Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 29 juillet 2020, M. D..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement susmentionné n° 1907909 du 24 février 2020 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler les décisions en date du 18 septembre 2019 du préfet de l'Ain portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de départ volontaire de trente jours et fixant le pays de destination en cas d'éloignement d'office;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Ain de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 300 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son conseil sous réserve qu'il renonce à la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
- s'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
. elle méconnaît le principe général du droit de l'Union européenne du droit d'être entendu et est entachée d'un vice de procédure, dès lors qu'il n'a pas été mis à même de présenter ses observations préalablement à la prise de cette décision contestée et n'a pas été informé de la possibilité d'être obligé de quitter le territoire français, alors qu'à l'appui de sa demande d'asile portée devant l'OFPRA, il ne pouvait apporter des précisions utiles au préfet sur sa situation personnelle, d'autant qu'il n'y avait pas de rendez-vous disponible en préfecture, et qu'il souhaitait déposer une demande d'asile en raison de son état de santé ; ce vice l'a privé de garanties substantielles et a été susceptible d'influencer le sens de la décision prise ;
. elle est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle ;
. elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors qu'il ne peut reconstruire une vie personnelle et familiale en Arménie et eu égard à ses efforts d'intégration en France et l'importance de préserver les repères sécurisants des enfants ;
. elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- s'agissant de la décision fixant le délai de départ volontaire :
. elle est illégale par exception d'illégalité de la décision portant refus de délivrance de l'attestation de demande d'asile et de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
. elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, dès lors que ses enfants sont scolarisés et étaient en pleine année scolaire ;
. elle méconnait les articles L. 111-2 et L. 122-1-1 du code de l'éducation pour les mêmes motifs ;
. elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- s'agissant de la décision fixant le pays de destination :
. elle est illégale par exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
. elle méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile eu égard à l'impossibilité de reconstruire une vie privée et familiale normale en Arménie ;
. elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 novembre 2020, le préfet de l'Ain conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par une décision du 24 juin 2020, M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention internationale relative aux droit de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le code de l'éducation ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant arménien, né le 16 janvier 1986, est entré en France le 11 février 2018 selon ses déclarations, accompagné de son épouse et de leurs deux enfants mineurs. Il a déposé, le 9 mars 2018, une demande d'asile, rejetée par une décision du 20 juin 2018 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée par une décision du 8 juillet 2019 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Suite au rejet de cette demande, le préfet de l'Ain l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays de destination en cas d'éloignement d'office par des décisions du 18 septembre 2019. Par un jugement n° 1907909 du 24 février 2020, dont M. D... relève appel, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, il y a lieu, par adoption des motifs du jugement contesté et dès lors que M. D... aurait pu, notamment après la décision de l'OFPRA refusant de lui accorder l'asile et avant celles de la CNDA, présenter tous les éléments personnels utiles, concernant son état de santé, dont il n'aurait pas encore fait état auprès de la préfecture, en particulier par courrier en cas d'impossibilité d'obtenir un rendez-vous, d'écarter le moyen tiré de ce que la décision contestée a été prise en méconnaissance du droit d'être entendu et est entachée d'un vice de procédure en raison de son impossibilité de présenter des observations préalables.
3. En deuxième lieu, il y a lieu, par adoption des motifs du jugement contesté d'écarter le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d'une erreur de droit en l'absence d'un examen particulier préalable de la situation personnelle de l'intéressé.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ".
5. M. D... est entré en France le 11 février 2018 selon ses déclarations, accompagné de son épouse et de leurs deux enfants mineurs. Son épouse fait également l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prononcée à son encontre le 18 septembre 2019 dont la légalité a été confirmée par un arrêt n° 20LY02055 de ce jour de la cour. Il n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où il a vécu pendant plus de trente ans, alors qu'il ne justifie pas d'une intégration particulière en France. Il ne démontre pas, par les pièces produites, qu'il ne pourrait pas reprendre une vie personnelle et familiale normale en Arménie, alors d'ailleurs que l'OFPRA et la CNDA ont estimé que les faits qu'il allègue, en particulier des violences subies à la suite d'une manifestation dans laquelle son épouse était impliquée, ne sont pas avérés. A cet égard, il n'établit pas que ses troubles psychiques seraient en lien avec un évènement traumatique subi en Arménie, de sorte qu'il ne pourrait y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Ainsi, compte tenu de la durée et des conditions du séjour en France de M. D..., la décision l'obligeant à quitter le territoire français ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Elle ne méconnaît dès lors pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir cette décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
7. Dès lors que la cellule familiale a vocation à se reconstituer en Arménie, où il n'est ni allégué ni démontré que les enfants de M. D..., nés les 22 mars 2010 et 6 octobre 2014 dans ce pays, ne pourraient pas y poursuivre leur scolarité, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
Sur la légalité de la décision fixant le délai de départ volontaire :
8. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " II. _L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Le délai de départ volontaire accordé à l'étranger peut faire l'objet d'une prolongation par l'autorité administrative pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation (...). "
9. En premier lieu, le moyen tiré de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté eu égard à ce qui précède aux points 2 à 7. Si par ailleurs, le requérant invoque l'illégalité de la décision portant refus de délivrance de l'attestation de demande d'asile, il n'assortit ce moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.
10. En deuxième lieu, en faisant état de la scolarisation de ses enfants, le requérant ne démontre pas, compte tenu de ce qui a été dit au point 7, que la décision attaquée méconnait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 111-2 du code de l'éducation : " Tout enfant a droit à une formation scolaire qui, complétant l'action de sa famille, concourt à son éducation (...). L'Etat garantit le respect de la personnalité de l'enfant et de l'action éducative des familles. " Aux termes de l'article L. 122-1-1 du même code : " La scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l'acquisition d'un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l'ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité (...). ".
12. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 111-2 et L. 122-1-1 du code de l'éducation est sans incidence sur la légalité de la décision fixant à trente jours le délai de départ volontaire pour exécuter une obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre du parent étranger d'un enfant scolarisé.
13. En quatrième et dernier lieu, le moyen tiré de ce que la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation n'est pas assorti de moyen permettant d'en apprécier le bien-fondé. A supposer que le requérant ait entendu de nouveau invoquer la scolarité en cours de ses enfants, un tel moyen ne peut qu'être écarté pour les mêmes motifs que ceux développés aux points 7 et 12.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
14. En premier lieu, le moyen tiré de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté eu égard à ce qui précède aux points 2 à 7.
15. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; 2° Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
16. Compte tenu de ce qui a été dit au point 5 et dès lors que le requérant n'établit pas qu'il serait personnellement et actuellement exposé à des risques sérieux pour sa liberté ou son intégrité physique dans le cas d'un retour dans son pays d'origine, les moyens tirés de ce que la décision attaquée méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile eu égard à l'impossibilité de reprendre une vie privée et familiale normale en Arménie et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle doivent être écartés.
17. Il résulte de tout de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
18. Ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application, au bénéfice de son avocat, des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Ain.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, président-assesseur,
M. C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 janvier 2021.
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N° 20LY02054