Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 mai 2020 et le 21 avril 2021, Mme B..., représentée par Me Hentz, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 mars 2020 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de condamner centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice à lui verser la somme de 66 252,90 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du décès de sa fille ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Nice la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- Charlotte A..., qui a contracté le virus de la grippe H1N1 à compter du 28 octobre 2009 alors qu'elle était prise en charge au CHU de Nice, a été victime d'une infection qui doit être regardée comme nosocomiale, en l'absence de preuve d'une origine autre que cette prise en charge, étant précisé au demeurant qu'elle était hospitalisée sous le régime de l'hôpital de semaine et qu'elle est restée à l'isolement durant son bref retour au domicile, au demeurant postérieur à l'infection ;
- les manquements du CHU de Nice face à l'apparition et l'aggravation de cette infection nosocomiale, caractérisés par l'absence de mesures destinées à prévenir la transmission virale au sein de l'établissement, l'omission de rechercher la cause de la fièvre et l'administration tardive d'un traitement approprié, alors que la patiente présentait des risques particuliers de complications, sont de nature à engager la responsabilité pour faute du CHU de Nice ;
- elle est fondée à demander l'indemnisation du préjudice de perte de chance de survie de sa fille, en sa qualité d'ayant-droit, et de son préjudice propre d'affection, à hauteur de 30 000 euros pour chacun de ces préjudices ;
- elle justifie avoir exposé des frais d'obsèques d'un montant de 6 252,90 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2021, le CHU de Nice, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- il ne revient qu'à l'ONIAM, au titre de la solidarité nationale, d'indemniser les conséquences d'une infection nosocomiale ayant entraîné le décès de la victime ;
- à titre subsidiaire, la jeune D... A... a contracté son infection hors de l'établissement ;
- des mesures appropriées ont été mises en place au sein de l'établissement pour lutter contre la propagation du virus de la grippe H1N1 ;
- la victime a fait l'objet d'un diagnostic pertinent et d'une prise en charge médicale appropriée sitôt que ses symptômes évoquaient une contamination par le virus de la grippe H1N1 ;
- à titre subsidiaire, un manquement de sa part n'a pu être à l'origine que d'une perte de chance d'éviter le décès de la victime ;
- à titre infiniment subsidiaire, il n'est pas justifié du coût des frais d'obsèques invoqués par la requérante, la somme de 30 000 euros demandée au titre du préjudice d'affectation est excessive et la réalité de la perte de chance de survie invoquée n'est pas établie.
Par un mémoire enregistré le 3 août 2021, l'ONIAM, représenté par Me Fitoussi, conclut à sa mise hors de cause ou, à titre subsidiaire, à la désignation d'un expert.
Il soutient que :
- l'infection contractée par la victime ne présente pas un caractère nosocomial ;
- à titre subsidiaire, le lien de causalité entre cette infection et le décès de la victime n'est pas démontré ;
- il y a lieu, pour la cour, de désigner un expert afin de déterminer si l'infection présente un caractère nosocomial et si elle est la cause du décès de la victime.
Vu les autres pièces du dossier ;
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur des moyens relevés d'office, tirés de ce que :
- les dommages subis sont indemnisables au titre de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique ;
- le jugement attaqué est irrégulier, à défaut pour les premiers juges d'avoir mis en cause l'ONIAM d'office.
Des réponses à ces mesures d'information, présentées pour Mme B... et le CHU de Nice et Mme B..., ont été enregistrées respectivement le 2 août 2021 et le 19 août 2021
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Sanson,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Hentz, représentant Mme B..., et de Me de Raisme, substituant Me le Prado, représentant le CHU de Nice.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... relève appel du jugement du 4 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la réparation des préjudices consécutifs au décès de sa fille, D... A..., décédée le 6 novembre 2009 alors qu'elle était prise en charge au CHU de Nice pour l'exérèse d'un kyste pilodinal.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En vertu des dispositions de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique, les dommages résultant d'infections nosocomiales correspondant à un taux d'atteinte à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 %, ainsi que les décès provoqués par des infections nosocomiales, sont réparés par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale. En outre, aux termes du II de l'article L. 1142-21 du même code : " Lorsque la juridiction compétente, saisie d'une demande d'indemnisation des conséquences dommageables de l'aggravation d'une infection nosocomiale, estime que les dommages subis sont indemnisables au titre du 1° de l'article L. 1142-1-1, l'office est appelé en la cause et rembourse à l'assureur, le cas échéant, les indemnités initialement versées à la victime. ".
3. Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.
4. Il résulte de l'instruction, en particulier des nombreuses pièces médicales produites, que le décès de Charlotte A... résulte d'une contamination par le virus de la grippe A (H1N1) survenue alors qu'elle était prise en charge depuis le 19 octobre 2009 au CHU de Nice pour le suivi post-opératoire de l'exérèse d'un kyste pilodinal. Pour soutenir que cette infection virale, qui ne pouvait, eu égard au délai d'incubation de 24 à 72 heures, être ni présente ni en incubation au début des soins, trouve son origine ailleurs que dans la prise en charge médicale, l'ONIAM se borne à alléguer que la victime a pu être contaminée lors d'une permission de sortie accordée les 31 octobre et 1er novembre 2009. Il n'apporte toutefois aucun commencement de preuve au soutien de ses allégations, alors que l'historique de maladie établi par les médecins du service de réanimation mentionne que Charlotte A... a présenté une fièvre de 38,2° dès le vendredi 30 octobre 2009. Ainsi, le décès de Charlotte A... est imputable à une infection nosocomiale. Dans ces conditions, la demande indemnitaire présentée par la requérante relevait du régime de réparation prévu à l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique précité et il revenait au tribunal de mettre en cause l'ONIAM, en application de l'article L. 1142-21. Il y a lieu, dès lors, d'annuler le jugement attaqué comme irrégulier.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par Mme B... devant le tribunal administratif de Nice.
Sur les conclusions indemnitaires :
6. Ainsi qu'il a été vu au point 4, la jeune D... A... a été victime d'une infection nosocomiale ouvrant à ses ayants-droit le bénéfice de la solidarité nationale.
7. Les dispositions de l'article L. 1142-21 du code de la santé publique prévoient que l'ONIAM, condamné, en application de l'article L. 1142-1-1 du même code, à réparer les conséquences d'une infection nosocomiale ayant entraîné le décès de la victime, peut exercer une action récursoire contre l'établissement de santé en cas de faute établie à l'origine du dommage. Par suite, la responsabilité d'un établissement de santé au titre d'une infection nosocomiale ayant entraîné des conséquences répondant aux conditions de l'article L. 1142-1-1 ne peut être recherchée, par la victime elle-même ou ses subrogés ou par l'ONIAM dans le cadre d'une action subrogatoire, qu'à raison d'une faute établie à l'origine du dommage.
8. En se bornant à signaler que ni le personnel, ni les visiteurs, ni les patients ne portaient de masques dans le service de pédiatrie, alors qu'aucune réglementation n'en imposait alors le port généralisé en dépit de la pandémie de grippe A (H1N1), et à alléguer que les règles d'hygiène et d'asepsie n'y étaient pas respectée, la requérante n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de manquements dans la prévention des infections par ce virus en particulier. En outre, il résulte de l'instruction que la seule fièvre qu'a présentée Charlotte A... au moment de rejoindre son domicile le 30 octobre 2009 ne permettait pas de suspecter une contamination par le virus de la grippe A (H1N1), étant par ailleurs rappelé que le praticien libéral qui a examiné la victime à son domicile le 1er novembre 2009 a posé le diagnostic d'une simple trachéite. Dans ces conditions, l'équipe médicale du CHU de Nice n'a pas commis de faute en ne procédant à un test sérologique que le mardi 3 novembre, après avoir constaté une hausse de la fièvre, une majoration de la toux et une désaturation en dioxygène.
9. Il s'ensuit, eu égard à la gravité des dommages résultant de l'infection nosocomiale, qui est à l'origine du décès de la victime, et en l'absence de faute du CHU de Nice, qu'il revient à l'ONIAM d'indemniser la requérante des préjudices résultant du décès de sa fille au titre de la solidarité nationale.
10. En premier lieu, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection de Mme B... en lui accordant une indemnité d'un montant de 25 000 euros.
11. En deuxième lieu, si la requérante produit des quittances de paiement d'un montant total de 6 252,90 euros, les frais d'obsèques auxquelles ces quittances se rapportent ne sont justifiés qu'à hauteur de 5 313,30 euros par la facture du 6 novembre 2009 qu'elle verse à l'instruction. En l'absence d'élément permettant d'expliquer cette différence, il y a lieu de limiter le montant de l'indemnisation due au titre des frais d'obsèques de Charlotte A... à cette somme de 5 313,30 euros.
12. En dernier lieu, il y a lieu de regarder Mme B... comme demandant réparation non de la perte de chance de survie de la victime, aucun droit à indemnité n'étant entré à ce titre avant sa mort dans son patrimoine, mais du préjudice qu'elle a subi du fait des souffrances morales éprouvées en prenant conscience de sa mort imminente. Il résulte de l'instruction que la victime était consciente au moins le jour de son transfert au sein du service de réanimation le 4 novembre 2009, alors qu'elle était intubée et ventilée en raison d'une détresse respiratoire. En outre, selon les déclarations non contestées de Mme B..., recueillies le 14 octobre 2010 dans le cadre de l'instruction de la plainte qu'elle a déposée contre X, un médecin du service de pneumologie l'a informée ce même jour et en présence de sa fille que le pronostic vital de celle-ci était engagé. Ainsi, il est établi que Charlotte A... a pris conscience de la dégradation anormale de son état de santé et d'une mort probable, alors même qu'elle ne serait pas restée consciente les jours suivants jusqu'à son décès. Elle a donc subi un préjudice d'anxiété dont il sera fait une juste appréciation en le fixant à la somme de 3 000 euros.
13. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de mettre d'office à la charge de l'ONIAM l'obligation d'indemniser Mme B... des préjudices qu'elle invoque par le versement d'une somme de 33 313,30 euros.
14. Le CHU de Nice n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par Mme B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être écartées.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 4 mars 2020 est annulé.
Article 2 : L'ONIAM versera à Mme B... la somme de 33 313,30 euros.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., au centre hospitalier universitaire de Nice et à l'Office national de l'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 7 octobre 2021 où siégeaient :
- M. Alfonsi, président,
- Mme Massé-Degois, présidente-assesseure,
- M. Sanson, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 octobre 2021.
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N° 20MA01881