Par un jugement n° 1704067 du 21 juillet 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 25 août 2017, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 21 juillet 2017 ;
2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal administratif.
Il soutient que le motif d'annulation retenu est infondé.
Par un mémoire enregistré le 3 novembre 2017, M. B... C... A..., représenté par Me Huard, avocat, conclut :
- au rejet de la requête ;
- à ce qu'il soit enjoint au préfet d'enregistrer sa demande d'asile ;
- à la mise à la charge de l'État du paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
A/ S'agissant de la légalité de la décision de transfert :
- il n'est pas établi que la demande de prise en charge adressée aux autorités italiennes était complète ; aucun accusé réception des autorités italiennes ne figure au dossier et rien n'indique que la demande de prise en charge leur a été effectivement transmise ; ces autorités n'ont pas répondu à la demande de confirmation de leur accord implicite ; l'existence d'un tel accord n'est donc pas établie ;
- il n'a pas bénéficié d'un entretien individuel et confidentiel ;
- le récépissé de délivrance des brochures mentionne que les brochures lui ont été remises en langue turque, qui n'est pas une langue qu'il comprend ;
- l'arrêté de transfert est insuffisamment motivé ;
- il méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 compte tenu de l'incapacité de l'Italie à faire face à l'afflux des demandeurs d'asile ;
- cet arrêté devait être précédé du retrait de son admission provisoire au séjour ;
- il a été privé de son droit d'accès à son dossier ;
- la notification de la décision est irrégulière ;
B/ La décision l'assignant à résidence vise l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors qu'il se trouve dans le cas que prévoit le 2°) de l'article L. 561-1 de ce code.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 octobre 2017.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Clot, président ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen né à Conakry le 5 février 1983, a déposé une demande d'asile à la préfecture de l'Isère le 8 mars 2017. Le préfet a constaté que l'intéressé s'était vu délivrer un visa par les autorités italiennes. Le 30 juin 2017, il a ordonné son transfert en Italie en vue de l'examen de sa demande d'asile. Le 4 juillet 2017, il l'a assigné à résidence dans le département de l'Isère. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces deux décisions.
2. Aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif ("hit") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) no 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement. / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'État membre auprès duquel la demande a été introduite. (...) 3. Dans les cas visés aux paragraphes 1 et 2, la requête aux fins de prise en charge par un autre État membre est présentée à l'aide d'un formulaire type et comprend les éléments de preuve ou indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, et/ou les autres éléments pertinents tirés de la déclaration du demandeur qui permettent aux autorités de l'État membre requis de vérifier s'il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement. ".
3. Aux termes de l'article 22 de ce règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. (...) / 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d'un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".
4. Aux termes de l'article 25 de ce règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".
5. La situation de M. A..., à qui les autorités italiennes ont délivré un visa valable du 14 décembre 2016 au 5 janvier 2017, relevait du paragraphe 4 de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le préfet de l'Isère a produit la copie d'un courrier électronique du 8 juin 2017, constituant la " réponse automatique accusant réception " de sa demande de transfert de M. A... formulée au moyen de l'application " DubliNet " dans le cadre du règlement Dublin III. Ce document comporte la même référence FRDUB19930006233-380 que celle figurant sur le document non daté émis par les services de la préfecture de l'Isère et destiné aux autorités italiennes, constatant leur " accord implicite et confirmation de reconnaissance de responsabilité " pour la prise en charge de la demande d'asile de M. A.... Ce dernier document comporte la référence des autorités italiennes (ITA028783871) concernant ce dossier. Ainsi, la réalité d'une demande de prise en charge adressée à ces autorités, ayant fait naître leur accord implicite, est établie. Par suite, c'est à tort que, pour annuler la décision de transfert en litige et, par voie de conséquence, la décision portant assignation à résidence de l'intéressé, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de ce que la réalité d'une telle demande n'était pas établie.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A....
7. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Droit à l'information / 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 4. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. ".
8. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative des brochures prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
9. Le compte-rendu de l'entretien individuel que M. A... a eu à la préfecture le 8 mars 2017 mentionne que les langues qu'il comprend sont le français et le soussou. L'accusé de réception des brochures d'information A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", comportant sa signature et celle d'un agent de la préfecture, indique que ces brochures lui ont été remises dans leur version en langue turque, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il la comprend. Dès lors, la décision prescrivant sa remise aux autorités italiennes est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière, ce qui a eu pour effet de priver l'intéressé d'une garantie. Par suite, cette décision est illégale, de même que, par voie de conséquence, la décision l'assignant à résidence.
10. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision de transfert en litige et, par voie de conséquence, celle portant assignation à résidence de M. A....
11. Aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. ". Par le jugement attaqué, il a été enjoint au préfet de l'Isère de statuer de nouveau sur le cas de M. A.... Le présent arrêt n'implique pas d'autre mesure d'exécution.
12. M. A... a obtenu l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Huard, avocat du requérant, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de l'Isère est rejetée.
Article 2 : L'État versera à Me Huard, avocat de M. A..., la somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'État, ministre de l'intérieur et à M. B... C... A....
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 4 mai 2018 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Dèche, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 31 mai 2018.
4
N° 17LY03238