Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 28 octobre 2019, le préfet du Var demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 1er octobre 2019 ;
2°) de rejeter la demande de première instance.
Il soutient que :
- le rapport de la police aux frontières démontre que les documents d'état civil de M. B... comportaient des irrégularités ;
- ce seul rapport suffisait pour admettre que les actes en cause n'étaient pas authentiques ;
- l'identité et la minorité de M. B... ne sont donc pas établis et c'est donc à bon droit que la délivrance du titre de séjour a été refusée pour ces motifs ;
- l'absence du numéro d'identification national (NINA) sur l'extrait d'acte de naissance alors qu'un tel numéro est obligatoire sur le fondement de la loi malienne n° 06-040 du 11 août 2006 ainsi que l'absence de signature de l'extrait d'acte de naissance par le maire, en méconnaissance de l'article 11 de la loi n° 06-024 du 28 juin 2006 régissant l'état civil et l'absence de transcription des dates en lettres en méconnaissance de la loi malienne n° 87-27 du 16 mars 1987 relative à l'état civil sont de nature à remettre en cause l'authenticité des documents d'identité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2019, M. B... conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 du décret du 19 décembre 1991 relatif à l'aide juridique, à verser à son conseil qui s'engage à renoncer à percevoir la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête d'appel n'est fondé et il reprend ses moyens de première instance au soutien de ses conclusions dirigées contre le refus de séjour, tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte, de la méconnaissance des articles L. 313-15 et L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que de l'article 47 du code civil et de l'erreur manifeste d'appréciation. Il invoque aussi la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Concernant la mesure d'éloignement il soutient qu'elle est entachée d'incompétence de son auteur et méconnait l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 décembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention entre le Gouvernement de la République française et Gouvernement de la République du Mali sur la circulation et le séjour des personnes, signée à Bamako le 26 septembre 1994 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 1er juillet 2019, le préfet du Var a rejeté la demande de titre de séjour que lui avait présentée le 20 août 2018 M. B..., ressortissant malien, sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Le préfet du Var relève appel du jugement du 1er octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a annulé cette décision puis a enjoint au préfet du Var de réexaminer la situation de l'intéressé dans un délai d'un mois.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. La convention franco-malienne du 26 septembre 1994 sur la circulation et le séjour des personnes renvoie, par son article 10, à la législation nationale pour la délivrance et le renouvellement des titres de séjour. Ses articles 4 et 5 se bornent, quant à eux, à régir les conditions d'entrée, sur le territoire de l'un des deux États, de ceux des ressortissants de l'autre État qui souhaitent y exercer une activité salariée. Il en va de même s'agissant de l'exercice d'une activité professionnelle, industrielle, commerciale ou artisanale, mentionnée à l'article 6. Ainsi, les ressortissants maliens souhaitant exercer une activité salariée en France doivent solliciter un titre de séjour en application des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
3. D'une part, aux termes de l'article L. 313-15 du CESEDA: " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé. ". Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de l'article L. 313-15 du CESEDA, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance (ASE) entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
4. D'autre part, l'article L. 111-6 du CESEDA dispose : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Et selon l'article 47 du code civil: " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
5. En l'espèce, la décision attaquée se fonde uniquement sur le fait que M. B... ne remplirait pas les conditions pour pouvoir bénéficier d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du CESEDA dès lors qu'il ne justifie pas avoir été pris en charge par l'ASE alors qu'il était mineur, compte tenu de l'existence d'un doute sur les documents d'identité qu'il a fournis.
6. Toutefois, ainsi que l'a à bon droit relevé le tribunal, M. B... a produit une copie intégrale du jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu le 8 août 2016 par le tribunal civil de Yélimane, ainsi qu'une copie certifiée conforme de l'extrait d'acte de naissance transcrit le même jour, en vertu de ce jugement, sur le registre d'état civil de la commune rurale de Kirané-Kaniaga. Ces deux documents indiquent que l'intéressé est né le 15 septembre 2000, de sorte qu'il était âgé de seize ans lorsqu'il a été pris en charge par l'ASE. Ces éléments sont corroborés par la carte d'identité et le passeport de l'intéressé qui mentionnent la même date de naissance. La seule production par le préfet du Var d'un rapport simplifié d'analyse documentaire établi par la direction centrale de la police aux frontières qui se borne à relever quelques irrégularités de forme n'est pas, dans les circonstances de l'espèce, suffisante pour remettre en cause le caractère probant des documents produits par l'intéressé. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont estimé que M. B... devait être regardé comme ayant été pris en charge par l'ASE entre seize et dix-huit ans.
7. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Var n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a annulé la décision attaquée.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Le requérant a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Ainsi, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, il y a lieu de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du préfet du Var est rejetée.
Article 2 : L'État versera la somme de 1 500 euros à Me D..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C... B... et à Me D....
Copie en sera adressée au préfet du Var.
Délibéré après l'audience du 3 septembre 2020, où siégeaient :
- M. Poujade, président de chambre,
- M. Portail, président assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 septembre 2020.
N° 19MA04665 5
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