Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2018, M. B..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 décembre 2017 du magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'annuler l'arrêté du 20 novembre 2017 du préfet de l'Aude ;
3°) d'enjoindre au préfet de réexaminer sa demande d'admission au titre de l'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à Me A... sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme allouée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- il séjourne depuis plus de cinq mois en France, qui est donc l'Etat responsable de sa demande d'asile ;
- il n'est pas justifié que le signataire de l'arrêté ait reçu délégation de signature ;
- il existe une confusion des pouvoirs entre les mains d'une seule personne contraire au principe de séparation des pouvoirs ;
- l'arrêté a été pris en méconnaissance de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration en l'absence de procédure contradictoire ;
- l'arrêté préfectoral n'est pas daté ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas application des clauses humanitaires des règlements Dublin II et III ;
- les autorités italiennes ne sont plus en mesure de traiter les demandes d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 décembre 2018, le préfet de l'Aude conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;
- la décision attaquée a fait l'objet d'une mise en oeuvre le 13 février 2018.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 26 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- le règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné Mme Paix, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de Mme Mosser, présidente de la 3ème chambre, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Haïli.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... B..., ressortissant camerounais, interjette appel du jugement n° 1705703 du 19 décembre 2017 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande à fin d'annulation de l'arrêté notifié le 20 novembre 2017 par lequel le préfet de l'Aude a décidé sa remise aux autorités italiennes, responsables de sa demande d'asile.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté attaqué :
2. En premier lieu, par arrêté n°DCT-BCI-2017-127 du 8 novembre 2017, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Aude, le préfet de l'Aude a, sur le fondement du 1° de l'article 43 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements, accordé à Mme Marie-Blanche Bernard, secrétaire général de la préfecture et signataire de la décision attaquée, une délégation de signature à l'effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents à l'exception d'actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions attaquées. Cette délégation n'est pas, contrairement à ce que soutient M. B..., excessivement générale. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée manque en fait et doit être écarté.
3. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué doit être regardé comme ayant été pris le 20 novembre 2017, date figurant sur cet arrêté, qui est également la date à laquelle l'arrêté de remise aux autorités italiennes a été notifié.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 25 du règlement n° 604/2013 : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. ".
5. Si M. B... soutient que l'Etat français est responsable de sa demande d'asile, il ressort des pièces du dossier que les recherches entreprises sur le fichier Eurodac ont révélé que les empreintes de M. B... ont été relevées à deux reprises, le 27 mai 2016 et 6 juin 2016 par les autorités italiennes. Le préfet de l'Aude a ainsi pu légalement identifier l'Italie comme étant l'Etat responsable de l'examen de sa demande de protection et décider de sa remise aux autorités de ce pays, lesquelles, saisies le 23 juin 2017, ont accepté tacitement le 10 juillet 2017 la demande de reprise en charge que leur avait adressée le préfet de l'Aude. A la supposer même établie, la circonstance que M. B... soit présent en France depuis plus de cinq mois, n'a pas eu pour conséquence de rendre la France responsable de l'examen de sa demande d'asile dès lors qu'il résulte des dispositions du 2 de l'article 20 du règlement 604/2013 qu'une demande de protection internationale n'est réputée introduite qu'au jour où le formulaire a été déposé par son auteur ou qu'un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'État membre ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'État membre. Dans les circonstances de l'espèce, la demande d'asile a été formulée le 22 juin 2017 par M. B.... Il suit de là que le préfet de l'Aude a pu légalement se fonder sur l'accord implicite des autorités italiennes, intervenu le 10 juillet 2017, pour prendre le 20 novembre 2017, son arrêté de transfert aux autorités italiennes.
6. En quatrième lieu, il résulte des dispositions des livres V et VII du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et particulièrement des articles L. 742-1 à L. 742-6 et R. 742-1 à R. 742-4 dudit code concernant les décisions de transfert d'un étranger aux autorités d'un Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile, que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger son éloignement du territoire français. Dès lors, les dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration qui reprennent les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations qui fixe les règles générales de procédure applicables aux décisions devant être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979, ne sauraient être utilement invoquées à l'encontre d'une décision de transfert aux autorités de l'Etat responsable de la demande d'asile. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que comme il est indiqué, M. B... a été reçu en entretien le 27 juin 2017 à l'occasion du dépôt de sa demande d'admission au séjour en qualité de demandeur d'asile et a été informé, le 20 novembre 2017, de ce que le préfet de l'Aude envisageait de lui retirer son attestation de demandeur d'asile et de la possibilité de présenter des observations.
7. En cinquième lieu, le requérant, en faisant valoir que le principe de séparation des pouvoirs s'oppose à ce que la personne qui instruit les dossiers soit la même que celle qui signe les décisions, n'assortit pas son moyen de précision suffisante pour mettre la Cour à même d'en apprécier le bien-fondé. En tout état de cause, l'arrêté attaqué ne revêtant pas le caractère d'une sanction mais d'une mesure de police administrative, le requérant ne peut utilement invoquer le principe de séparation fonctionnelle entre les fonctions de poursuite et de sanction découlant des droits de la défense.
8. En sixième lieu, aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / (...) ".
9. M. B... soutient que, débordées par un grand nombre de demandes d'asile, les autorités italiennes ne sont pas en mesure d'accorder aux demandeurs d'asile des conditions d'accueil satisfaisantes leur permettant de bénéficier de l'ensemble des garanties prévues par cette procédure. Toutefois, l'Italie est un État membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption est réfragable lorsque qu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, M. B... se borne à produire des articles de presse qui ne suffisent pas, par eux-mêmes, à établir que la situation générale dans ce pays ne permettrait pas d'assurer, à la date à laquelle la décision du 20 novembre 2017 en litige a été prise, un niveau de protection suffisant aux demandeurs d'asile ni que son transfert vers ce pays l'exposerait à un risque personnel de traitement inhumain ou dégradant. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la demande de l'intéressé ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit. Dans ces circonstances, le moyen tiré de ce qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'État responsable de l'examen de sa demande d'asile, le préfet de l'Aude aurait méconnu les dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, doit être écarté.
10. En dernier lieu, le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul État membre. Cet État est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre. Selon le même règlement, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement prévoyant que " chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement " qui procède d'une décision prise unilatéralement par un État membre, soit de la clause humanitaire définie par le paragraphe 2 de ce même article prévoyant qu'un État membre peut, même s'il n'est pas responsable en application des critères fixés par le règlement, " rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels. ".
11. La faculté laissée à chaque État membre, par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, est discrétionnaire et ne constitue pas un droit. Le requérant, en faisant état qu'il est francophone et qu'il a été pris en charge, en France, par des associations humanitaires, n'établit pas de circonstance particulière de nature à justifier une dérogation. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur de droit et entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause dérogatoire prévue à l'article 17 du même règlement.
12. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant au versement de frais liés au litige ne peuvent par voie de conséquence qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Me A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Aude.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2019, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Haïli, premier conseiller,
- Mme Courbon, premier conseiller.
Lu en audience publique le 11 avril 2019.
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N° 18MA00268