Par un jugement nos 1502510, 1505145 du 11 mai 2017, le tribunal administratif de Grenoble a, en son article 1er, prononcé un non-lieu à statuer sur la demande présentée dans l'instance n° 1502510 et, en son article 2, rejeté la demande présentée dans l'instance n° 1505145.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 11 juillet 2017 et le 12 avril 2018, Mme B... A...épouseD..., représentée par la SCP Teissonnière Topaloff Lafforgue Andreu et Associés, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement nos 1502510, 1505145 du 11 mai 2017 du tribunal administratif de Grenoble et la décision du 23 juin 2015 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté sa demande d'indemnisation ;
2°) à titre principal, de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à lui payer une indemnité totale de 216 900 euros en réparation des conséquences dommageables du lymphome non hodgkinien présenté par M. C... A..., son père, décédé le 17 juin 2012 ;
3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de réexaminer sa demande d'indemnisation et d'indemniser les conséquences dommageables de cette maladie dans un délai de trois mois sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de majorer le montant de l'indemnisation des intérêts au taux légal à compter de la première demande d'indemnisation et des intérêts capitalisés ;
5°) de mettre à la charge du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires les entiers dépens ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son père a séjourné au Centre d'expérimentations militaires des oasis d'In Ecker au Sahara du 16 novembre 1962 à fin octobre 1963, dans des lieux et durant une période correspondant aux dispositions de l'article 2 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, et a été victime d'un lymphome non hodgkinien, maladie radio-induite inscrite en annexe au décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 ;
- en application du II de l'article 113 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, la décision en litige doit être annulée et le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires doit indemniser les conséquences dommageables de cette maladie, dès lors que son père a été soumis à une contamination interne par inhalation ou ingestion de gaz ou poussières radioactifs et que l'administration ne rapporte pas la preuve que ladite pathologie résulte exclusivement d'une cause étrangère à son exposition aux rayonnements ionisants.
- elle a droit, en réparation des préjudices subis par son père :
à la somme de 45 300 euros au titre de l'assistance d'une tierce personne,
à la somme de 6 600 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
à la somme de 50 000 euros au titre des souffrances endurées,
à la somme de 20 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,
à la somme de 15 000 euros au titre du préjudice d'agrément,
et à la somme de 80 000 euros au titre du préjudice moral lié à sa pathologie évolutive.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 juillet 2018, le ministre des armées conclut à sa mise hors de cause.
Il fait valoir que le litige porte sur une décision rendue par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, lequel est compétent pour assurer la défense de ses décisions.
En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées de ce que la cour était susceptible de soulever d'office le moyen tiré de ce qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de réexaminer la demande d'indemnisation présentée le 22 février 2013 en raison de l'intervention au cours de la présente instance de la décision du 29 octobre 2018 de ce comité statuant de nouveau sur cette demande d'indemnisation.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Drouet, président-assesseur,
- et les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public.
1. Considérant que, le 22 février 2013, Mme A... épouse D...a saisi, en qualité d'ayant droit de M. C... A..., son père, décédé le 17 juin 2012, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires d'une demande tendant à la réparation des conséquences dommageables du lymphome non hodgkinien développé par M. A... et de son décès consécutif, qu'elle estime imputables aux essais nucléaires français ; que, par une décision du 23 juin 2015, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté cette demande d'indemnisation ; que Mme A... épouse D...relève appel du jugement nos 1502510, 1505145 du 24 janvier 2017 en ce que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande présentée dans l'instance n° 1505145 et tendant à l'annulation de cette décision du 23 juin 2015 et à l'indemnisation des conséquences dommageables de la maladie présentée par son père ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. / Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit. " ; que selon l'article 2 de cette même loi dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision en litige du 23 juin 2015 : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : / 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ; / 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française. / (...) " ; que l'article 4 de cette même loi, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision en litige et antérieure à la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, disposait : " I. - Les demandes d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, qui se prononce par une décision motivée dans un délai de huit mois suivant le dépôt du dossier complet. / (...) / V. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé / (...) " ; qu'aux termes de l'article 113 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique : " I.- Au premier alinéa du V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, les mots et la phrase : "à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé." sont supprimés. / II.- Lorsqu'une demande d'indemnisation fondée sur les dispositions du I de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a fait l'objet d'une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la présente loi, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires réexamine la demande s'il estime que l'entrée en vigueur de la présente loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision. Il en informe l'intéressé ou ses ayants droit s'il est décédé qui confirment leur réclamation et, le cas échéant, l'actualisent. Dans les mêmes conditions, le demandeur ou ses ayants droit s'il est décédé peuvent également présenter une nouvelle demande d'indemnisation, dans un délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi. / (...) " ;
3. Considérant qu'il résulte du II de l'article 113 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, cité au point précédent, d'une part, que le législateur a confié au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires la mission de réexaminer l'ensemble des demandes d'indemnisation ayant fait l'objet d'une décision de rejet de la part du ministre ou du comité, s'il estime que l'entrée en vigueur de cette loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision et, d'autre part, que les victimes ou leurs ayants droit peuvent, dans les douze mois à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, présenter au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires une nouvelle demande d'indemnisation ; que compte tenu de son office, il appartient au juge du plein contentieux, saisi d'un litige relatif à une décision intervenue après réexamen d'une ancienne demande d'indemnisation ou en réponse à une demande postérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, de statuer en faisant application des dispositions de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 dans leur rédaction issue de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 et, s'il juge illégale la décision contestée, de fixer le montant de l'indemnité due au demandeur, sous réserve que ce dernier ait présenté des conclusions indemnitaires chiffrées, le cas échéant, après que le juge l'a invité à régulariser sa demande sur ce point ; qu'en revanche, il résulte des dispositions rappelées ci-dessus de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 que le législateur a entendu que, lorsque le juge statue sur une décision antérieure à leur entrée en vigueur, il se borne, s'il juge, après avoir invité les parties à débattre des conséquences de l'application de la loi précitée, qu'elle est illégale, à l'annuler et à renvoyer au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires le soin de réexaminer la demande ;
4. Considérant que les dispositions du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 citées au point 2 ont supprimé les dispositions du premier alinéa du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010, qui excluaient le bénéfice de la présomption de causalité dans le cas où le risque attribuable aux essais nucléaires pouvait être considéré comme négligeable ; que le législateur a ainsi entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie ; que cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements ;
5. Considérant, d'une part, qu'il est constant que, dans le cadre de son service militaire, M. C... A..., né le 19 janvier 1943, a été affecté en qualité de conducteur de véhicules légers au Centre d'expérimentations militaires des oasis d'In Ecker au Sahara du 16 novembre 1962 à fin octobre 1963 et qu'il est décédé le 17 juin 2012 des suites d'un lymphome non hodgkinien diagnostiqué en 2011, pathologie inscrite sur la liste des maladies radio-induites au sens de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 ; qu'ainsi, il satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée et bénéficie, dès lors, de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie ;
6. Considérant, d'autre part, qu'il est constant que le séjour de M. C... A...du 16 novembre 1962 à fin octobre 1963 au Centre d'expérimentations militaires des oasis d'In Ecker a été contemporain d'au moins deux expérimentations nucléaires souterraines réalisées dans le Sahara les 18 et 30 mars 1963 ; que si les fonctions de l'intéressé n'avaient aucun rapport avec la mise en oeuvre d'une arme nucléaire, la surveillance radiologique ou la décontamination, s'il est resté confiné à la base-vie dudit centre située à une quarantaine de kilomètres du point zéro au moment de chacun de ces deux essais et si, dans le cadre de la surveillance de l'irradiation externe, M. A... a porté deux dosimètres individuels, du 18 mars 1963 au 6 avril 1963 puis du 20 octobre 1963 au 25 octobre 1963, dont les résultats furent inférieurs au seuil de détection de 0,2 millisievert, il est constant que l'intéressé n'a pas fait l'objet d'une surveillance de la contamination interne ; que si l'essai souterrain Émeraude du 18 mars 1963 a été parfaitement confiné, il n'est pas contesté que l'essai souterrain Améthyste du 30 mars1963 a provoqué un dégagement de gaz et de laves contenant des substances radioactives ; qu'ainsi, une contamination interne de M. A... par radioactivité due aux essais nucléaires ne peut être totalement exclue ; que, dans ces conditions, l'administration ne peut être regardée comme apportant des éléments suffisants de nature à établir que la pathologie dont est décédé M. A... résulterait exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'aurait subi aucune exposition à de tels rayonnements ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'est illégale la décision du 23 juin 2015 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté la demande présentée par Mme A... épouse D...et tendant à la réparation des conséquences dommageables du lymphome non hodgkinien développé par son père et de son décès consécutif ; que, par suite, la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :
8. Considérant que, compte tenu de ce qu'il a été dit au point 3, l'annulation de la décision du 23 juin 2015 implique seulement que la demande d'indemnisation présentée le 22 février 2013 par Mme A... épouse D...soit examinée une seconde fois par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires ; qu'il résulte de l'instruction que, par décision du 29 octobre 2018 postérieure à l'introduction de la requête, ce comité a statué de nouveau sur cette demande d'indemnisation ; que, par suite, sont devenues sans objet les conclusions de la requête tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de réexaminer la demande d'indemnisation présentée le 22 février 2013 ;
Sur les conclusions à fin indemnitaire :
9. Considérant qu'eu égard à la date de la décision en litige et à l'office du juge tel que défini au point 3, il n'appartient pas à la cour, dans le cadre de la présente instance, de statuer sur les conclusions indemnitaires présentées par Mme A... épouse D...ni sur celles tendant à l'octroi des intérêts et à la capitalisation des intérêts ;
Sur les frais liés au litige :
10. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de Mme A... épouse D...présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : Sont annulés l'article 2 du jugement nos 1502510, 1505145 du 11 mai 2017 du tribunal administratif de Grenoble et la décision du 23 juin 2015 du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires prise sur la demande d'indemnisation de Mme A... épouseD....
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de Mme A... épouse D...tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de réexaminer sa demande d'indemnisation présentée le 22 février 2013.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... épouse D...est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A...épouseD..., au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Drouet, président-assesseur,
Mme Cottier, premier conseiller.
Lu en audience publique le 13 décembre 2018.
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N° 17LY02714