Procédure devant la Cour :
I- Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 janvier et 23 décembre 2020 sous le numéro 20MA00330, la commune de Conca, représentée par Me G..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 6 décembre 2019 du tribunal administratif de Bastia ;
2°) de mettre à la charge des requérants de première instance la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les gérants des SCI requérantes ne disposaient d'aucune qualité leur donnant intérêt pour agir ;
- la qualité de voisins ne leur donnait pas en tant que telle intérêt pour agir, faute d'établir une atteinte portée à la jouissance des biens ;
- les moyens retenus de violation des articles L. 121-8 et L 121-13 du code de l'urbanisme ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 août 2020 et 12 janvier 2021, M. J... I..., Mme K... I..., la SCI " Les hauts de Tarco ", la SCI " Les deux terres ", M. H... F... et Mme E... F..., représentés par la SELARL Guillotin Le Bastard et associés, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Conca une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête n'est pas motivée et de ce fait irrecevable ;
- les autres moyens soulevés par la commune de Conca ne sont pas fondés.
II- Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 février et 29 septembre 2020, et un mémoire non communiqué enregistré le 1er février 2021, sous le numéro 20MA00980, la SCI Les terrasses de Tarco, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 6 décembre 2019 du tribunal administratif de Bastia ;
2°) de rejeter les conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de chacun des requérants de première instance la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la qualité de voisins ne leur donnait pas en tant que telle intérêt pour agir, faute d'établir une atteinte portée à la jouissance des biens ;
- les moyens retenus de violation des articles L. 121-8 et L 121-13 du code de l'urbanisme ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 avril et 18 août 2020, M. J... I..., Mme K... I..., la SCI " Les hauts de Tarco ", la SCI " Les deux terres ", M. H... F... et Mme E... F..., représentés par la SELARL Guillotin Le Bastard et associés, concluent au rejet de la requête
Ils soutiennent que :
- la requête n'est pas motivée et de ce fait irrecevable ;
- les autres moyens soulevés par la SCI Les Terrasses de Tarco ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. L...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me M..., substituant Me B... et représentant M. J... I..., Mme K... I..., la SCI " Les hauts de Tarco ", la SCI " Les deux terres ", M. H... F... et Mme E... F....
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes de la commune de Conca et de la SCI Les terrasses de Tarco demandent l'annulation d'un même jugement, et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt. Le mémoire du 1er février 2021, présenté pour la SCI Les terrasses de Tarco n'apportant aucun élément utile à la solution de l'affaire, n'a pas été communiqué.
2. Par un arrêté du 21 août 2018, le maire de Conca a délivré un permis de construire à la SCI " Les terrasses de Tarco " pour la construction de plusieurs bâtiments comportant un total de trente logements, développant une surface de plancher totale de 1 976 mètres carrés, sur un terrain cadastré section B n° 934 au lieu-dit " Tarco ". M. et Mme I..., la SCI " Les hauts de Tarco ", la SCI " Les deux terres ", ainsi que M. et Mme F..., ont formé un recours gracieux à l'encontre de cet arrêté. Par deux requêtes distinctes, la commune de Conca et la SCI Les terrasses de Tarco relèvent appel du jugement du 6 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé cet arrêté, ainsi que les décisions implicites nées du silence gardé par le maire de Conca sur leurs recours gracieux.
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des requêtes d'appel de la SCI Les Terrasses de Tarco et de la commune de Conca ;
Sur les fins de non-recevoir invoquées en appel :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article 1849 du code civil, applicable aux sociétés civiles : " Dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l'objet social ". Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, M. J... I... est le gérant de la SCI " Les hauts de Tarco ", dont l'objet social est la location de terrains et d'autres biens immobiliers et que, d'autre part, M. et Mme F... sont les gérants de la SCI " Les deux terres ", qui a un objet social identique. Ces deux sociétés requérantes justifient donc que leurs représentants ont bien qualité pour agir en leur nom, contrairement à ce que soutient la commune de Conca dont la fin de non-recevoir opposée à cet égard, et alors même qu'elles se sont abstenues de communiquer leurs statuts, ne peut ainsi qu'être écartée.
4. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien et qu'il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.
5. Il ressort des pièces du dossier que les sociétés requérantes et les personnes physiques qui présentent la requête sont respectivement propriétaires et bénéficiaires d'un contrat de prêt à usage de lots d'une parcelle cadastrée section B n° 1016, sur lesquels sont édifiés sur chacun une maison individuelle. La circonstance que les sociétés requérantes n'occupent pas ces biens, mais n'en sont que propriétaires, ne fait pas obstacle à ce qu'elles puissent utilement se prévaloir de l'atteinte portée par une construction aux conditions de jouissance de ces biens. La parcelle étant mitoyenne du terrain d'assiette du projet, les requérants sont ainsi voisins immédiats des constructions projetées, dont ils font valoir la nature et l'importance ainsi que la localisation, à proximité immédiate des maisons évoquées ci-dessus et entre ces maisons et le rivage. Il en ressort notamment que les constructions auront un impact visuel, et que la desserte de leurs maisons subira également les conséquences du trafic automobile supplémentaire résultant de la construction de ces trente logements. Dans ces conditions, les requérants justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir au sens des dispositions précitées de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme. Au total, les fins de non-recevoir opposées par la commune de Conca et la SCI requérante ne peuvent qu'être écartées.
Sur la légalité :
6. Aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, applicable au territoire de la commune de Conca : " L'extension de l'urbanisation se réalise soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ". Il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions, mais qu'aucune construction ne peut en revanche être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages.
7. Le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC), qui précise les modalités d'application de ces dispositions en application du I de l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales, prévoit que, dans le contexte géographique, urbain et socioéconomique de la Corse, une agglomération est identifiée selon des critères tenant au caractère permanent du lieu de vie qu'il constitue, à l'importance et à la densité significative de l'espace considéré et à la fonction structurante qu'il joue à l'échelle de la micro-région ou de l'armature urbaine insulaire, et que, par ailleurs un village est identifié selon des critères tenant à la trame et la morphologie urbaine, aux indices de vie sociale dans l'espace considéré et au caractère stratégique de celui-ci pour l'organisation et le développement de la commune. Le PADDUC prévoit, par ailleurs, la possibilité de permettre le renforcement et la structuration, sans extension de l'urbanisation, des espaces urbanisés qui ne constituent ni une agglomération ni un village ainsi caractérisés, sous réserve qu'ils soient identifiés et délimités dans les documents d'urbanisme locaux. Ces prescriptions apportent des précisions et sont compatibles avec les dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral.
8. Le lieu-dit " Tarco ", est caractérisé par l'implantation de façon diffuse de maisons individuelles à proximité du rivage et est entouré de vastes espaces vierges de toute urbanisation. Il n'apparaît pas que cet espace présenterait, en dépit de l'implantation d'une épicerie et de deux restaurants, un caractère stratégique pour l'organisation et le développement de la commune. Par suite, ce secteur ne saurait être regardé comme une agglomération au sens des mêmes dispositions du code de l'urbanisme au regard des précisions apportées par le PADDUC et ne présente pas davantage, compte tenu de sa trame et de sa morphologie, les caractéristiques d'un village au sens de ces dispositions. Il en résulte que les constructions projetées ne s'implantent pas en continuité d'un village ou d'une agglomération au sens desdites dispositions et que le permis de construire en litige est entaché d'illégalité.
9. Il résulte de ce qui précède que la commune de Conca et la SCI Les terrasses de Tarco ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé le permis de construire du 21 août 2018.
Sur les frais du litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce qu'il soit mis à la charge des requérants de première instance une somme à ce titre dès lors qu'ils n'ont pas la qualité de partie perdante à l'instance. Il y a lieu, sur le fondement des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la commune de Conca et de la SCI Les terrasses de Tarco une somme de 1 500 euros chacune à verser à M. et Mme I..., à la SCI " Les hauts de Tarco ", à la SCI " Les deux terres ", ainsi qu'à M. et Mme F....
D É C I D E :
Article 1er : Les requêtes de la commune de Conca et de la SCI Les terrasses de Tarco sont rejetées.
Article 2 : Il est mis à la charge de la commune de Conca et de la SCI Les terrasses de Tarco une somme de 1 500 euros chacune à verser à M. et Mme I..., à la SCI " Les hauts de Tarco ", à la SCI " Les deux terres ", ainsi qu'à M. et Mme F....
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Conca, à la SCI Les terrasses de Tarco, à M. et Mme J... et Laetitia I..., à la SCI " Les hauts de Tarco ", à la SCI " Les deux terres ", à M. et Mme H... et Monique F... et à M. C... D....
Copie en sera délivrée au préfet de Corse et de la Corse-du-Sud.
Délibéré après l'audience du 3 février 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. L..., président assesseur,
- M. Merenne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2021.
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N° 20MA00330 - 20MA00980