Par un jugement n° 1401691 du 14 juin 2016, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
I - Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 août 2016 et le 25 août 2017, M. et Mme D..., représentés par Me Rémy, avocat, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1401691 du 14 juin 2016 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;
2°) d'annuler la décision du 19 mars 2014 par laquelle le préfet de la Haute-Loire a refusé de reconnaître la persistance du droit de prise d'eau fondé en titre attaché au Moulin du Rocher sur le territoire de la commune de Saint-Martin-de-Fugères ;
3°) de reconnaître le maintien de ce droit, d'en fixer à 103 kW la consistance légale et de fixer à 39,6 l/s la valeur du débit réservé à restituer au cours d'eau à l'aval du barrage ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le droit de prise d'eau fondé en titre attaché au Moulin du Rocher ne s'est pas éteint eu égard à l'état du barrage de prise d'eau et à l'ampleur des travaux réalisés sur une partie du canal d'amenée, sur la conduite forcée et sur le bâtiment du moulin ;
- la consistance légale du droit de prise d'eau fondé en titre attaché au Moulin du Rocher doit être fixée à 10 kW correspondant à un débit maximal dérivé de 0,95 m³/s sous une chute de la dérivation de 11,02 m ;
- la valeur du débit réservé à restituer au cours d'eau à l'aval du barrage de prise doit être fixée à 39,6 l/s.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 juin 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Par un arrêt n° 16LY02894 du 22 août 2018, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par M. et Mme D....
Par une décision n° 425061 du 31 décembre 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé à la cour le jugement de l'affaire.
II - Par courriers du 7 janvier 2020, les parties ont été informées du renvoi, dans la mesure de la cassation, à la cour administrative d'appel de Lyon, de l'affaire, désormais enregistrée sous le n° 19LY04840.
Par un mémoire enregistré le 4 mars 2020, M. et Mme D..., représentés par Me Remy, avocat, concluent aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 juin 2020, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens.
Par ordonnance du 29 juin 2020, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 17 juillet 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... F..., première conseillère,
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me Brunner, avocat, représentant M. et Mme D... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 11 décembre 2013, M. et Mme D... ont saisi le préfet de la Haute-Loire d'une demande de reconnaissance du droit de prise d'eau fondé en titre attaché au Moulin du Rocher, installé sur L'Holme, dont ils sont propriétaires, sur le territoire de la commune de Saint-Martin-de-Fugères, en sollicitant également que soient respectivement fixés à 103 Kw et à 39,6 litres par seconde, la consistance légale de ce droit et le débit réservé à respecter sur ce cours d'eau. Par une lettre du 19 mars 2014, le préfet de la Haute-Loire a refusé de reconnaître la persistance d'un droit fondé en titre. Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision, par un jugement du 14 juin 2016, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 22 août 2018. Celui-ci a toutefois été annulé par une décision du Conseil d'Etat du 31 décembre 2019, au motif qu'en jugeant que la persistance de quelques blocs de pierre non agencés, s'agissant du seuil de prise d'eau, impliquait la reconstruction complète de l'ouvrage et caractérisait un état de ruine de l'installation permettant de justifier la perte du droit fondé en titre des requérants, la cour avait inexactement qualifié les faits. L'affaire a été renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Par un courrier du 11 décembre 2013, M. D... a demandé au préfet de la Haute-Loire de reconnaître l'existence du droit fondé en titre attaché au Moulin du Rocher dont il est propriétaire, en sollicitant que la consistance légale de ce droit soit fixée à 103 kW et que le débit réservé à préserver sur le cours d'eau soit fixé à 39,6 litres par seconde. En réponse à cette demande, le préfet de la Haute-Loire a, par courrier du 19 mars 2014, reconnu l'existence du Moulin de Rocher avant 1789 mais a considéré que, les travaux réalisés antérieurement par M. et Mme D... ne permettant plus de constater l'état antérieur de l'installation, ce droit ne pouvait être reconnu comme maintenu. Par ce courrier, le préfet de la Haute-Loire a ainsi rejeté la demande de M. D..., tant s'agissant de la reconnaissance d'un droit fondé en titre, que s'agissant de la fixation, aux niveaux proposés, de la consistance légale et du débit réservé applicable à ce droit. Ce courrier constitue ainsi une décision de refus faisant grief, quand bien même il ne comporte pas de refus d'autorisation de travaux et se fonde sur le constat de l'insuffisance des éléments d'appréciation portés à la connaissance du préfet. Par suite, les fins de non-recevoir opposées en ce sens par le préfet de la Haute-Loire en première instance doivent être écartées.
Sur la persistance du droit fondé en titre :
3. Sont notamment regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d'eau sur des cours d'eaux non domaniaux qui, soit ont fait l'objet d'une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux. Une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle avant cette date.
4. La force motrice produite par l'écoulement d'eaux courantes ne peut faire l'objet que d'un droit d'usage et en aucun cas d'un droit de propriété. Il en résulte qu'un droit fondé en titre ne se perd que lorsque la force motrice du cours d'eau n'est plus susceptible d'être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d'affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d'eau. Ni la circonstance que ces ouvrages n'aient pas été utilisés en tant que tels au cours d'une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d'eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit. L'état de ruine, qui conduit en revanche à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l'ouvrage permettant l'utilisation de la force motrice du cours d'eau ont disparu ou qu'il n'en reste que de simples vestiges, de sorte qu'elle ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète.
5. Par une décision du 19 mars 2014, le préfet de la Haute-Loire a reconnu l'existence du Moulin de Rocher avant 1789, et par suite l'existence d'un droit fondé en titre à son égard, tout en considérant que, les travaux réalisés antérieurement par M. et Mme D... ne permettant plus de constater l'état antérieur de l'installation, ce droit ne pouvait être reconnu comme maintenu. Il résulte toutefois de l'instruction, et en particulier des constatations effectuées tant par la direction départementale des territoires de Haute-Loire en juin 2012 que par l'huissier de justice mandaté sur les lieux par les requérants en février 2017, que si le seuil de prise d'eau de l'installation sur L'Holme est dans un état très dégradé, les pierres qui le constituent persistent à assurer au moins en partie leur fonction de retenue de l'eau et que des travaux limités permettraient aisément, eu égard à la configuration des lieux, de rétablir leur fonction de dérivation en vue de l'utilisation de la force motrice du cours d'eau, les canaux d'amenée et de fuite, ainsi que le bâtiment étant toujours présents. Par ailleurs, ainsi que l'indique le préfet lui-même dans sa décision du 19 mars 2014, les travaux précédemment entrepris par M. et Mme D... ont, tout au plus, consisté en l'aménagement d'une chambre d'eau, un réaménagement du canal d'amenée existant, la mise en place d'une nouvelle conduite forcée en lieu et place de l'ancienne et la construction d'un nouveau bâtiment du moulin en remplacement de l'ancien. Ainsi, ces travaux ont essentiellement consisté à réhabiliter des installations existantes délabrées, sans qu'il ne résulte de l'instruction qu'ils aient constitué une reconstruction complète de l'ouvrage, ni que l'utilisation de la force motrice du cours d'eau n'aurait plus été possible en l'absence de tels travaux. La circonstance que M. et Mme D... n'aient pas préalablement déclaré ces travaux est dépourvue incidence sur la persistance du droit fondé en titre. Dans ces conditions, la possibilité d'utiliser la force motrice de l'ouvrage ayant subsisté, le droit fondé en titre n'a donc pas été éteint.
Sur la consistance du droit fondé en titre :
6. Un droit fondé en titre conserve en principe la consistance légale qui était la sienne à l'origine. A défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle. Celle-ci correspond, non à la force motrice utile que l'exploitant retire de son installation, compte tenu de l'efficacité plus ou moins grande de celle-ci, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer.
7. Si, en vertu des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'énergie, les ouvrages fondés en titre ne sont pas soumis aux dispositions de son livre V " Dispositions relatives à l'utilisation de l'énergie hydraulique ", leur puissance maximale est calculée en appliquant la même formule que celle qui figure au troisième alinéa de l'article L. 511-5, c'est-à-dire en faisant le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur. Le débit maximum de la dérivation doit être apprécié au niveau du vannage d'entrée. Les modifications de l'ouvrage auquel est attaché un droit fondé en titre qui ont pour objet ou pour effet d'accroître la force motrice théoriquement disponible ont pour conséquence de soumettre l'installation au droit commun de l'autorisation ou de la concession pour la partie de la force motrice supérieure à la puissance fondée en titre.
8. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction que les travaux précédemment entrepris par M. et Mme D... auraient eu pour effet d'accroître la force motrice théoriquement disponible, notamment en accroissant la hauteur de chute. Par suite, et à défaut de preuve contraire, la consistance légale qui était celle, à l'origine, du droit fondé en titre attaché au Moulin du Rocher doit être présumée conforme à sa consistance actuelle.
9. D'autre part, pour soutenir que cette consistance légale doit être fixée à 103 kW, M. et Mme D... se prévalent d'un débit maximal, évalué au niveau de la prise d'eau, à 0,95 m3 par seconde. Si ce débit maximal n'a pas été évalué au vannage d'entrée de l'installation, il résulte de l'instruction, et notamment de la note de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement d'Auvergne du 17 décembre 2014 produite en défense, que ce débit peut être considéré comme atteint trois à quatre jours par an au niveau du Moulin du Rocher. Ainsi, ce débit peut être retenu comme le débit maximum de la dérivation, au sens des dispositions précitées, sans que le ministre en charge de l'écologie ne puisse utilement se prévaloir des valeurs moyennes également indiquées dans ce document. Par suite, et dès lors que la hauteur de la chute, mesurée par les requérants à 11,02 mètres, n'est pas contestée, ces derniers sont fondés à soutenir que la consistance légale du droit fondé en titre attaché au Moulin du Rocher doit être fixée à 103 Kw.
Sur le débit réservé :
10. Aux termes de l'article L. 214-18 du code de l'environnement : " I.-Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite. /Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d'eau en aval immédiat ou au droit de l'ouvrage correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur. (...) ".
11. Il résulte des dispositions précitées du IV de l'article L. 214-18 du code de l'environnement que les installations et ouvrages fondés en titre sont soumis, au plus tard le 1er janvier 2014, aux dispositions de cet article qui définissent les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut fixer un débit minimal et imposer des dispositifs aux ouvrages construits dans le lit d'un cours d'eau de nature à maintenir ce débit. Ainsi, dans l'exercice de ses pouvoirs de police de l'eau, l'autorité administrative peut imposer à l'exploitant de toute installation existante, y compris fondée en titre, les prescriptions nécessaires à la préservation des milieux naturels aquatiques. Ces dispositions combinées que l'administration est tenue de prendre en compte pour déterminer le débit à maintenir dans le lit du cours d'eau concerné peuvent conduire à fixer un débit supérieur au débit minimal prévu par l'article L. 214-18 du code de l'environnement pour assurer en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces peuplant les eaux en cause. Cet objectif peut, lui-même, conduire à fixer un débit supérieur au débit minimal en fonction des particularités du cours d'eau.
12. Il résulte de l'instruction que le débit moyen interannuel de l'Holme au droit du moulin a été évalué, sur la période de 1970 à 2008, à 0,20 m3/seconde, ainsi qu'il ressort de la note de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement d'Auvergne du 17 décembre 2014. Par suite, les requérants sont fondés à demander que le débit minimal à maintenir dans le lit de ce cours d'eau, qui ne saurait, en application des dispositions rappelées au point 10 et en l'absence de circonstances particulières invoquées par le ministre, être inférieur à 0,02 m3/seconde, soit fixé à 0,039 m3/seconde.
13. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le paiement à M. et Mme D... d'une somme de 2 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 14 juin 2016 et la décision du préfet de la Haute-Loire du 19 mars 2014 sont annulés.
Article 2 : M. et Mme D... sont déclarés titulaires d'un droit d'eau fondé en titre dont la consistance légale est fixée à 103 kW.
Article 3 : Le débit minimal à maintenir dans le lit de l'Holme est fixé à 0,039 m3 par seconde.
Article 4 : L'Etat versera à M. et Mme D... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... D... et au ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Loire.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
Mme E... A..., présidente de chambre,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme C... F..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 20 octobre 2020.
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N° 19LY04840