Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 9 mai 2018, le préfet de la Haute-Corse demande à la Cour d'annuler ce jugement du 2 mai 2018 du tribunal administratif de Bastia.
Il soutient que contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, M. B...ne justifiait pas de ressources suffisantes au moment de son interpellation.
M.B..., qui a reçu communication de la requête, n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention d'application des accords de Schengen, signée le 19 juin 1990 ;
- le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 (code frontières Schengen) ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné Mme Paix, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de Mme Mosser, présidente de la 3ème chambre, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Courbon.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant marocain né le 20 août 1982, entré en France le 24 avril 2018, a fait l'objet, le 25 avril 2018, d'un arrêté du préfet de la Haute-Corse portant réadmission en Espagne et d'un arrêté l'assignant à résidence. Le préfet de la Haute-Corse relève appel du jugement du 2 mai 2018 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Bastia a annulé ces deux décisions.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Bastia :
2. Aux termes de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-4, L. 513-1 et L. 531-3, l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1, L. 211-2, L. 311-1 et L. 311-2 peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l'Union européenne.(...) ". Aux termes de l'article L. 531-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 531-1 sont applicables, (...) à l'étranger qui, en provenance du territoire d'un Etat partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, est entré ou a séjourné sur le territoire métropolitain sans se conformer aux dispositions des articles 19, paragraphe 1 ou 2, 20, paragraphe 1, ou 21, paragraphe 1 ou 2, de cette convention ou sans souscrire, au moment de l'entrée sur ce territoire, la déclaration obligatoire prévue par l'article 22 de la même convention, alors qu'il était astreint à cette formalité. (...) ".
3. Par ailleurs, l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; 2° Sous réserve des conventions internationales, du justificatif d'hébergement prévu à l'article L. 211-3, s'il est requis, et des autres documents prévus par décret en Conseil d'Etat relatifs, d'une part, à l'objet et aux conditions de son séjour et, d'autre part, s'il y a lieu, à ses moyens d'existence (...) " . L'article L. 211-3 du même code édicte : " Tout étranger qui déclare vouloir séjourner en France pour une durée n'excédant pas trois mois dans le cadre d'une visite familiale ou privée doit présenter un justificatif d'hébergement. Ce justificatif prend la forme d'une attestation d'accueil signée par la personne qui se propose d'assurer le logement de l'étranger, ou son représentant légal, et validée par l'autorité administrative. Cette attestation d'accueil constitue le document prévu par la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 pour justifier les conditions de séjour dans le cas d'une visite familiale ou privée. ".
4. Enfin aux termes de l'article 21 de la convention d'application des accords de Schengen : " 1. Les étrangers titulaires d'un titre de séjour délivré par une des Parties contractantes peuvent, sous le couvert de ce titre ainsi que d'un document de voyage, ces documents étant en cours de validité, circuler librement pendant une période de trois mois au maximum sur le territoire des autres Parties contractantes, pour autant qu'ils remplissent les conditions d'entrée visées à l'article 5, paragraphe 1, points a), c) et e), et qu'ils ne figurent pas sur la liste de signalement nationale de la Partie contractante concernée. (...) ". Et l'article 6 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et conseil du 9 mars 2016, dit code frontières Schengen, entré en vigueur le 12 avril 2016, dispose : " 1. Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, ce qui implique d'examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes : / (...) / c) justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé, et disposer de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans leur pays d'origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel leur admission est garantie, ou être en mesure d'acquérir légalement ces moyens ; / (...) / 4. L'appréciation des moyens de subsistance se fait en fonction de la durée et de l'objet du séjour et par référence aux prix moyens en matière d'hébergement et de nourriture dans l'État membre ou les États membres concernés, pour un logement à prix modéré, multipliés par le nombre de jours de séjour. / Les montants de référence arrêtés par les États membres sont notifiés à la Commission conformément à l'article 39. / L'appréciation des moyens de subsistance suffisants peut se fonder sur la possession d'argent liquide, de chèques de voyage et de cartes de crédit par le ressortissant de pays tiers. Les déclarations de prise en charge, lorsqu'elles sont prévues par le droit national, et les lettres de garantie telles que définies par le droit national, dans le cas des ressortissants de pays tiers logés chez l'habitant, peuvent aussi constituer une preuve de moyens de subsistance suffisants (...) ". La mise à jour des montants de référence requis pour le franchissement des frontières extérieures, tels que visés à l'article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), publiée au Journal officiel de l'Union européenne (JOUE) du 15 juillet 2014, dispose : " Le montant de référence des moyens de subsistance suffisants pour la durée du séjour envisagé par un étranger, ou pour son transit par la France s'il se dirige vers un pays tiers, correspond en France au montant du "salaire minimum interprofessionnel de croissance" (SMIC) calculé journellement à partir du taux fixé au 1er janvier de l'année en cours. / (...) / À compter du 1er janvier 2012, le montant journalier du SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance) s'élève à 65,00 EUR. / Les titulaires d'une attestation d'accueil doivent disposer d'un montant minimal de ressources pour séjourner en France équivalant à un demi-SMIC. Ce montant est donc de 32,50 EUR. / (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que M.B..., lors de son interpellation, a indiqué être venu en France pour rejoindre son épouse, en situation régulière et a produit comme justificatif son acte de mariage. Il était également en possession d'un passeport en cours de validité et d'un titre de séjour espagnol délivré à Gérone et valable jusqu'au 9 juin 2022. S'il disposait d'une somme de 1 100 euros en espèces, il n'a pas été en mesure de préciser la durée de son séjour, ne disposait d'aucune attestation d'accueil établie par son épouse validée par l'autorité administrative, et était dépourvu de billet de retour. Dans ces conditions, il devait être en mesure de justifier de moyens de subsistance pour la durée maximale de séjour autorisée, soit, eu égard aux montants de référence applicables, une somme totale de 2 925 euros pour quatre-vingt-dix-jours jours. Par suite, en estimant que M. B...ne justifiait pas de moyens de subsistance suffisants pour séjourner régulièrement en France, le préfet de la Haute-Corse a fait une exacte application des dispositions et stipulations précitées. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Corse est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Bastia a annulé, au motif que M. B...justifiait de ressources suffisantes, l'arrêté du 25 avril 2018 décidant sa remise aux autorités espagnoles.
6. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...devant le tribunal administratif de Bastia.
Sur les autres moyens soulevés par M.B... :
En ce qui concerne l'arrêté de remise aux autorités espagnoles :
7. En premier lieu, la décision contestée a été signée par M. A...C..., sous-préfet hors classe, directeur de cabinet, qui a reçu délégation de signature du préfet de la Haute-Corse, par arrêté du 26 mars 2018 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, à l'effet de signer " toutes décisions, arrêtés et mesures d'éloignement concernant les étrangers séjournant irrégulièrement sur le territoire français et les décisions en matière de rétention administrative ou d'assignation à résidence des étrangers objets de ces mesures, prises en application des dispositions du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (...) ". Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.
8. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus que M. B...ne justifie pas de moyens d'existence suffisants au sens des dispositions de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui renvoient aux conventions internationales et dispositions communautaires précitées. Par ailleurs, et contrairement à ce qu'il soutient, M. B..., qui effectuait une visite privée en France, était tenu, en application des dispositions de l'article L. 211-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de disposer d'une attestation d'accueil établie par son épouse, chez laquelle il devait être hébergé, document dont il était dépourvu. Par suite, en décidant sa réadmission en Espagne, le préfet de la Haute-Corse n'a pas méconnu ces dispositions.
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
9. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 7 ci-dessus, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée doit être écarté.
10. En deuxième lieu, il résulte de ce qui été dit ci-dessus que la décision de remise aux autorités espagnoles n'est pas illégale. Par suite, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision à l'encontre de la décision d'assignation à résidence ne peut qu'être écarté.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : / 1° Doit être remis aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ou fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ; (...) ".
12. En se bornant à soutenir qu'il disposait de ressources suffisantes pour organiser lui-même son retour en Espagne et qu'il n'avait pas vocation à s'installer en France, M. B...n'apporte aucun élément tendant à démontrer qu'en décidant de l'assigner à résidence, mesure subordonnée à l'existence de garanties de représentation suffisantes, le préfet de la Haute-Corse aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Corse est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bastia a, par le jugement attaqué, annulé ses arrêtés du 25 avril 2018 portant remise de M. B...aux autorités espagnoles et décidant de l'assigner à résidence.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1800456 du tribunal administratif de Bastia du 2 mai 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Bastia est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D...B....
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Corse.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2019, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Haïli, premier conseiller,
- Mme Courbon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 avril 2019.
N° 18MA02159 6