Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 11 octobre 2018, Mme C..., représentée par Me Deme, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Grenoble du 24 août 2018 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susmentionnées ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa demande devant le tribunal administratif comportait le moyen tiré de l'existence d'attaches familiales en France ; c'est donc à tort qu'elle a été rejetée comme irrecevable ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision lui refusant un délai de départ volontaire est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; elle n'a pas pris en compte l'atteinte à sa vie privée et familiale ;
- la décision lui interdisant le retour sur le territoire français pendant un an est entachée d'une erreur d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Savoie qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Clot, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante de la République démocratique du Congo née le 6 juin 1972, est arrivée en France en 2016, selon ses déclarations. Elle a présenté une demande d'asile, rejetée en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile le 27 février 2018. Le 20 août 2018, elle a été interpellée par les services de la police aux frontières, munie de la copie d'un faux récépissé de demande de titre de séjour et a été placée en garde à vue. Le même jour, le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a désigné le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire d'une durée d'un an. Mme C... fait appel de l'ordonnance par laquelle le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours (...) peuvent, par ordonnance : (...) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser (...) ".
3. L'article R. 411-1 du même code prévoit que : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".
4. Le II de l'article R. 776-5 de ce code, applicable au contentieux des obligations de quitter le territoire français, ajoute que, lorsque le délai de recours " est de quarante-huit heures (...), le second alinéa de l'article R. 411-1 n'est pas applicable et l'expiration du délai n'interdit pas au requérant de soulever des moyens nouveaux, quelle que soit la cause juridique à laquelle ils se rattachent. (...) ".
5. Dans sa demande devant le tribunal administratif, Mme C... a exposé être entrée en France en 2016 avec ses enfants et indiqué qu'elle contestait les décisions en litige compte tenu de ses attaches en France. Ainsi, cette demande comportait l'énoncé d'un moyen, tiré de l'atteinte portée à son droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressée. Dès lors, le premier juge ne pouvait, sans entacher sa décision d'irrégularité, rejeter cette demande au motif qu'elle ne comportait aucun moyen. Par suite, Mme C... est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.
6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de Mme C... devant le tribunal administratif de Grenoble.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
8. La requérante fait valoir qu'elle séjourne en France depuis 2016 avec ses enfants, qui y sont scolarisés et où vit également l'un de ses frères, titulaire d'une carte de résident. Toutefois, elle se trouvait en 2018 en République démocratique du Congo, où elle a obtenu un passeport le 3 juillet 2018 et un visa des autorités italiennes à Kinshasa le 17 août 2018. Les extraits d'acte de naissance qu'elle produit ne présentent aucune garantie d'authenticité dès lors que l'identité de la mère est, pour plusieurs d'entre eux, différente de celle portée sur son passeport. Il n'est pas établi qu'elle entretienne des relations avec M. D... A..., qu'elle présente comme son frère sans toutefois justifier de ce lien de parenté. Il n'apparaît pas qu'après avoir vécu en République démocratique du Congo au moins jusqu'à l'âge de quarante-quatre ans, elle serait dépourvue d'attaches personnelles et familiales dans ce pays. Elle ne justifie ni de ses moyens d'existence, ni d'une intégration particulière en France. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée de séjour et des conditions d'entrée et de séjour en France de Mme C... et eu égard aux effets d'une mesure d'éloignement, la décision contestée ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts qu'elle poursuit. Par suite, elle ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Aux termes du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
10. La décision en litige n'a ni pour objet ni pour effet de séparer la requérante des mineurs qu'elle présente comme ses enfants et qui, en cette qualité, ont vocation à l'accompagner. Si ces enfants sont scolarisés en France depuis septembre 2017, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils seraient dans l'impossibilité de poursuivre leur scolarité hors de France, et notamment en République démocratique du Congo. Par suite, la décision en litige ne porte pas atteinte à leur intérêt supérieur. Ainsi, elle ne méconnaît pas les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention sur les droits de l'enfant.
Sur la légalité de la décision refusant un délai de départ volontaire :
11. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / 1° Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) e) Si l'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage (...) ".
12. Mme C... fait valoir, sans en justifier, qu'elle s'est pourvue en cassation devant le Conseil d'État contre le rejet de sa demande d'asile par la Cour nationale du droit d'asile. Toutefois, ce recours est dépourvu d'effet suspensif. Elle fait valoir également que le refus d'un délai de départ volontaire l'empêche d'organiser elle-même son retour et de préparer ses enfants à cette perspective. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en lui refusant un tel délai, le préfet ait fait une inexacte application des dispositions précitées.
Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :
13. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III (...) [est décidée] par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français.(...) ".
14. La requérante s'est vu refuser un délai de départ volontaire en application des 1° et 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle se borne à invoquer la présence en France de ses enfants et de l'un de ses frères et le fait qu'elle ne représenterait aucune menace pour l'ordre public. Toutefois, elle ne justifie pas de circonstances humanitaires de nature à faire obstacle à ce que le préfet ne prononce pas d'interdiction de retour sur le territoire français. En fixant à un an la durée de cette interdiction, l'autorité préfectorale n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation.
15. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions attaquées.
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présent instance, verse une somme à Mme C... au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Grenoble du 24 août 2018 est annulée.
Article 2 : Le surplus des conclusions de Mme C... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2019 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président,
Mme Dèche, premier conseiller,
M. Savouré, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 11 avril 2019.
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N° 18LY03773