Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 30 juillet 2020, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 14 septembre 2020 et 23 novembre 2020, M. A..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 18 novembre 2019 ;
2°) d'annuler cet arrêté préfectoral du 5 juillet 2019 lui refusant un titre de séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de procéder à un réexamen de sa situation dans un délai de deux mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 000 euros sur le fondement des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991, ce règlement emportant renonciation à l'indemnité versée au titre de l'aide juridictionnelle, et le versement à son profit d'une somme de 1 000 euros.
Il soutient que :
- il n'est pas justifié de la compétence du signataire de la décision attaquée ;
- la commission du titre de séjour n'a pas été saisie en méconnaissance de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les décisions de refus de séjour et portant obligation de quitter le territoire français sont insuffisamment motivées ;
- la décision de refus de séjour méconnaît les articles R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016, en ce qu'il n'est pas établi que le médecin ayant établi le rapport n'a pas participé à l'avis collégial des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;
- elle viole également l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 en ce que l'avis précité ne mentionne pas la durée prévisible du traitement et les éléments de procédure ;
- les décisions attaquées méconnaissent les dispositions des articles L. 313-11 11° et L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur sa situation personnelle et violent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 novembre 2020, le préfet de l'Hérault demande à la Cour de rejeter la requête de M. A....
Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 26 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les observations de Me B... pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 27 mars 1985, de nationalité albanaise, est entré irrégulièrement en France le 18 janvier 2015 avec son épouse de même nationalité. Le préfet de l'Hérault lui a accordé une autorisation provisoire de séjour le 27 juillet 2015 en qualité d'étranger malade, puis, à compter du 14 janvier 2016, un titre de séjour en cette qualité, renouvelé régulièrement jusqu'au 13 janvier 2019. M. A... relève appel du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 18 novembre 2019 ayant rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 5 juillet 2019 portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. / La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) " et aux termes de 1'article L. 511-4 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) / 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; (...) ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tout élément permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, de sa capacité à bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. Au vu de l'avis émis le 2 avril 2019 par le collège de médecins de l'OFII, le préfet de l'Hérault a refusé de délivrer un titre de séjour à M. A.... Dans cet avis, les médecins ont conclu que, si l'état de santé de l'intéressé nécessitait une prise en charge médicale et si le défaut de cette prise en charge pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé, il pouvait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, son état de santé lui permettant en outre de voyager sans risque vers ce dernier.
5. Pour contredire l'avis précité, M. A... précise qu'il est porteur d'une hémophilie de type B sévère avec anticorps anti-facteur IX entraînant un handicap moteur majeur, consistant en de graves arthropathies des genoux, des coudes, des épaules et des chevilles ainsi que des hématomes des muscles psoas ayant entraîné des rétractions musculaires, et qu'il ne dispose en Albanie d'aucun traitement approprié. A cet égard, l'intéressé produit un certificat du 29 mai 2019 d'un médecin urologue du centre hospitalier universitaire " Nene Tereza " de Tirana qui l'a reçu en consultation à plusieurs reprises pour des coliques néphrétiques, lequel indique qu'en Albanie, " il n'existe pas un traitement spécifique pour soigner l'hémophilie par le facteur VII ". Par ailleurs, M. A... produit un certificat en date du 18 septembre 2019 du docteur N., praticien hospitalier du département d'hématologie biologique du centre hospitalier universitaire de Montpellier, qui, après avoir rappelé les troubles sévères de l'intéressé, relève que " Le traitement indispensable à sa pathologie est indisponible dans son pays ", lequel est complété par un autre certificat de ce même praticien, daté du 27 mai 2020, qui indique que ce traitement est à base du médicament " Novosen ". L'appelant produit également un courrier du 10 juin 2020 du président de l'Association albanaise des hémophiles, qui détaille la prise en charge des patients atteints d'hémophilie de type B sévère avec inhibiteurs, en soulignant qu'en Albanie, un seul laboratoire pharmaceutique NovoNordisk, peut fournir le " Novoseven ", unique médicament pouvant traiter de tels patients, et que, pour des raisons budgétaires, il n'est en pratique utilisé qu'en cas d'urgence ou d'actes de chirurgie. Le caractère insuffisant et inadéquat du traitement proposé en Albanie aux personnes atteintes spécifiquement d'hémophilie avec inhibiteurs est également confirmé par la lettre du 7 octobre 2020 adressée au conseil du requérant à sa demande, par un représentant de la Fédération mondiale de l'hémophilie, créée en 1963 et reconnue officiellement par l'Organisation mondiale de la santé, même si le préfet produit par ailleurs un extrait du site internet de cette fédération relevant les progrès accomplis dans ce pays dans le traitement en général de l'hémophilie, notamment par l'utilisation de facteurs d'anticoagulation et l'ouverture d'un centre de soins dans la capitale. Enfin, contrairement à ce que fait valoir en défense le préfet, l'autorisation provisoire de séjour accordée initialement à M. A... à compter du 6 juillet 2015, puis le titre de séjour qui lui a été délivré à compter du 14 janvier 2016, n'ont pu lui être attribués uniquement en raison d'une leucémie aigue myéloblastique, aujourd'hui en rémission complète, dès lors que cette dernière n'a été diagnostiquée, aux termes du certificat médical précité du 27 mai 2020 du Docteur N., qu'en janvier 2017. Par les documents précités, M. A... démontre ainsi que, contrairement à ce qu'a estimé le collège de médecins de l'OFII, et compte tenu de la spécificité de l'hémophilie avec inhibiteurs dirigés contre les facteurs de coagulation IX dont il est atteint, il ne peut bénéficier effectivement en Albanie d'un traitement approprié. Dans ces conditions, il est fondé à soutenir qu'en refusant de lui renouveler son droit au séjour en qualité d'étranger malade et en prenant à son encontre une obligation de quitter le territoire français, le préfet de l'Hérault a méconnu les dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 et du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier, par le jugement attaqué, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 5 juillet 2019 portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une décision dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
8. Il ne résulte pas de l'instruction, et n'est pas soutenu par le préfet de l'Hérault, que la situation de M. A... aurait, depuis l'intervention de la décision contestée, évolué dans des conditions telles que sa demande de titre de séjour serait devenue sans objet ou que des circonstances postérieures fonderaient désormais légalement une nouvelle décision de refus. Dans ces conditions, l'exécution du présent arrêt, eu égard à ses motifs, implique nécessairement qu'un titre de séjour soit délivré à l'intéressé. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de délivrer à M. A... un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
10. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par conséquent, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dès lors, sous réserve que Me B..., conseil de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat de la somme de 1 000 euros en remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, M. A... n'alléguant pas avoir exposé des frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale dont il bénéficie, il n'y a pas lieu de lui allouer quelque somme que ce soit au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1904936 du tribunal administratif de Montpellier du 18 novembre 2019 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 5 juillet 2019, par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de délivrer un titre de séjour à M. A... et l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera au conseil de M. A... une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir l'indemnité correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A..., Me B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lascar, président,
- Mme D..., présidente assesseure,
- Mme C..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 décembre 2020.
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N° 20MA02654
mtr