Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 3 février 2016, 29 mars 2016, 9 septembre 2016 et 2 décembre 2016, la société Rapides Côte d'Azur, venant aux droits de la société Compagnie des transports de la Riviera, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 4 décembre 2015 ;
2°) à titre principal, d'annuler le contrat conclu le 3 avril 2013 entre la communauté d'agglomération de la Riviera française et la société Carpostal France ;
3°) à titre subsidiaire, de prononcer la résiliation de ce contrat ;
4°) de mettre une somme de 35 euros à la charge de la communauté d'agglomération de la Riviera française au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) de mettre une somme de 7 264,81 euros à la charge de la communauté d'agglomération de la Riviera française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- la communauté d'agglomération de la Riviera française a méconnu le principe de transparence de la procédure ;
- il n'est justifié ni de la conformité ni de la régularité des offres déposées et négociées ;
- le règlement de la consultation a été méconnu ;
- le principe d'égalité de traitement des candidats n'a pas été respecté lors des négociations ;
- aucune comparaison n'a été effectuée entre les offres ;
- ces illégalités, qui portent directement sur le choix du cocontractant et manifestent la volonté de la personne publique de favoriser un candidat, justifient l'annulation du contrat.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2016, la société Carpostal France conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Rapides Côte d'Azur au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 juillet 2016 et 19 octobre 2016, la communauté d'agglomération de la Riviera française conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Rapides Côte d'Azur au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens non repris par la société requérante dans son mémoire en réplique sont réputés abandonnés ;
- les autres moyens soulevés par la société Rapides Côte d'Azur ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Héry,
- les conclusions de M. Thiele, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la société Rapides Côte d'Azur, de Me A..., représentant la société Carpostal France et de Me D..., représentant la communauté d'agglomération de la Riviera française.
Trois notes en délibéré présentées par la Communauté d'Agglomération de la Riviera Française, la société Carpostal France et la société Rapides Côte d'Azur ont été enregistrées les 14, 17 et 24 mars 2017.
1. Considérant que la communauté d'agglomération de la Riviera française (CARF) a lancé en octobre 2012 une procédure de mise en concurrence pour le renouvellement de la délégation de service public portant sur la gestion et l'exploitation du réseau de transports publics urbains de voyageurs ; que la société Rapides Côte d'Azur, venant aux droits de la société Compagnie des transports de la Riviera, concurrente évincée, relève appel du jugement du 4 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation du contrat conclu le 3 avril 2013 pour une durée de six ans ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Considérant que les mandataires mentionnés à l'article R. 431-2 du code de justice administrative ont qualité, devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, pour représenter les parties et signer en leur nom les requêtes et les mémoires sans avoir à justifier du mandat par lequel ils ont été saisis par leur client ;
3. Considérant que s'il appartient à la Cour ou au tribunal administratif de s'assurer que le représentant d'une personne morale justifie de sa qualité pour introduire une requête, une telle vérification n'est toutefois pas normalement nécessaire lorsque la personne morale requérante est dotée, par des dispositions législatives ou réglementaires, de représentants légaux ayant de plein droit qualité pour agir en justice en son nom ;
4. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 227-6 du code de commerce que les sociétés par actions simplifiées sont représentées à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts et que ce dernier est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de son objet social, dont nécessairement celui d'agir en justice ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que la demande dont était saisi le tribunal administratif de Nice était signée par l'avocat mandaté par la société Compagnie des transports de la Riviera, société par actions simplifiée, et mentionnait que cette dernière était représentée par son représentant légal ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par la communauté d'agglomération de la Riviera française et tirée de l'absence d'habilitation du représentant légal de cette société pour agir en justice doit être écartée ;
Sur la validité du contrat :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement ;
6. Considérant que, indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant ce même juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ces clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires ; que ce recours doit être exercé dans le délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi ; qu'à partir de la conclusion du contrat, et dès lors qu'il dispose du recours ci-défini, le concurrent évincé n'est, en revanche, plus recevable à demander l'annulation pour excès de pouvoir des actes préalables qui en sont détachables ;
7. Considérant que la société Rapides Côte d'Azur, venant aux droits de la société Compagnie des transports de la Riviera, tire de la qualité de concurrente évincée de cette dernière un intérêt à demander l'annulation du contrat ; que par ailleurs, s'il appartient au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente, la recevabilité et l'opérance des moyens soulevés dans le cadre de la présente instance ne sont en revanche pas subordonnées à de telles conditions ;
8. Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu par la communauté d'agglomération de la Riviera française, la société requérante, à laquelle au demeurant il n'a pas été demandé de reprendre dans un mémoire récapitulatif les conclusions et moyens présentés dans le cadre de l'instance, ne saurait être regardée comme ayant renoncé aux moyens de sa requête non évoqués dans son mémoire en réplique enregistré le 9 septembre 2016 ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales : " (...) Les délégations de service public des personnes morales de droit public relevant du présent code sont soumises par l'autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d'Etat (...)/ La collectivité adresse à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations ainsi que, s'il y a lieu, les conditions de tarification du service rendu à l'usager./ Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l'autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire. " ; que l'article L. 1411-5 du même code dispose : " Après décision sur le principe de la délégation, il est procédé à une publicité et à un recueil d'offres dans les conditions prévues aux troisième et quatrième alinéas de l'article L. 1411-1. (...) Au vu de l'avis de la commission, l'autorité habilitée à signer la convention engage librement toute discussion utile avec une ou des entreprises ayant présenté une offre. Elle saisit l'assemblée délibérante du choix de l'entreprise auquel elle a procédé. Elle lui transmet le rapport de la commission présentant notamment la liste des entreprises admises à présenter une offre et l'analyse des propositions de celles-ci ainsi que les motifs du choix de la candidate et l'économie générale du contrat. " ; que l'article R. 1411-1 de ce code précise que l'avis de publicité doit préciser, outre la date limite et les modalités de présentation des offres, les caractéristiques essentielles de la convention envisagée, notamment son objet et sa nature ;
10. Considérant, en premier lieu, que pour assurer le respect des principes de liberté d'accès, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, qui sont des principes généraux du droit de la commande publique, la personne publique doit apporter aux candidats à l'attribution d'une délégation de service public, avant le dépôt de leurs offres, une information sur les critères de sélection des offres ; qu'elle n'est toutefois pas tenue d'informer les candidats sur les modalités de mise en oeuvre de ces critères ;
11. Considérant qu'ainsi, la CARF, qui a précisé dans l'article 6 du règlement de la consultation les trois critères de sélection des offres, constitués de la performance économique, de la contribution forfaitaire versée à la communauté d'agglomération et de la qualité du service, n'était pas tenue, alors même qu'elle a mentionné dans le même article que ces critères seraient pondérés sous forme de pourcentage, d'informer les candidats sur les modalités de mise en oeuvre de cette pondération ;
12. Considérant toutefois que si la personne publique, alors même qu'elle n'y est pas tenue, rend publiques les modalités de mise en oeuvre des critères de sélection des offres et si elle entend ensuite les modifier, elle ne peut légalement le faire qu'en informant les candidats de cette modification en temps utile avant le dépôt des candidatures, afin que celles-ci puissent être utilement présentées dans le cas où l'information initiale sur les modalités de mise en oeuvre des critères a elle-même été donnée avant le dépôt des candidatures, ou en temps utile avant le dépôt des offres, pour que celles-ci puissent être utilement présentées, dans le cas où l'information initiale n'a été donnée qu'après le dépôt des candidatures ;
13. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction et qu'il n'est pas soutenu par la communauté d'agglomération de la Riviera française que la pondération des critères annoncée dans le règlement de la consultation aurait été appliquée lors de l'analyse des offres ; que, par suite, en modifiant les modalités de mise en oeuvre de ces critères sans en informer les candidats, la communauté d'agglomération a méconnu le principe de transparence des procédures ;
14. Considérant, en deuxième lieu, que le règlement de consultation prévoit dans son article 1.7 la possibilité pour les candidats de présenter une offre de base ainsi qu'une variante " correspondant à une offre améliorée par optimisation technique et économique de toute ou partie des composantes de l'offre existante " tout en garantissant la prise en charge des élèves dans des conditions aussi bonnes que l'offre de base ; que les deux sociétés candidates ont remis outre une offre de base, une offre variante ; qu'au cours des négociations, les candidats ont été invités par la CARF à faire évoluer leurs offres, les dernières versions de ces offres ayant été déposées le 31 janvier 2013 ; qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de présentation des offres devant le conseil communautaire que l'analyse de la personne publique a porté tant sur l'offre de base de la société requérante que sur son offre variante, cette dernière étant estimée plus intéressante par la CARF et ayant ensuite été comparée avec l'offre de la société concurrente ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que l'offre de base de la société Rapides Côte d'Azur n'aurait pas été examinée doit être écarté comme manquant en fait ;
15. Considérant, en troisième lieu, que le règlement de consultation réserve dans son article 7.3 la possibilité pour l'autorité délégante au cours des négociations de retenir les propositions répondant le mieux aux critères de sélection et de poursuivre les discussions avec les candidats afin de lui permettre d'identifier la solution la plus à même de répondre à ses besoins, les candidats étant invités, selon le même article, à présenter des propositions alternatives ;
16. Considérant que le projet de contrat transmis aux candidats énonçait dans son article 19.1.3 les caractéristiques devant être respectées par les véhicules en terme de capacité ; que si la société requérante soutient n'avoir pas été invitée à émettre une proposition alternative sur ce point au contraire de son concurrent, il ressort néanmoins des termes du contrat finalement conclu entre ce dernier et la CARF que les obligations mises à la charge du délégataire à ce titre sont identiques à celles prévues dans le projet de contrat ; que la société Rapides Côte d'Azur ne peut utilement se prévaloir des constats d'huissier dressés à sa demande postérieurement à la signature du contrat, qui portent sur les conditions d'exécution de ce contrat et le respect par le délégataire de ses obligations contractuelles et non sur les conditions de passation dudit contrat ;
17. Considérant que le contrat conclu entre la CARF et la société Carpostal France prévoit dans son article 13.2 que l'agence commerciale doit être ouverte au minimum de 8 heures à 19 heures, tous les jours de l'année à l'exception du 1er mai ; que ces obligations sont identiques à celles figurant dans le projet de contrat remis aux candidats ; que la circonstance alléguée que le délégataire ne respecterait pas cette clause contractuelle n'est en tout état de cause pas de nature à démontrer que celui-ci aurait été seul autorisé lors des négociations à modifier la teneur de son offre sur ce point ;
18. Considérant que, de même, les horaires de réservation du transport à la demande sont contractuellement identiques à ceux mentionnés dans le projet de contrat adressé aux candidats ; qu'il ne ressort d'aucun autre document contractuel que ces horaires auraient été modifiés ;
19. Considérant que pour les motifs ainsi énoncés, le moyen tiré de ce que le principe d'égalité entre les candidats aurait été méconnu lors des négociations doit être écarté ;
20. Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de présentation des offres que les offres des deux candidats ont été analysées au regard des critères annoncés dans le règlement de la consultation ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que la comparabilité des offres n'aurait pas été assurée doit être écarté ;
21. Considérant, en dernier lieu, qu'en se bornant à soutenir que la CARF ne justifie pas de la conformité des offres au règlement de consultation, la société Rapides Côte d'Azur n'assortit pas ce moyen des précisions permettant à la Cour d'en apprécier le bien-fondé ;
22. Considérant qu'il appartient au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences ; qu'il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité éventuellement commise, soit de prononcer, le cas échéant avec effet différé, la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d'accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l'annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits des cocontractants, d'annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat ;
23. Considérant que le contrat est entaché d'une irrégularité tenant à la modification des modalités de mise en oeuvre des critères de sélection des offres sans que les candidats en aient été informés ; que cette irrégularité, qui porte sur la méconnaissance par la personne publique du principe de transparence des procédures, constitue un vice d'une particulière gravité de nature à justifier la résiliation du contrat ; que l'intérêt général tenant à la continuité du service public justifie que cette résiliation ne prenne effet qu'au 1er janvier 2018, afin que la communauté d'agglomération, si elle entend ne pas reprendre en régie ce service, puisse mener à bien la procédure légalement requise de choix d'un cocontractant ;
24. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Rapides Côte d'Azur est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :
25. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Rapides Côte d'Azur, qui n'est pas partie perdante à la présente instance, les sommes demandées par la CARF et par la société Carpostal France sur ce fondement ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CARF une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société requérante et non compris dans les dépens et de la contribution à l'aide juridique acquittée par elle ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 4 décembre 2015 du tribunal administratif de Nice est annulé.
Article 2 : Le contrat conclu le 3 avril 2013 entre la communauté d'agglomération de la Riviera française et la société Carpostal France est résilié avec effet différé au 1er janvier 2018.
Article 3 : La communauté d'agglomération de la Riviera française versera une somme de 2 000 euros à la société Rapides Côte d'Azur au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la communauté d'agglomération de la Riviera française et de la société Carpostal France tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Rapides Côte d'Azur, à la communauté d'agglomération de la Riviera française et à la société Carpostal France.
Délibéré après l'audience du 13 mars 2017, où siégeaient :
- M. Moussaron, président,
- Mme Steinmetz-Schies, président assesseur,
- Mme Héry, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 27 mars 2017.
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N° 16MA00398