Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 24 août 2017, Mme B..., représentée par la SCP Couderc-Zouine, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 mai 2017 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler l'arrêté du 10 février 2017 du préfet du Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, en lui délivrant sans délai une autorisation provisoire de séjour ;
4°) à titre subsidiaire, de saisir pour avis le Conseil d'Etat sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative pour demander :
- si la protection contre l'éloignement prévue au 10° de l'article L. 511-4 est subordonnée à la mise en oeuvre de la procédure prévue aux articles R. 313-22 et à l'article 9 de l'arrêté du 27 décembre 2016 et si sa mise en oeuvre postérieurement à l'édiction d'une mesure d'éloignement est inopérante ;
- quelles sont les conséquences du défaut d'avis rendu par le médecin de l'OFII lorsque l'étranger aura mis en oeuvre cette procédure ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son conseil d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, à charge pour celui-ci de renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que ne lui a pas été communiqué le mémoire en défense du préfet du Rhône en date du 21 avril 2017 ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle méconnaît le principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu dès lors qu'il n'a pas été tenu compte des éléments apportés sur son état de santé ;
- elle est entachée d'un vice de procédure au regard de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en l'absence d'avis du collège national de médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration pourtant saisi ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnait les dispositions de l'article L. 511-4, 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le délai de départ est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'un vice de compétence en raison de l'absence d'identification de son signataire et du défaut de délégation de signature régulièrement publiée ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2018, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens présentés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juillet 2017.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 9 octobre 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi ;
- l'arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Chevalier-Aubert, président assesseur ;
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., de nationalité marocaine, relève appel du jugement du 9 mai 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 10 février 2017 du préfet du Rhône portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de départ volontaire de trente jours et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 611-1 de ce code : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressées au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le mémoire du préfet du Rhône du 21 avril 2017, enregistré avant la clôture de l'instruction, a été communiqué, non à Mme B... mais, par erreur, au préfet lui même. Ainsi, et dès lors qu'il résulte des énonciations du jugement attaqué que le premier juge, qui a visé ce mémoire, s'est fondé sur les éléments qu'il comportait concernant, notamment, l'état de santé de la requérante, cette dernière est fondée à soutenir que ce jugement est irrégulier pour avoir été rendu en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure. Il y a lieu, dès lors, d'annuler ce jugement et par la voie de l'évocation, de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande de Mme B... devant le tribunal administratif de Lyon.
Sur la légalité de l'arrêté du 10 février 2017 du préfet du Rhône :
4. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal du 10 février 2017 établi à la suite de son interpellation, que lors de son audition par les services de police, Mme B... a déclaré qu'elle avait de " gros problèmes de santé " et était suivie par un psychiatre depuis trois ans dans un établissement de soins à Clermont-Ferrand.
5. Le préfet du Rhône, dans sa décision portant obligation de quitter le territoire, n'a fait aucune mention des circonstances particulières évoquées par Mme B... sur son état de santé. Ce faisant, il a entaché sa décision d'un défaut d'examen particulier de la demande de Mme B....
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande et de saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis, que Mme B... est fondée à demander l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire et par voie de conséquence des décisions accordant un délai de départ volontaire de trente jours et désignant le pays à destination duquel elle serait reconduite d'office à l'expiration de ce délai.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Le juge de l'injonction, saisi de conclusions présentées au titre de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, est tenu de statuer sur ces conclusions en tenant compte de la situation de droit et de fait existant à la date de son arrêt.
8. Aux termes de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. (...) ".
9. Compte tenu des motifs sur lesquels repose, l'annulation de l'arrêté contesté il y a lieu d'enjoindre au préfet du Rhône de procéder au réexamen de la situation de Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Durant cette période d'instruction, Mme B...sera munie d'une autorisation provisoire de séjour en application des dispositions précitées de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur les frais liés au litige :
10. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Courderc-Zouine, avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au profit de SCP Courderc-Zouine, au titre des frais exposés à l'occasion du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1701429 du 9 mai 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les décisions du préfet du Rhône du 10 février 2017 sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Rhône de délivrer à Mme B... une autorisation provisoire de séjour et de se prononcer sur sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la SCP Courderc-Zouine, avocat de Mme B..., une somme de 1 500 euros sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 4 décembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,
Mme Virginie Chevalier-Aubert, président assesseur,
M. Pierre Thierry, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 décembre 2018.
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N° 17LY03239