Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 3 septembre 2018, présentée pour Mme A..., il est demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1804813 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 3 août 2018 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté susmentionné ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de lui délivrer un récépissé et de l'autoriser à déposer sa demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la saisine des autorités allemandes n'est pas intervenue dans le délai de deux mois prévu par l'article 21 du règlement ;
- l'article 4 du règlement a été méconnu dès lors qu'elle n'a pas eu accès aux informations à la date de sa convocation en vue de sa présentation au guichet unique ;
- la décision méconnaît les articles 16 et 31 de ce règlement.
La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Savoie, qui n'a pas produit d'observations.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 septembre 2019 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Lyon (section administrative d'appel).
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Seillet, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique;
Considérant ce qui suit :
1. Mme C...A..., ressortissante de nationalité guinéenne née le 1er janvier 1958 à Dakar (Sénégal), qui déclare être entrée irrégulièrement en France le 28 décembre 2017, a déposé une demande d'asile enregistrée à la préfecture de l'Isère le 26 janvier 2018, dont il lui a été délivré un récépissé. Le système Visabio a révélé qu'elle avait bénéficié d'un visa de court séjour délivré par les autorités consulaires allemandes de la République de Guinée, valable du 1er novembre 2017 au 13 février 2018, qui lui avait permis d'entrer en Allemagne avant sa venue en France. Les autorités allemandes, saisies d'une demande de prise en charge le 19 mars 2018, ont donné leur accord le 25 avril 2018. Par arrêté du 6 juillet 2018, le préfet de la Haute-Savoie a ordonné son transfert vers l'Allemagne. Mme A... interjette appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur l'application de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 :
2. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... s'est vu remettre, le 26 janvier 2018, le jour même de l'enregistrement de sa demande d'asile en préfecture, et à l'occasion de l'entretien individuel, soit en temps utile pour faire valoir ses observations, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à 1'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. La circonstance que ces documents ne lui auraient pas été remis dès le 4 janvier 2018, au moment où la date et l'heure du rendez-vous fixé pour l'enregistrement de sa demande d'asile lui ont été communiqués, n'a pas privé la requérante d'une garantie. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision ordonnant sa remise aux autorités allemandes méconnaît l'article 4 du règlement n° 604/2013 et les garanties du droit d'asile.
Sur l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :
4. Aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif ("hit") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement. / Si la requêtes aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'État membre auprès duquel la demande a été introduite. (...)". Aux termes de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac : " Chaque État membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque ressortissant de pays tiers ou apatride, âgé de 14 ans au moins, qui, à l'occasion du franchissement irrégulier de sa frontière terrestre, maritime ou aérienne en provenance d'un pays tiers, a été interpellé par les autorités de contrôle compétentes et qui n'a pas été refoulé ou qui demeure physiquement sur le territoire des États membres et ne fait pas l'objet d'une mesure de confinement, de rétention ou de détention durant toute la période comprise entre son interpellation et son éloignement sur le fondement de la décision de refoulement. (...) "
5. Il résulte des dispositions précitées que l'article 21 du règlement Dublin III fait obstacle à ce qu'une requête aux fins de prise en charge puisse être valablement formulée plus de trois mois après l'introduction d'une demande de protection internationale et plus de deux mois après la réception d'un résultat positif Eurodac, au sens de cette disposition.
6. En l'espèce si, ainsi qu'il a été dit au point 1, le système Visabio a révélé, le 26 janvier 2018, que Mme A... avait bénéficié d'un visa de court séjour délivré par les autorités consulaires allemandes de la République de Guinée, il ne ressort pas des pièces du dossier que la confrontation des empreintes digitales de l'intéressée avec la base de données Eurodac a donné un résultat positif (" hit ") attestant d'un relevé d'empreintes digitales à l'occasion du franchissement irrégulier de la frontière terrestre, maritime ou aérienne d'un Etat membre en provenance d'un pays tiers. La demande de prise en charge de Mme A... devait donc être adressée aux autorités allemandes dans un délai de trois mois à compter de la date de sa demande de protection internationale, sans que la requérante puisse utilement se prévaloir du délai de deux mois applicable seulement dans le cas d'un résultat positif lors de la consultation de la base de données Eurodac et dont le point de départ est alors, au demeurant fixé, à la date de ce résultat et non à celle de la présentation de la demande de protection internationale. En l'espèce, la demande adressée aux autorités allemandes, le 19 mars 2018, est intervenue dans le délai de trois mois suivant la date d'enregistrement de sa demande d'asile, le 26 janvier 2018, comme celle de la convocation à se présenter au guichet unique, remise le 4 janvier 2018. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté.
Sur l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :
7. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ".
8. La faculté laissée à chaque État membre, par le 1. de l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
9. Mme A... fait valoir qu'en raison d'une agression dont elle a été la victime en Guinée en décembre 2016, à l'origine de plusieurs fractures, son état de santé nécessite des soins médicaux à la suite d'une intervention chirurgicale pratiquée le 18 mai 2018. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... ne pourrait bénéficier en Allemagne de soins adaptés à son état de santé. Dès lors, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au 1. de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 qui permet à un État d'examiner la demande d'asile d'un demandeur même si cet examen ne lui incombe pas en application des critères fixés dans ce règlement.
Sur l'article 31 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :
10. Les dispositions de l'article 31 du règlement (UE) n° 604/2013 sont relatives à l'" Échange d'informations pertinentes avant l'exécution d'un transfert ". De telles dispositions, qui concernent l'exécution de la mesure, sont sans incidence sur la légalité de la décision de transfert.
11. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles de son avocat tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2019 à laquelle siégeaient :
M. Seillet, président,
M. Souteyrand, président-assesseur,
MmeB..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 11 avril 2019.
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N° 18LY03385