Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 novembre 2021 et 6 janvier 2022, Mme D... représentée par Me Campolo, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 3 novembre 2021 ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Fréjus la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la mesure d'expertise qu'elle sollicite est utile pour déterminer avec certitude les différents préjudices qu'elle a subis à la suite de sa chute ; qu'il est évident qu'elle sera en mesure d'engager ultérieurement une action contre la commune de Fréjus sur le fondement d'un défaut d'entretien normal d'un ouvrage public ; que la matérialité des faits et le lien de causalité avec la défectuosité d'une marche de l'escalier sont établis ; que, contrairement à ce qu'a estimé le juge des référés, cette défectuosité ne peut être considérée, dans les circonstances de l'espèce, comme prévisible et " normale " ; qu'en particulier, une signalisation et un grillage n'ont été mis en place que postérieurement à sa chute ; que l'appréciation qu'a portée le juge des référés excède son office, une telle considération n'étant pas manifeste.
Par un mémoire, enregistré le 14 décembre 2021, la commune de Fréjus et la compagnie XL Insurance Company SE, son assureur, représentées par Me Cadoz, concluent, à titre principal au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de Mme D..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que le visiteur d'un monument historique ne peut se prévaloir du défaut d'entretien de l'ouvrage dès lors que les imperfections relevées par la victime n'excèdent pas, par leur nature ou par leur importance, ce qu'un usager doit normalement s'attendre à rencontrer dans un tel lieu ; que l'accident ne peut, dans ces conditions, qu'être regardé comme étant imputable à la faute d'inattention de Mme D... qui en s'engageant sur un chemin de promenade en terre meuble et en empruntant un escalier du 19ème siècle, soumis aux épreuves des années et des conditions climatiques, aurait dû redoubler de vigilance ; que la circonstance qu'une signalisation ait été apposée après l'accident en litige pour signaler la nécessité d'être attentif en empruntant cet ouvrage, est dépourvue d'incidence sur la responsabilité de la commune ; qu'à titre subsidiaire, les missions de l'expert devraient être étendues.
Par un mémoire, enregistré le 16 décembre 2021, la caisse primaire d'assurance maladie du Var, représentée par Me Vergeloni, s'en remet à la sagesse de la Cour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête (...) prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction ". En vertu de l'article L. 555-1 du même code, le président de la cour administrative d'appel est compétent pour statuer sur les appels formés contre les décisions rendues par le juge des référés.
2. Mme D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon de prescrire une expertise aux fins d'évaluer les préjudices qu'elle a subis, à la suite de la chute dont elle a été victime, le 25 octobre 2019, dans le parc public de la Villa Aurélienne, sur le territoire de la commune de Fréjus. Par l'ordonnance attaquée du 3 novembre 2021, le juge des référés a refusé de faire droit à sa demande, au motif que l'expertise qu'elle demande est dépourvue d'utilité, dès lors que " compte tenu de la configuration du site historique en cause, notamment du caractère prévisible et non anormal de la défectuosité invoquée, la responsabilité de la commune ne parait pas pouvoir, en l'état de l'instruction, être établie ".
3. L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste de lien de causalité entre le préjudice à évaluer et la faute alléguée de cette personne (cf. CE, 14.02.2017, n° 401514).
4. Par ailleurs, la responsabilité de la personne publique, propriétaire d'un ouvrage public, est engagée de plein droit à l'égard de l'usager victime d'un dommage, sans que l'intéressé ait à établir l'existence d'une faute à la charge de cette personne publique, si le dommage est effectivement imputable à un défaut d'entretien normal de l'ouvrage et non à l'inattention de la victime à l'égard d'un obstacle ou d'une altération qui n'excèdent pas, par leur nature et leur importance, ceux auxquels un usager peut normalement s'attendre, en particulier l'usager piéton d'une voie publique.
5. Il est constant que Mme D... a été victime d'une chute dans un escalier à balustres situé dans le parc public de la Villa Aurélienne dont l'état présente une vétusté certaine, avec des nez-de-marche comportant des cassures plus ou moins importantes. Si la commune de Fréjus à qui il appartient, en tout état de cause, d'établir l'entretien normal de l'ouvrage, fait valoir qu'eu égard à son ancienneté et à son appartenance à un monument historique de la fin du XIXème siècle, la vétusté de cet escalier et l'absence de signalisation particulière d'un éventuel danger ne sauraient constituer un défaut d'entretien normal de l'ouvrage, une telle appréciation, qui ne présente pas un caractère manifeste, ne relève pas de l'office du juge des référés. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que c'est tort que le juge des référés lui a opposé que la responsabilité de la commune ne " paraît " pas pouvoir être établie.
6. Il résulte de ce qui précède, la Cour n'étant saisie par l'effet dévolutif de l'appel d'aucun autre moyen, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande. En conséquence, l'ordonnance du 3 novembre 2021 doit être annulée et il y a lieu d'ordonner la mission d'expertise demandée.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Fréjus la somme de 1 000 euros à verser à Mme D..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme D... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
O R D O N N E :
Article 1er : L'ordonnance n° 2001522 du 3 novembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon est annulée.
Article 2 : M. C... A... , demeurant au 40 boulevard Victor Hugo, à Nice (06000), est désigné avec pour mission de :
- se faire communiquer tous les documents médicaux utiles à sa mission, examiner Mme B... D... et décrire son état actuel ;
- préciser dans quelle mesure l'état actuel de Mme D... est imputable aux séquelles de l'accident dont elle a été victime le 25 octobre 2019 ;
- déterminer si l'état de Mme D... est consolidé et, dans l'affirmative, en préciser la date ;
- déterminer, à la date de l'expertise, la durée du déficit fonctionnel temporaire total, le préjudice esthétique, les souffrances physiques et le préjudice d'agrément subis par Mme D..., à la suite de l'accident dont elle a été victime le 25 octobre 2019 ;
- si son état est consolidé, déterminer le déficit fonctionnel permanent partiel, s'il ne l'est pas, déterminer le déficit fonctionnel temporaire partiel, imputable à cet accident ; indiquer si Mme D... doit encore faire l'objet de soins et, le cas échéant, en préciser la nature ;
- préciser si le déficit fonctionnel temporaire ou permanent dont Mme D... est atteinte justifie ou a justifié l'assistance par une tierce personne, et, si oui, selon quel volume horaire.
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues aux articles R. 621-1 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour administrative d'appel.
Article 4 : L'expertise aura lieu en présence de Mme D..., de la commune de Fréjus, de la compagnie XL Insurance Company SE et de la caisse primaire d'assurance maladie du Var.
Article 5 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.
Article 6 : L'expert avertira les parties conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.
Article 7 : L'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente ordonnance. Des copies seront notifiées par l'expert aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de son rapport par les parties.
Article 8 : Les frais et honoraires de l'expertise seront mis à la charge de la ou des parties désignées dans l'ordonnance par laquelle le président de la cour liquidera et taxera ces frais et honoraires.
Article 9 : Les conclusions de la commune de Fréjus et de la compagnie XL Insurance Company SE présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 10 : La commune de Fréjus versera à Mme D... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 11 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B... D..., à la commune de Fréjus, à la compagnie XL Insurance Company SE, à la caisse primaire d'assurance maladie du Var et à M. C... A..., expert.
Fait à Marseille, le 2 février 2022
N° 21MA044322
LH