Par une requête enregistrée le 18 juillet 2017, la SARL Auto Espace, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er juin 2017 ;
2°) à titre principal, de prononcer la décharge de ces impositions ;
3°) à titre subsidiaire, de prononcer la décharge des pénalités qui les ont assorties ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la proposition de rectification est insuffisamment motivée ;
- l'administration a manqué à son devoir de loyauté en procédant aux rectifications en cause après apposé son visa sur les certificats 1993-VT ;
- l'administration ne démontre pas que le régime de la marge n'était pas applicable en se bornant à faire valoir que les véhicules ont été immatriculés au nom d'une entreprise en Allemagne, professionnelle de l'automobile ;
- les mentions relatives au régime de la marge qui étaient portées sur les factures d'achat des véhicules étaient parfaitement vraisemblables ;
- le service n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, du fait qu'elle savait ou aurait dû savoir que les opérations présentaient le caractère d'opérations taxables sur l'intégralité du prix de revente ;
- les pénalités ne sont pas fondées en l'absence d'élément intentionnel.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 février 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 12 février 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 15 juin 2018.
Des mémoires présentés pour la SARL Auto Espace ont été enregistrés les 21 et 23 novembre 2018, postérieurement à la clôture d'instruction.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, présidente assesseure,
- les conclusions de M. Jean-Paul Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la SARL Auto Espace ;
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Auto Espace, qui a pour activité le négoce de véhicules automobiles, a fait l'objet d'une procédure de vérification de comptabilité portant, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période du 1er juillet 2009 au 31 décembre 2011. A l'issue du contrôle, qui a été précédé d'une procédure de visite et de saisie en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale a remis en cause le régime de taxation sur la marge lors de la revente de véhicules d'occasion acquis auprès de fournisseurs établis dans d'autres Etats membres de l'Union européenne, au motif que ces derniers avaient eux-mêmes indûment soumis leurs ventes au régime de la marge et que la société ne pouvait ignorer leurs agissements. L'administration, qui a considéré que les acquisitions des véhicules en cause relevaient du régime de droit commun des importations intracommunautaires, a assujetti les opérations de revente de ces véhicules à la taxe sur la valeur ajoutée sur leur prix de vente total. La société relève appel du jugement du 1er juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ainsi mis à sa charge, et des pénalités correspondantes.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée (...) ".
3. La proposition de rectification du 25 juin 2013 comporte la désignation de la taxe concernée, de la période d'imposition et de la base d'imposition et énonce suffisamment les motifs sur lesquels l'administration entendait se fonder pour justifier les rectifications envisagées. Le détail des rappels effectués, véhicule par véhicule, et par période vérifiée figure en annexe de la proposition de rectification. Ainsi, elle était suffisamment motivée pour permettre à la SARL Auto Espace de formuler ses observations.
4. En deuxième lieu, l'administration fiscale est tenue à un devoir de loyauté et ne saurait induire en erreur les contribuables. Il résulte des dispositions du I de l'article 242 terdecies de l'annexe II du code général des impôts que le visa apposé par l'administration fiscale sur le certificat " 1993 VT " est délivré par l'administration, sur le fondement d'un contrôle en la forme des documents présentés, pour les seuls besoins de l'immatriculation ou de la francisation d'un moyen de transport introduit en France, sans avoir pour objet de prendre position sur le régime fiscal applicable au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, ainsi d'ailleurs qu'en témoignent les mentions figurant sur ce certificat. Il est en outre expressément précisé au paragraphe 5 " dispositions fiscales " du certificat que l'appréciation selon laquelle l'acquisition n'est pas taxable n'engage que le déclarant et peut être remise en cause par l'administration fiscale, et au paragraphe final " partie réservée au service des impôts " que l'administration se réserve le droit de remettre en cause les mentions relatives à la taxe sur la valeur ajoutée. La délivrance de ce document ne peut, dès lors, être regardée, en l'absence de toute mention expresse en ce sens, comme ayant le caractère d'une prise de position formelle ou informelle de l'administration sur le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable à la transaction. Dans ces conditions, la société appelante n'est pas fondée à soutenir qu'en lui délivrant des certificats fiscaux l'administration fiscale aurait attesté que chacun des véhicules introduits en France était en situation régulière au regard de la taxe sur la valeur ajoutée et l'aurait poussée à commettre les infractions qui lui sont reprochées. La délivrance à la société SIA, qui est une société tierce, d'un procès verbal de clôture d'enquête rédigé le 11 juin 2010 et concluant à l'absence de manquement de cette dernière société aux règles de facturation ne caractérise pas davantage un comportement déloyal de la part de l'administration vis-à-vis de la SARL Auto Espace.
Sur le bien-fondé des impositions :
5. Il résulte des dispositions des articles 256 bis, 297 A et 266 du code général des impôts qu'une entreprise française assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée peut appliquer le régime de taxation sur la marge prévu à l'article 297 A lorsqu'elle revend un bien d'occasion acquis auprès d'un fournisseur situé dans un autre Etat membre, qui, en sa qualité d'assujetti revendeur, lui a délivré une facture conforme à l'article 297 E du même code, et dont le fournisseur a aussi cette qualité ou n'est pas assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée. Lorsqu'un assujetti a reçu une facture sur laquelle figurent des mentions relatives au régime de la marge bénéficiaire, l'administration ne peut lui refuser le droit d'appliquer ce régime que si elle démontre, d'une part, que l'assujetti-revendeur ayant fourni les biens d'occasion n'avait pas effectivement appliqué ce régime à la livraison de ces biens et, d'autre part, que l'assujetti n'a pas agi de bonne foi ou qu'il n'a pas pris toutes les mesures raisonnables en son pouvoir pour s'assurer que l'opération qu'il effectuait ne le conduisait pas à participer à une fraude fiscale.
6. L'administration établit, à partir des réponses obtenues des autorités fiscales espagnoles, roumaines et portugaises à la suite de sa demande d'assistance administrative, que les fournisseurs de la société appelante, qui correspondent à vingt-cinq sociétés espagnoles, roumaines ou portugaise, ont réalisé leurs propres achats en Allemagne et que leurs fournisseurs allemands avaient eux-mêmes placé ces opérations sous le régime de l'exonération de livraisons intracommunautaires. Si les factures délivrées à la SARL Auto Espace par ses fournisseurs espagnols, roumains et portugais présentées lors du contrôle portaient toutes des mentions relatives à l'application de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge, les factures d'achat auprès des sociétés allemandes obtenues par l'administration faisaient état de livraisons intracommunautaires. Ainsi l'administration établit que les fournisseurs de la société appelante n'avaient pas réalisé leurs achats de véhicules sous le régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge mais sous le régime général des acquisitions intracommunautaires. Il est donc établi que les mentions portées sur les factures d'acquisition que la SARL Auto Espace a présentées lors des opérations de contrôle sont erronées.
7. La SARL Auto Espace, qui a souscrit des déclarations d'échanges de biens et déclaré ses achats de véhicules dans la catégorie des acquisitions intracommunautaires connaissait l'origine des véhicules, dont elle produisait, auprès du service des impôts des entreprises, les certificats d'immatriculation allemands pour l'obtention des certificats VT 1993 nécessaires pour l'immatriculation des véhicules en France, les véhicules n'ayant jamais transité dans le pays de la société émettrice de la facture de vente. La société, qui faisait établir une procuration au profit de son client indiquant le lieu de réception du véhicule et le nom de l'entreprise allemande qui a vendu le véhicule, connaissait précisément le lieu de départ des véhicules et les fournisseurs de véhicules, assujettis revendeurs ayant exercé leur droit à déduction. Les investigations de l'administration fiscale ont révélé que les factures établies par ses fournisseurs à l'attention de la société appelante différaient sensiblement de celles transmises à l'administration fiscale par les autorités étrangères dans le cadre de l'assistance administrative internationale. L'administration fait également valoir que la SARL Auto Espace a déjà fait l'objet d'un contrôle fiscal en matière de taxe sur la valeur ajoutée portant sur la période du 1er janvier 2004 au 31 juillet 2007 qui s'est soldé par une remise en cause du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge appliqué à tort et par une condamnation sur le plan pénal par arrêt rendu par la cour d'appel de Grenoble le 5 février 2013. Elle fait également valoir que la SARL Auto Espace a été membre de l'association ADDEMA dont les dirigeants ont reconnu, à l'occasion de poursuites pénales, avoir sciemment mis en place des circuits frauduleux d'achats de véhicules dans le but de détourner les règles en matière de taxe sur la valeur ajoutée. L'administration établit ce faisant que la SARL Auto Espace savait que ses fournisseurs directs avaient porté des mentions inexactes sur les factures qui étaient en sa possession et n'étaient pas autorisés eux-mêmes à appliquer le régime de taxation sur la marge, et qu'elle n'a pas agi de bonne foi. Dès lors, l'administration était fondée à remettre en cause le régime de la marge appliquée par la SARL Auto Espace.
Sur les pénalités :
8. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ".
9. Pour justifier l'application des pénalités prévues par les dispositions précitées, l'administration fait valoir que la société avait une parfaite connaissance de l'origine des véhicules qu'elle achetait auprès de ses fournisseurs espagnols, roumains et portugais, qu'elle connaissait le circuit d'acheminement des véhicules, le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable par l'étude des documents en sa possession et que, en tant que professionnelle de l'automobile, la société connaissait le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux véhicules d'occasion. L'ensemble de ces circonstances caractérise un manquement délibéré de la société appelante à ses obligations déclaratives. Le moyen tiré de ce que les pénalités prévues par les dispositions précitées ne seraient pas fondées doit être écarté.
10. Il résulte de ce qui précède que la société Auto Espace n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Auto Espace est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Auto Espace et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 18 décembre 2018.
6
N° 17LY02804
gt