Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 12 janvier 2015, Mme A..., représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 octobre 2014 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté préfectoral du 10 février 2014 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une carte de séjour temporaire, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) à défaut, d'enjoindre au préfet d'instruire à nouveau sa demande et de prendre une décision dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, l'astreinte courant pendant le délai de trois mois après lequel elle pourra être liquidée et une nouvelle astreinte fixée, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler durant le temps de l'examen de sa demande ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le refus de séjour ainsi insuffisamment motivé ;
- le préfet aurait dû saisir au préalable la commission du titre de séjour en application des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'administration a porté une atteinte excessive à sa vie privée et familiale, en violation du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le refus de séjour est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans la mesure où elle remplit tous les critères prévus par la circulaire ministérielle du 28 novembre 2012, laquelle est directement invocable ;
- le préfet a apprécié de façon manifestement erronée les conséquences du refus de séjour sur sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle est privée de base légale en ce que les dispositions des 3° et 5° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur lesquelles elle repose doivent être écartées comme incompatibles avec la directive européenne du 16 décembre 2008 ;
- elle est illégale du fait de l'illégalité du refus de séjour ;
- la mesure d'éloignement méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette mesure est entachée d'erreur de droit dès lors qu'elle aurait dû se voir délivrer un titre de séjour de plein droit ;
- le préfet a apprécié de façon manifestement erronée les conséquences de cette décision sur sa situation personnelle ;
- le refus de lui accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours est insuffisamment motivé ;
- cette dernière décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation compte tenu de sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2015, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 décembre 2014.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la Cour a désigné M. Georges Guidal, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Chanon, premier conseiller.
1. Considérant que, par jugement du 2 octobre 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de Mme A..., de nationalité philippine, tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 février 2014 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ; que Mme A... relève appel de ce jugement ;
Sur la légalité du refus de séjour :
2. Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté par adoption des motifs retenus par les premiers juges ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans (...) " ;
4. Considérant que Mme A... déclare être arrivée en France le 2 août 2002 et s'y être ensuite constamment maintenue ; que, toutefois, les pièces produites sont insuffisantes, en particulier pour les années 2004 et 2005, pour justifier qu'elle résiderait habituellement en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté contesté ; que, par suite, le préfet n'était pas tenu de soumettre pour avis sa demande à la commission du titre de séjour ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République " ; qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que Mme A..., née le 23 mars 1965, réside en France au plus depuis l'année 2006 ; qu'il ressort des pièces du dossier que son mari et ses deux enfants, nés en 1984 et 1990, résident aux Philippines ; que si elle allègue être séparée de fait de son époux, le divorce n'existant pas dans son pays d'origine, elle ne l'établit pas alors que le préfet justifie qu'elle a encore effectué des transferts financiers en faveur de son époux en 2012 ; qu'elle n'invoque aucune attache privée ou familiale en France ; que, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu notamment de la durée et des conditions de séjour en France de Mme A..., le préfet n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis par le refus de séjour ; qu'ainsi, ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont été méconnues ;
7. Considérant, en quatrième lieu, que Mme A... invoque sa durée de présence en France et son travail depuis 2011, dans le cadre de contrats à durée indéterminée à temps partiel, pour plusieurs employeurs particuliers relevant du dispositif du " Chèque emploi service universel " qui lui ouvriraient droit à l'admission exceptionnelle au séjour par le travail ; que, cependant, les énonciations de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012, relatives aux conditions d'examen des demandes d'admission exceptionnelles au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne constituent pas des lignes directrices dont les intéressés peuvent utilement se prévaloir devant le juge ; que Mme A... ne peut davantage se prévaloir d'un accord entre la France et les Philippines portant sur la gestion concertée des flux migratoires qui, selon les termes mêmes de la requête, ne serait pas encore signé ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait entaché le refus de séjour d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'admission exceptionnelle au séjour par le travail, et, par suite, aurait méconnu les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
8. Considérant, en cinquième et dernier lieu, que, dans ce contexte, il ne résulte pas des éléments versés au débat que l'administration aurait apprécié de façon manifestement erronée les conséquences du refus de séjour sur la situation personnelle de Mme A... ;
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours :
9. Considérant, d'une part, qu'aux termes du sixième considérant de la directive du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier : " Les États membres devraient veiller à ce que, en mettant fin au séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers, ils respectent une procédure équitable et transparente. Conformément aux principes généraux du droit de l'Union européenne, les décisions prises en vertu de la présente directive devraient l'être au cas par cas et tenir compte de critères objectifs, ce qui implique que l'on prenne en considération d'autres facteurs que le simple fait du séjour irrégulier (...) " ; qu'aux termes de l'article 12 de cette directive : " Les décisions de retour (...) indiquent leurs motifs de fait et de droit (...) " ;
10. Considérant, d'autre part, que l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté préfectoral, dispose : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger (...). / La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3° et 5° du présent I, sans préjudice, le cas échéant, de l'indication des motifs pour lesquels il est fait application des II et III (...). / II. - Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification (...). Eu égard à la situation personnelle de l'étranger, l'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours (...) " ;
11. Considérant que les dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicables en l'espèce, permettent au préfet de s'abstenir de motiver distinctement une obligation de quitter le territoire français lorsqu'elle accompagne un refus de titre de séjour ; que, contrairement à ce qui est soutenu, il n'en résulte pas que la mesure d'éloignement serait prise sur le seul fondement du séjour irrégulier dès lors que la motivation du refus de séjour, si elle est suffisante, fait état des éléments de fait relatifs à la situation personnelle de l'étranger sur lesquels reposent l'obligation de quitter le territoire français ; que, par suite, ces dispositions ne sont pas incompatibles avec les objectifs de sixième considérant et de l'article 12 de la directive du 16 décembre 2008 ; que la mesure d'éloignement n'est donc pas privée de base légale ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que l'obligation de quitter le territoire français n'avait pas en l'espèce à faire l'objet d'une motivation distincte du refus de séjour, lequel est suffisamment motivé ainsi qu'il a été indiqué au point 2 ; que Mme A... ne peut utilement invoquer en la matière les dispositions de la loi du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ; que dès lors que le préfet des Bouches-du-Rhône a retenu, après avoir exposé, sur le refus de séjour, les éléments de fait relatifs à la situation personnelle de l'intéressée, que cette situation ne justifiait pas " qu'à titre exceptionnel un délai supérieur lui soit accordé ", l'obligation de quitter le territoire français est suffisamment motivé en tant qu'elle n'accorde pas un délai de départ volontaire supérieur au délai de trente jours prévu au II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 8 que le moyen tiré, par voie de l'exception, de l'illégalité de la décision portant refus de séjour ne peut qu'être écarté ;
14. Considérant que, pour les mêmes motifs qu'en ce qui concerne le refus de séjour et eu égard aux effets de cette mesure, l'obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
15. Considérant qu'indépendamment de l'énumération, donnée par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une mesure prescrivant à l'égard d'un étranger une obligation de quitter le territoire français, lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour ; qu'ainsi qu'il a déjà été dit, Mme A... ne peut se prévaloir de ce qu'elle aurait dû se voir délivrer un titre de séjour de plein droit sur le fondement de la vie privée et familiale ; que, dès lors, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté ;
16. Considérant que, compte tenu de tout ce qui a été dit précédemment, il ne ressort des pièces du dossier ni que l'administration aurait entaché l'obligation de quitter le territoire français d'une erreur manifeste d'appréciation en n'accordant pas un délai de départ volontaire supérieur à trente jours, ni qu'elle aurait apprécié de façon manifestement erronée les conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation personnelle de Mme A... ;
17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ; que, par suite, la requête doit être rejetée, y compris les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A...épouseB..., à Me E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 14 juin 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Guidal, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222 26 du code de justice administrative,
- M. Chanon, premier conseiller,
- Mme D..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 30 juin 2016.
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N° 15MA00132 7
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