Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 19 octobre 2016, M. et Mme A..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 29 juin 2016 ;
2°) d'annuler les décisions susmentionnées pour excès de pouvoir ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône à titre principal, de leur délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, à titre subsidiaire, de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail en application de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le même délai, à titre infiniment subsidiaire, de réexaminer leur situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, dans cette attente, de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 600 euros au profit de leur conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Ils soutiennent que :
S'agissant de la régularité du jugement attaqué :
- le jugement est entaché d'une omission à statuer sur le moyen tiré de l'absence d'examen effectif de leur situation ;
- le tribunal administratif de Lyon a méconnu le principe du contradictoire en ne communiquant pas et en ne prenant pas en considération les éléments produits le 6 juin 2016 ; ils n'ont pas disposé d'un délai raisonnable pour présenter leurs observations en réponse aux éléments communiqués par l'administration le 6 mai 2016 ;
S'agissant du refus de délivrance d'un titre de séjour :
- les décisions sont insuffisamment motivées ;
- elles sont entachées d'un défaut d'examen effectif et particulier de leur situation et notamment de l'état de santé de leur fille ;
- les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ont été méconnues ;
- les décisions sont entachées d'une méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile quant à la gravité de l'état de santé de leur fille dont ils justifient ;
- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;
- un traitement de longue durée adapté à l'état de santé de leur fille, atteinte de neuropathie, n'est pas disponible au Kosovo ; le préfet du Rhône ne démontre pas de manière probante, par la production de documents précis et circonstanciés, qu'un traitement approprié à son état de santé caractérisé par une encéphalopathie sévère serait disponible au Kosovo de nature à justifier la remise en cause de l'avis du médecin de l'agence régionale de santé et des certificats médicaux produits ;
- contrainte à une hospitalisation continue leur fille ne peut voyager sans risque vers son pays d'origine, ce que le préfet ne conteste pas sérieusement ;
- la présence de ses deux parents est nécessaire en France eu égard à son état de santé dans l'intérêt supérieur de l'enfant et au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile de l'erreur manifeste d'appréciation et subsidiairement de l'article L. 311-12 du même code ; leurs trois autres enfants mineurs sont scolarisés et insérés à la société française ; Ils disposent de perspectives professionnelles ;
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- les obligations de quitter le territoire sont illégales du fait de l'illégalité des refus de titre de séjour ;
- elles méconnaissent les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ainsi que les articles 7,19, et 24 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- les décisions fixant le pays de renvoi sont illégales du fait de l'illégalité des décisions refusant le titre de séjour et de l'illégalité des décisions leur faisant obligation de quitter le territoire ;
- à titre infiniment subsidiaire, les décisions fixant le pays de destination méconnaissent les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ainsi que les articles 7,19, et 24 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2018, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Le préfet expose que le traitement médicamenteux nécessité par la pathologie de la fille des requérants est disponible au Kosovo ainsi que des traitements contre la constipation.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 septembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- l'arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D..., première conseillère ;
- et les observations de Me C... représentant M. et Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A..., ressortissants kosovares, nés respectivement le 1er décembre 1977 et le 12 septembre 1980 sont entrés irrégulièrement respectivement à la date déclarée du 6 février 2013 et du 21 décembre 2012 pour y solliciter l'asile. Leurs demandes ont été rejetées par décisions du 16 juin 2014 de l'Office français de protection réfugiés et apatrides, confirmées par décisions du 12 février 2015 de la Cour nationale du droit d'asile. Ils ont sollicité la délivrance d'un titre de séjour le 16 mars 2015 en invoquant l'état de santé de leur fille Shkelqesa, née le 27 mars 2012 au Kosovo. Le préfet du Rhône a rejeté leurs demandes d'admission au séjour par décision du 12 octobre 2015, en les obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et en fixant le pays de destination en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement. Par un jugement joint du 29 juin 2016, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces décisions. Par la présente requête, M. et Mme A... relèvent appel de ce jugement.
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
2. Aux termes du 1. de l'article 3 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990, publiée par décret du 8 octobre 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
3. Pour justifier de leur droit au séjour, M. et Mme A... se prévalent de l'état de santé de leur fille Shkelqesa, née le 27 mars 2012 à Prishtinë au Kosovo. Il ressort des pièces du dossier que le médecin de l'agence régionale de santé a estimé dans son avis rendu le 10 juillet 2015 que l'état de santé de l'enfant Shkelqesa A...nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, que les soins nécessités par son état de santé présente un caractère de longue durée, et qu'un traitement approprié n'existe pas dans son pays d'origine.
4. Le préfet du Rhône, qui n'est pas tenu par cet avis, se fondant sur les documents dont il disposait relatifs aux capacités locales en matière de soins médicaux et de médicaments disponibles au Kosovo, a estimé que la fille de M. et Mme A... pouvait bénéficier d'un traitement approprié et des soins dont elle a besoin au Kosovo, pays vers lequel il n'était pas établi qu'elle serait dans l'impossibilité de voyager sans risque. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier, et notamment du certificat médical du 19 mars 2015 du professeur Des Portes neuropédiatre des Hospices civils de Lyon, que l'enfant souffre d'une encéphalopathie épileptique précoce pharmaco-résistante d'étiologie indéterminée, responsable d'un polyhandicap avec des crises convulsives régulières et un inconfort majeur lié à la spasticité, qui nécessite une prise en charge multidisciplinaires, notamment en neuropédiatrie et plus largement hospitalière l'hospitalisation à domicile ayant échouée, ainsi qu'une adaptation régulière du traitement antiépileptique et du traitement antalgique, une alimentation entérale par gastrostomie et des installations adaptées telles que la disposition d'un siège moulé et d'un dispositif médical adapté pour la posture de nuit. Si le préfet du Rhône se prévaut de l'existence au Kosovo de structures de soins médicaux et d'établissements scolaires dédiés à la prise en charge des enfants souffrants de problèmes mentaux, il ressort du télégramme diplomatique du 6 mai 2011 émanant de l'ambassade de France au Kosovo que le pays n'est pas en mesure de soigner certains patients atteints de pathologies lourdes et négocie dans ce cas avec des centres hospitaliers étrangers pour le placement des malades. Les pièces produites au dossier et notamment les éléments fournis par l'ambassade de France au Kosovo et de la liste des médicaments disponibles dans ce pays, y compris ceux attestant de l'existence au Kosovo de structures médicales permettant de traiter l'épilepsie et les maladies courantes en particulier psychiatriques, ne suffisent pas à démontrer qu'un traitement médical et une prise en charge pluridisciplinaire adaptés à la gravité de l'état de santé de la fille de M. et Mme A... qui nécessite une prise en charge de longue durée et une surveillance permanente au sein d'une structure médicale spécialisée, seraient disponibles au Kosovo. Il n'est d'ailleurs pas établi que l'enfant pourrait voyager sans risque vers son pays d'origine. Dans ces conditions, et alors que la nécessaire présence familiale pour le bien-être de l'enfant ressort des certificats médicaux produits, notamment ceux du docteur Pouly des 11 septembre 2015, 20 octobre 2015 et 1er juin 2016, M. et Mme A... sont fondés à soutenir qu'en refusant de leur délivrer un titre de séjour le préfet du Rhône a méconnu l'intérêt supérieur de l'enfant garanti par les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
5. Il résulte de ce qui précède que M et Mme A... sont fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à l'annulation des refus d'admission au séjour attaqués que leur a opposé le préfet du Rhône par décisions du 12 octobre 2015, et pas voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et celles fixant le pays de destination.
6. Il résulte de ce qui précède, eu égard au motif d'annulation retenu, d'enjoindre au préfet du Rhône de délivrer un titre de séjour à M. et Mme A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et dans l'attente de leur délivrer un récépissé les autorisant à travailler dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. M. et Mme A... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles 37 et 75-I de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à payer à Me C...au titre des frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement nos 1600144-1600145, en date du 29 juin 2016 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les décisions en date du 12 octobre 2015 par lesquelles le préfet du Rhône a refusé de délivrer un titre de séjour à M. et Mme A..., les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de destination en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Rhône de délivrer à M. et Mme A... un titre de séjour portant la mention vie privée et familiale dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et dans l'attente de leur délivrer un récépissé les autorisant à travailler dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à Me C... en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et Mme E... épouse A..., à Me C..., au préfet du Rhône et au ministre de l'intérieur. Copie du présent arrêt sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme D..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 24 avril 2018.
N° 16LY03486 2