109 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; (...) " Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés. ".
9. Les impositions en litige procèdent de l'inclusion dans les revenus taxables entre les mains de M. D... dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sur le fondement des dispositions précitées du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, de sommes correspondant à un rehaussement des bénéfices de la SARL Lamart Développement au titre de l'exercice clos en 2012 et regardées comme des revenus distribués par cette société à l'intéressé.
10. Aux termes de l'article R. 57-1 du livre des procédures fiscales : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de cet article. " Aux termes de l'article R. 194-1 du même livre : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré. ".
11. Il est constant que M. D... n'a pas fait parvenir d'observations dans le délai de trente jours prévu par l'article R. 57-1 du livre des procédures fiscales à la suite de la notification de la proposition de rectification du 29 septembre 2015 par laquelle l'administration a porté à sa connaissance les rehaussements apportés à ses revenus imposables au titre des années 2012 et 2013. Dès lors, le requérant doit être regardé comme ayant accepté ces rehaussements et, de ce fait, supporte, devant le juge de l'impôt, la charge de la preuve du caractère exagéré des impositions.
12. En premier lieu, l'administration, après avoir constaté, à l'occasion de la vérification de comptabilité de la SARL Lamart Développement, que cette dernière avait déduit des charges correspondant au versement, au bénéfice de M. D..., d'un salaire mensuel de 2 642 euros, a remis en cause la déduction, par la société, de la somme de 36 854 euros également comptabilisée comme salaires, versée le 31 décembre 2012, au motif que le versement de salaires s'ajoutant à ceux déclarés mensuellement par la société n'était justifié par aucun document probant. M. D... soutient que la somme de 36 854 euros provient en réalité de la vente des titres des filiales de la SARL Lamart Développement dans lesquelles il détenait des participations. Il n'apporte toutefois, à l'appui de cette affirmation, aucune précision ni aucun justificatif de nature à établir la nature et l'origine de la somme en cause.
13. En deuxième lieu, l'administration a constaté que la SARL Lamart Développement avait porté, au débit du compte courant d'associé ouvert dans ses écritures au nom de M. D..., une somme de 148 100 euros, en tant que " régularisation ", et constaté une dette d'un même montant au nom du requérant au compte " collectif fournisseur ". L'administration a considéré que la somme portée au crédit d'un compte fournisseur au nom de M. D..., alors que ce dernier n'avait fourni aucun bien à la société, était imposable entre les mains de son bénéficiaire en tant que revenus distribués. M. D..., qui se borne à soutenir en appel qu'il a seulement récupéré sa créance à la suite de la création de la holding, n'apporte aucun élément de nature à justifier l'opération litigieuse.
14. En dernier lieu, l'administration a constaté que la SARL Lamart Développement avait soldé, à la clôture de l'exercice 2012, le compte courant ouvert dans ses écritures au nom de la SARL Marti Services, sa filiale, à hauteur de 357 688 euros et qu'elle avait, en parallèle, crédité le compte courant de ses deux associés, MM. Labbé et D..., d'une somme de 58 844 euros chacun et enregistré en produit exceptionnel le solde, soit la somme de 240 000 euros. L'administration a considéré que cette cession de créance entre la SARL Marti Services et les associés de la SARL Lamart Développement, analysée comme un abandon de créance en l'absence de respect des formalités prévues à l'article 1690 du code civil, n'était pas justifiée et a imposé chacun des associés à hauteur de la somme de 58 844 euros regardée comme une distribution de bénéfices. M. D..., qui se borne à faire valoir qu'il ignore de quelle cession de créance il s'agit, n'apporte aucun élément de nature à justifier la comptabilisation par la SARL Lamart Développement d'une cession de créance à son profit.
Sur les pénalités :
15. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) ".
16. Il résulte de l'instruction que l'administration a appliqué la majoration de 40 % prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts aux rectifications portant sur la cession de créance non justifiée d'un montant de 58 544 euros et la régularisation non justifiée de compte courant d'associé d'un montant de 148 100 euros. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 1, le tribunal administratif de Grenoble a substitué la majoration de 40 % pour manquement délibéré à la majoration de 80 % dont ont été assorties les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquels l'intéressé a été assujetti au titre de l'année 2012 en ce qui concerne les rectifications portant sur les salaires.
17. M. D... conteste l'application de ces pénalités en faisant valoir la circonstance que, malgré sa qualité de gérant, il ne s'est jamais occupé de la comptabilité de la SARL Lamart Développement, laquelle était gérée de manière exclusive par son associé. Néanmoins, l'administration, à laquelle il incombe d'apporter la preuve du bien-fondé de la pénalité infligée, établit suffisamment, en retenant la qualité de gérant et d'associé de M. D..., que ce dernier ne pouvait ignorer l'existence de dissimulation de recettes par la SARL Lamart Développement dans la mesure où ces sommes étaient en particulier prélevées par l'intermédiaire de son compte courant d'associé.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Sur les frais liés au litige :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à M. D... la somme qu'il réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Evrard, présidente de la formation de jugement,
Mme B..., première conseillère,
Mme C..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2021.
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N° 19LY04470
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